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I L ES RÉGIMES ARABES EN SURSIS A L’ ORIGINE DU PRINTEMPS ARABE

ÉTRANGÈRES FRANÇAISE ET TURQUE À L’ÉPREUVE DU PRINTEMPS ARABE

I L ES RÉGIMES ARABES EN SURSIS A L’ ORIGINE DU PRINTEMPS ARABE

1 - Pourquoi parle-t-on de «printemps arabe» ?

Al rabi al arabi ou en français «printemps arabe» est l’expression qui est utilisée pour désigner les mouvements de contestation qui ont éclaté dans les pays arabes. Avant de comprendre ce qu’il s’est passé et de revenir sur l’historique de cet événement il est important de préciser la terminologie que nous allons utiliser tout au long de notre étude. Comment doit-on nommer toutes ces évolutions ? Doit- on parler de «printemps», de «révolution» ou bien de «réveil» du peuple arabe ?

Selon Tarık Oğuzlu, le terme «réveil» est plus approprié que le terme «printemps», car la première métaphore semble plus encrée dans le temps et symbolise une transformation plus profonde, sans un retour en arrière possible. Le terme de «révolution» n’est pas très approprié non plus au regard de la situation, car aucun mouvement n’avait été planifié par avance. Ces mouvements n’ont pas d’idéologie précise et sont sans aucun leader précis317. Tandis qu’une révolution doit être organisée,

idéologisée et doit avoir une nette rupture avec le passé. Alors que dans les changements qui ont bouleversé le monde arabe, certaines personnes qui faisaient déjà partie du système contesté sont encore présentes dans la nouvelle composition. Comme c’est le cas de l’Egypte, avec Ahmed Shafik candidat aux présidentielles, qui était l’ex premier ministre de Hosni Moubarak, ou encore en Libye où les leaders du Conseil National de Transition sont des anciens collaborateur de Mouammar Kadhafi.

A cela nous pouvons ajouter les propos de Tariq Ramadan qui est intervenu lors du congrès sur l’enseignement du Printemps arabe le 7 septembre 2011 au Palais des Congrès au Canada. Tariq Ramadan précise qu’il n’y a pas de véritable révolution, qui se dit ‘tawra’ en arabe. Il précise qu’en réalité ce sont des «révolutions récupérées», c'est-à-dire qu’il n’existe pas de révolution du tout. Selon lui tous ces événements ne sont pas des espaces vides d’influence et que ces mouvements ont été mis en évidence par des acteurs qui sont derrière la scène, qui soutenaient au départ les régimes dictatoriaux318.

317 OĞUZLU, Tarık, « Arap Baharı ve Yansımaları », OrtadoğuAnaliz, 2011/11, Vol. 3, n°36, p.11.

318 Le contenu de ce discours est disponible sur le site internet :<URL: http://www.youtube.com/watch?

Ces précisions établies, nous avons donc choisi d’utiliser indifféremment les termes ‘réveil’ ou ‘soulèvement’. En effet, même si chaque pays a sa propre configuration et ses spécificités, il semble certain qu’il ne soit pas possible d’utiliser indifféremment le terme «révolution» ou encore parler de «printemps arabe» au regard des arguments exposés précédemment319.

2 - Les origines des soulèvements populaires

Avant qu’éclatent les mouvements de contestation, le Moyen-Orient était un espace complexe et où les régimes étaient établis depuis plusieurs années sous forme de coup d’Etat320. Pour certains il

s’agissait de véritable régime autoritaire, tel qu’en Libye ou encore en Syrie. Pour d’autre officiellement il s’agissait d’un pays démocratique mais engouffré dans la corruption et le conflit d’intérêt et c’est particulièrement dans ce second type de configuration que les événements ont vu le jour321.

