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La banalisation de l’alerte par la morale

Section 1 : Le respect des normes socialement établies : défi du lanceur d’alerte,

2) La banalisation de l’alerte par la morale

La loi de 2016 objet de la présente étude tend à un rapprochement entre la dénonciation anglo-saxonne sur laquelle un regard bienveillant est porté. Mais la morale collective, et plus précisément la science qui l’entoure678 devrait également permettre au dénonciateur de droit du

travail de banaliser son acte.

La question de l’obligation de l’alerte par l’éthique679 a aussi été posée680. Bien que

l’adjectif convienne à une dénonciation faite au nom de l’intérêt général car qu’elle implique des risques importants681, des conditions ont pu être mises en place pour la caractériser. Ainsi, serait « éthiquement obligatoire »682 l’alerte dont le lanceur peut regrouper un certain nombre de preuves convaincantes, et dont l’organisation ne reconnaît pas l’existence d’actes dommageables ou délictueux. En étant, sous certaines conditions, protégées de manière générale contre toute mesure de rétorsion, le lanceur d’alerte n’a plus à produire d’actes « surérogatoires »683. L'alerte serait « éthiquement permise »684 lorsque son lanceur mettra en

danger ou exposera d’autres personnes à de sérieuses représailles685.

675 SEASSAUD Éric. Le lanceur d'alerte en droit anglais - Un acteur responsable, par-delà les archétypes du

traître et du héros. Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, janvier 2018, dossier 7

676 Pour plus de détails, voir Ibidem

677 SCHMID Lucile. À quoi bon lancer l’alerte ? Esprit, mai 2017, p.32 678 Par définition, l’éthique.

679 Ce qui est éthique est ce qui concerne la morale. Définition du terme « éthique ». Le Petit Robert. Op.cit. 680 Cf supra.

681 BOZZO-REY Malik, DELALIEUX Guillaume. Op.cit. p.98

682 DE GEORGE Richard T. Whistleblowing. In DE GEORGE Richard T. Business Ethics. 1986, Londres :

Pearson. p.221

683 Qui est fait au-delà de ce qui est dû, de ce qui est obligé. Définition de « surérogatoire ». Le Petit Robert. Op.cit. 684 Ibidem

99 L’alerte éthique est un terme aujourd’hui très largement employé. Il démontrerait une évolution de la dénonciation voulant nuire686 à une alerte éthique voulant protéger voir sauver. Comme

témoignage de l’évolution de la dénonciation à travers cette alerte éthique, cette expression est souvent utilisée comme définition du « whistleblowing »687, terme anglo-saxon ayant bonne presse. L’éthique très fréquemment adossée au mot « alerte » lui ôte toute connotation infamante688. C’est à travers la défense de l’intérêt général par les chartes éthiques que le terme s’est adossé à l’alerte689. Elles ont causé la dénaturation d’un lien entre alerte et légalité, c’est

la morale qui a suppléé le droit en ce domaine. Aussi, c’est parce que l’éthique est en jeu que les scandales provoquent les principales réactions en matière d’alerte, soit du législateur690, soit des entreprises. C’est pourquoi la morale motiverait la dénonciation par son objet691 ou par le secteur692 dans lequel elle s’applique693.

Cette obligation éthique de dénoncer se concrétise notamment par les propos du Conseil d’Etat sur l’intérêt général. « L’intérêt général n’est pas seulement l’affaire des pouvoirs publics. Il

concerne, en réalité, chaque citoyen »694. Selon la même institution, une définition légale de l’alerte autour des principes de bonne foi, de désintéressement, de gratuité et de liberté695 devrait

permettre à la notion d’arriver à maturité, entrainant la culture de l’alerte éthique696.

Cette obligation morale de dénoncer permettrait alors la faculté légale de l’alerte697 mais

cette obligation demeure conditionnée. En revanche, la morale palie en droit français également au désintérêt de l’alerte.

b) L’alerte désintéressée et l’éthique du dénonciateur

L’alerte protégée par la loi française est toujours désintéressée698. Par désintérêt, il est

possible de comprendre que le lanceur d’alerte n’agit pas par intérêt personnel699.

