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L E SENS DU TRAVAIL AU REGARD DES INTENTIONS DE RETRAIT

CHAPITRE 4 DISCUSSION

4.1 L E SENS DU TRAVAIL AU REGARD DES INTENTIONS DE RETRAIT

D’emblée, la littérature scientifique actuelle offre peu de données mettant en relation les variables principales de l’étude (le sens du travail et les intentions de retrait), et ce, malgré le fait que les comportements de retrait figurent parmi les sujets les plus étudiés dans les recherches liées à l’organisation (Mitra et al., 2002). En ce qui concerne les résultats de la présente étude, la très faible relation observée entre le sens du travail et les intentions de retrait des employés va tout de même à l’encontre des hypothèses formulées (H1 et H2) et des quelques écrits à ce sujet (Clausen et al., 2010; Clausen et Borg, 2011), selon lesquels le sens consenti au travail diminue les risques que l’employé s’absente à long terme ou qu’il quitte définitivement l’organisation.

Les travaux de Morin (2008, 2010) évoquent l’influence du sens du travail comme un facteur de la présence au travail, en évoluant d’abord par un état de santé et de bien-être physique et psychologique. Lorsque l’employé est atteint d’une maladie psychologique ou vit une certaine détresse, il fait appel à diverses stratégies défensives (présentéisme, adoption de comportements toxiques au travail) qui précèdent la période d’absence (Morin, 2008; 2010). Cette explication laisse donc présager que les répondants de la présente étude qui n’accordent que peu de sens à leur travail n’ont peut-être pas l’intention de s’absenter de l’organisation dans l’immédiat, mais traversent une période transitoire, celle-ci ayant tout de même un impact sur leur comportement au travail. Qui plus est, l’absence ne relève pas d’une intention dans les études de Morin (2008, 2010). Elle découle plutôt d’un état de santé précaire. Or, la présente étude mesurait spécifiquement les intentions de s’absenter, supposant dès lors une certaine volonté de l’employé de prendre une distance du travail à très court terme (Paillé, 2006) et non une nécessité de le faire pour des raisons de santé.

De surcroît, ce cheminement peut également expliquer le rôle médiateur de l’intention de s’absenter, c’est-à-dire que la relation entre le sens du travail et l’intention de quitter passe majoritairement par l’intention de s’absenter. Il s’agit là d’un cas de médiation pratiquement complète, selon la théorie de Baron et Kenny (1986). C’est ainsi que l’individu traverse différentes étapes avant de prendre la décision ultime de quitter son organisation. Ces constats sont en cohérence avec les travaux de Mobley (1977, 1982a) à l’effet que le roulement du personnel est un processus pendant lequel la personne traverse diverses intentions de retrait, telles que songer à quitter, avoir l’intention de chercher des alternatives d’emploi et avoir l’intention de quitter l’organisation. Puis, bien que la littérature soit très discrète au sujet du lien causal entre l’absentéisme et le roulement du personnel (ou les intentions de retrait associées), les résultats de la présente étude rejoignent ceux des auteurs qui s’y sont intéressés (Mitra et al., 1992; Paillé, 2007; Cohen et Golan, 2007), c’est-à-dire que l’absence prédispose le départ de l’organisation. En effet, le comportement de retrait suivrait une progression (Krausz et al., 1995; 1998), sous forme d’un continuum d’intentionnalité (Paillé, 2007), mais peu de données empiriques permettent de corroborer ces propos (Paillé, 2007), d’autant plus que les résultats sont

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nuancés (Neveu, 1996). Nos résultats sont donc éclairants à cet égard, illustrant ce continuum d’intentionalité.

Par ailleurs, les principales caractéristiques de nature organisationnelle considérées comme des antécédents du sens du travail sont souvent étudiées au regard des comportements de retrait. Ces trois variables, soit le sens du travail, l’absentéisme ainsi que le roulement du personnel, ont donc des déterminants communs. Par exemple, l’autonomie dans le travail réduit les intentions d’absences (Farell et Stamm, 1988; Rentsch et Steel, 1998; Porter et Steers, 1973) ainsi que les intentions de quitter l’organisation (Porter et Steers, 1973; Price, 2001) et elle contribue positivement à l’attribution de sens au travail (Morin, 2008, 2010). La rectitude morale constitue un autre facteur qui concourt à donner du sens (Morin, 2010). Elle réfère notamment à un milieu de travail juste et équitable. Or, les diverses déclinaisons de la justice perçue en milieu de travail (procédurale, distributive) sont reconnues dans la littérature pour leur influence négative sur les absences (Brooke, 1986; De Boer et al., 2002; Banville et Chênevert, 2006) et sur le roulement du personnel (Price, 2001). Plus encore, le soutien perçu par l’employé dans son environnement de travail revêt une importance considérable parmi plusieurs déterminants du sens, qu’il provienne des collègues (Morin et Forest, 2007; Morin, 2010; Rosso et al., 2010), des supérieurs (Morin et Forest, 2007; Morin, 2010; Rosso et al., 2010) ou qu’il émane du climat d’équipe (Clausen et Borg, 2011) et de marques de reconnaissance (Morin, 2010). Cette perception de soutien organisationnel réduit l’intention de quitter l’organisation (Rhoades et Eisenberger, 2002; Allen et al., 2003; Dawley et al., 2010; Bishop et al., 2000), alors que le soutien des collègues contribue à la diminution des absences (Iverson et Pullman, 2000). Le même lien peut également être fait avec les contraintes associées aux rôles (ambiguïté ou conflit), à l’égard du sens (Clausen et Borg, 2011), de l’intention de quitter (Fisher et Gitelson, 1983; Podsakoff et al., 2007) et de l’absentéisme (Brooke et Price, 1989; Brooke, 1986). Ces observations laissent donc penser que certains facteurs organisationnels présentent des liens directs plus forts avec les intentions ou les comportements de retrait, sans d’abord transiter par la perception de sens du travail.

Le sens trouve à la fois sa source dans les caractéristiques individuelles et les conditions de travail (Isaksen, 2000). Les nombreux exemples du paragraphe précédent illustrent que le contenu et le contexte dans lequel s’effectue le travail influencent les intentions et les comportements de retrait à plusieurs égards. De fait, il est possible de présager que les traits individuels ou le vécu personnel ont une part considérable à jouer dans le processus d’attribution de sens. En d’autres termes, l’influence de l’organisation du travail serait fortement nuancée et influencée par les émotions et les facteurs propres à l’employé, c’est-à-dire via son côté subjectif (Morin, 2000, 2010; Pratt et Ashforth, 2003; Steger et al., 2012; Beaudry et Gagnon, 2013). Il s’agit donc d’une autre piste d’explication à savoir que les intentions de retrait sont très peu influencées directement par le sens du travail, contrairement aux deux autres attitudes explorées dans cette étude, soit l’engagement organisationnel et la satisfaction au travail.

4.2 LE SENS DU TRAVAIL AU REGARD DE L’ENGAGEMENT ORGANISATIONNEL ET DE LA