Tout a commencé en Tunisie le 17 décembre 2010, lorsqu’un jeune tunisien s’est immolé sur la place publique, après s’être fait confisqué sa marchandise et humilié par un officier de police. Mohammed Bouazizi semble avoir secoué l’ensemble de la région et engendré la chute du Président tunisien Zine al-Abidine Ben Ali322 au pouvoir depuis 1987323. Ce geste a eu aussitôt des répercussions

en Egypte, où Mohammed Hosni Moubarak324 au pouvoir depuis 1981 a été délogé en quelques

semaines325. Puis en Libye, où le colonel Kadhafi, au pouvoir depuis 1969 à la suite d’un coup d’Etat,

est chassé par les forces de l’OTAN et l’opposition libyenne. L’Algérie, le Maroc, la Mauritanie ou encore le Soudan seront également secoués, mais l’ampleur n’est pas identique aux précédents. Cependant au Machrek les choses sont bien plus complexes. Le Yémen est le premier touché, mais par

319 BESSIS, Sophie, « De quoi les révoltes arabes sont-elles le nom ? », Revue Internationale et Stratégique [On-line],

2011, n°83, p.59 [26.06.2012], Available from internet : <URL : http://www.cairn.info/revue-internationale-et- strategique-2011-3-page-57.htm>.

320 OĞUZLU, Tarık, Op. Cit., p.9.

321 FEKI, Masri, Les révoltes arabes, géopolitique et enjeux, Paris, Studyrama, 2011, p.11.

322 Ben Ali a quitté le pays le 14 janvier 2011 de manière précipitée et son Premier Ministre Mohammed Gannouchi a

assuré la présidence par intérim. Le Président déchu s’est rendu en Arabie Saoudite avec toute sa famille bénéficiant ainsi de l’immunité.

AUBERT, Fabrice, « Chute de Ben Ali : le récit d’une folle journée », LCI, 14 janvier 2011.

323 BESSIS, Sophie, Op. Cit., p.57-58.

324 Le président égyptien déchu transfert ses pouvoirs le 10 février à son vice-président puis le lendemain il démissionne et

remet le pouvoir à l’armée.

BEHRAKIS, Yani, « Egypte en direct : le départ de Moubarak laisse l’armée en première ligne », L’express, 11 février 2011.

l’intermédiaire des pays voisins, le Président Ali Abdallah Saleh a rendu le pouvoir après 33 ans de dictature. Ce départ est le début d’une transition politique que l’ancien président a négocié en contrepartie de son immunité et celle de sa famille. Puis, Bahreïn fait également l’objet d’une crise populaire, où la minorité sunnite détient le pouvoir, contre une majorité chiite soutenue par l’Iran326.

Puis la Syrie qui avait réussi à retrouver une place sur la scène internationale, sombre dans la violence et où la crise semble s’enliser sans que personne ne puisse y trouver de solution327.

Ces révoltes ont surpris le monde entier, avant tout par l’ampleur du mouvement et la rapidité de sa propagation. Pour certains, l’immolation du tunisien est une goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qu’en réalité ce soulèvement résulte de la combinaison de quatre facteurs. L’autoritarisme politique à travers une oppression policière ; accompagné d’une corruption généralisée et d’importantes inégalités sociales ; puis une démocratisation des moyens d’information (création de la chaîne satellitaire qatarie Al-Jazeera en 1996) et enfin l’apparition d’Internet et des réseaux sociaux328.

Néanmoins, des éléments bien profonds doivent être pris en compte afin de comprendre l’ampleur de ce mouvement. Selon Marina Ottaway le mouvement de protestation qui ravage le Moyen-Orient repose sur des conditions similaires à tous : une structure démographique dominée par des jeunes (à peu près 45% de jeunes), qui ont fait des études supérieures mais manquent d’opportunité de travail ; marqué par un fort taux de chômage ; un niveau de vie très pauvre alors que le pays est riche en pétrole ; un gouvernement non seulement anti-démocratique mais aussi incapable de comprendre les attentes de son peuple329. Cependant il semble clair que les solutions que les soulèvements vont

apporter seront différentes pour chaque pays. Mais pour le moment, la Tunisie ou encore l’Egypte semblent basculer vers l’islamisme, à la surprise générale des opposants. Et les pays sont loin - pour le moment - d’accéder à la démocratie dont ils ont rêvés330.