686 « La dénonciation veut nuire, le signalement veut sauver » VIGOUROUX Christian. Déontologie des fonctions

publiques. 2013/2014, Paris : Editions Dalloz. p.485. ISBN : 9782247084937

687 Par exemple dans le rapport d’ANTONMATTEI Paul-Henri, VIVIEN Philippe. Op.cit. 688 BEHAR-TOUCHAIS Martine. Op.cit.

689 LAMETHE Didier. Op.cit. p.21

690 L’exemple de l’affaire du médiator. Cf supra.

691 Par exemple la dénonciation de faits de discrimination. 692 A travers les différentes chartes éthiques

693 KERLEO Jean-François. Op.cit.

694 Conseil d’État. L’intérêt général. Rapport public, 30 novembre 1999, n° 50 695 Pour la plus-part précédemment évoqués.

696 Conseil d’Etat. Le droit d’alerte : signaler, traiter, protéger. Op.cit. 697 Cf supra

698 Article 6, loi du 9 décembre 2016

100 C’est un critère nouveau et exorbitant de l’encadrement jurisprudentiel700. Par les

termes utilisés par le législateur, toute sorte d’intérêt personnel pourrait être visé. Mais la gloire médiatique attachée à son action étant difficilement quantifiable, c’est la fortune financière qui serait incriminée par le texte. L’incitation financière peut sembler efficace701, c’est d’ailleurs la motivation choisit par les États-Unis. Dans le « False Claims act », une contrepartie consistant en un pourcentage des dommages-intérêts versés est prévue702. Un projet d’alerte financièrement motivé existe également au Royaume-Uni703.

En revanche, cette incitation financière demeure incompatible avec la conception européenne de l’éthique704. Permettre la rémunération permettrait sûrement d’intéresser le dénonciateur

mais nuirait à la morale attachée à l’alerte. Ainsi, selon certains auteurs, des risques entoureraient cette incitation, notamment celui de dénoncer à la légère et nuire illégitimement à la réputation de l’entreprise ou celui des recours à des stratagèmes illicites et déloyaux d’obtention de documents705. Cette vision négative s’illustre notamment par le droit allemand

qui rend incompatibles son droit du travail et son devoir de loyauté avec l’alerte rémunérée706. En droit français, le refus du Conseil constitutionnel du versement d’allocations707 par le

défenseur des droits au lanceur d’alerte708 appuie encore le rejet de l’incitation financière pour

l’alerte éthique709.

Pour conclure sur cette section, il est possible de citer le Conseil d’Etat qui démontre la volonté du changement d’opinion sur la dénonciation dans son rapport sur l’alerte. « Le lanceur

d’alerte n’est ni un dissident, qui s’opposerait radicalement à une collectivité, ni un partisan de la désobéissance civile, qui revendiquerait une « contre-légitimité ». Il n’est pas non plus

700 ICARD Julien. L’alerte individuelle en droit du travail. Op.cit.

701 « L’alerte rémunérée a donc été progressivement jugée comme étant un des moyens les plus efficaces pour

lutter contre les infractions particulièrement difficiles à découvrir ». RODA Jean-Christophe. L’alerte rémunérée : entre efficacité et risques de dévoiement. In DISSANT MATHIEU, POLLET-PANOUSSIS Delphine (dir.). Op.cit. p.240

702 DREYFUSS Stephen L. Op.cit. 703 SEASSAUD Éric. Op.cit.

704 RODA Jean-Christophe. Op.cit. In DISSANT MATHIEU, POLLET-PANOUSSIS Delphine (dir.). Op.cit.

p.243

705 Ibidem p.244

706 JUX Colline, SABY Chloé. Op.cit.

707 A l’origine, le Défenseur des droits devait orienter le lanceur d’alerte le saisissant et « en tant que de besoin, de

lui assurer une aide financière ou un secours financier ». SORDINO Marie-Christine. Op.cit.

708 Conseil Constitutionnel, 8 décembre 2016, n° 2016-741 DC

709 Ce n’est pas la justification invoquée par le Conseil Constitutionnel. En vertu de l’article 14 de la Constitution,

Les Sages considèrent que le Défenseur des droits n'a pas pour attribution « d'apporter lui-même une aide

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un délateur ou un sycophante710, qui agirait dans son intérêt personnel, ni un calomniateur, qui

chercherait à nuire ou à jeter l’opprobre »711. Si les domaines de l’alerte sont des enjeux

majeurs du droit du travail par l’importance, sa faculté lui en révèle un nouveau autrement plus important, le changement du regard de la société portée sur l’alerte. Mais à l’inverse, des nécessités de l’alerte sont des objectifs du droit du travail. A celui-ci de les assurer.

Section 2 : Le stockage, l’archivage et la protection de l’information :