Il semble important de rappeler que les mouvements de contestation qui ravagent le Moyen- Orient n’étaient attendus par personne. Personne ne pouvait imaginer que le peuple pouvait avoir autant d’influence sur la politique. Aucun Etat n’avait prédit les conséquences de ces soulèvements. Ainsi nous pouvons découper en trois les types de comportement que les pays acteurs ont préféré

326 BURDY, Jean-Paul, « Bahreïn : entre impasse politique et intifada rampante, une ‘nordirlandisation’ du conflit ? », Questions d’Orient Questions d’Occident [On-line], 2011/11 [8.07.2012], Available from internet : <URL : http://

www.questionsdorient.fr/>.

327 BEYDUN, Ahmad, « The Revolutions in Tunisia and Egypt », Perspective [On-line], mai 2011, n°2, p.22, Available

from internet : <URL : http://www.lb.boell.org/downloads/02_Perspectives_ME_2011_The_Arab_World_in_Revolt.pdf>.

328 FEKI, Masri, Op. Cit., p.24-33.

329 OTTAWAY, Marina, « The Middle East is in transition – to What ? », Insight Turkey, 2011, vol. 13, n°2, p3. 330 DEDEOĞLU, Beril, « Arap ülkeleri ve ‘uzun bahar’ », Star Gazetesi, 6 juin 2012.

opter. Certains pays ont choisi de rester neutre ou indécis face à ces mouvements. D’autres ont pris les décisions qu’on leur prédisait. Puis une troisième catégorie de pays-acteur qui a agi en fonction des tournures que prenaient les événements.

Selon Zeynep Songülen İnanç, la France fait partie de cette troisième catégorie de pays acteurs. La France a choisi deux types de position : elle s’est engagée auprès du régime tunisien au départ et pour cela elle a même proposé une aide policière à Ben Ali. En réalité, elle a d’emblée soutenu l’utilisation de la force pour faire taire les revendications populaires. Cependant, l’éclatement de mouvements de contestation en Egypte a contraint la France à changer sa position331. Pour ce qui est

de la Turquie, le gouvernement de Ak Parti a choisi la neutralité, comme il est coutume de faire en diplomatie turque. Cependant, le déroulement des événements a contraint la Turquie à choisir une position et ainsi de se faire une place dans ce mouvement qui ravage toute la région332. Donc les deux

pays font partie de cette troisième catégorie de pays-acteurs ayant agi en fonctions des événements. Cela semble donc les opposer, puisque leur approche a été profondément contradictoire.

Il faut noter tout de même, que la différence fondamentale entre la France et la Turquie concernant le Moyen-Orient repose sur leur passé. Les Turcs ont un passé à partager avec le Moyen- Orient, ils ont occupé les terres arabes pendant des décennies et ont tissé des liens profonds, sans qu’il n’y ait de profonde contestation envers l’Empire. Tandis que la France s’intéresse au Moyen-Orient pour des raisons géostratégique, même si les Français ont occupé certains pays de la région, cette occupation s’est très mal passée pour la plupart d’entre eux. Ainsi, nous constatons d’emblée une opposition entre la France et la Turquie concernant la politique moyen-orientale. Selon Ariane Bonzon, depuis que la Turquie a retrouvé sa puissance régionale, elle prend la France pour son rival. Cette rivalité est même personnifiée entre Nicolas Sarkozy et Recep Tayip Erdoğan « car les deux hommes ont la même ambition de grandeur ». Ainsi la visite de Sarkozy à Tripoli qui a suivi celle de Erdoğan semble illustrer cette opposition, voir cette concurrence333.

331 İNANÇ, Zeynep Songülen, « Fransa Arap Baharının Neresinde ? », Stratejik Düşünce, 2011/10, vol. 2, n°23, p.43. 332 BOZARSLAN, Hamit, « Les conséquences du « printemps arabe » au Moyen-Orient », Moyen-Orient, 2011, n°12, p.9. 333 BONZON, Ariane, « La France et la Turquie, les nouveaux amis-rivaux des révolutions arabes », Slate, 21 septembre