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L’organisation et la structuration de l’espace par les outils et logiciels

L’oeuvre numérique prend place dans un espace qui fait l’objet d’une réflexion et d’une construction de la part de l’auteur. L’auteur a ainsi recours à plusieurs tâches artistiques

55 ​Ma traduction, voir annexes.

56​HAYLES N. Katherine, ​Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-Specific Analysis​ [En ligne].

2005. http://www.cws.illinois.edu/IPRHDigitalLiteracies/Hayles.pdf (Consulté le 3 septembre 2018)

57​CHAPELAIN Brigitte (dir.), MALBREIL Xavier, « Quelques problématiques du récit hypertexte

multimédia », ​Écritures en ligne : pratiques et communautés​, ​Op Cit​.

d’écriture et de création pour réaliser une oeuvre. Il a à sa disposition divers outils et logiciels qui lui permettent de structurer les différents éléments de l’oeuvre et d’en modeler l’espace. L’architexte est ce qui permet l’écriture à l’écran, notion qu’Yves Jeanneret et Emmanuel Souchier définissent ainsi : « Nous nommons architextes (de archè, origine et commandement), les outils qui permettent l’existence de l’écrit à l’écran, en commandent l’exécution et la réalisation. Autrement dit, le texte naît de l’architexte qui en balise l’écriture » . Les architextes 59 imposent certaines règles de composition pour l’auteur et fournissent un cadre d’écriture. La structuration de l’espace d’une oeuvre numérique dépend donc aussi de l’architexte, des outils qui vont faire advenir cette écriture. L’auteur ne s’accompagne pas simplement d’un logiciel de traitement de texte mais développe une réflexion en amont sur la disposition et l’apparition de son écriture dans l’espace hypertextuel. L’écrivain numérique M. D. Coverly compare dans cette optique la pratique de l’écrivain traditionnel, qui écrit une phrase et s’en satisfait, à l’auteur numérique qui « écrit la même phrase puis va s’interroger sur quels comportements et quelles animations devraient être attachés aux mots, dans quelle police et couleur ils devraient apparaître, sur quel fond et par dessus (ou par dessous) quels couches (​layers​), à quels autres textes ou structures ils devraient être liés » . Le logiciel, ou 60 ​software​, revêt donc une importance toute particulière qui vient bousculer les habitudes d’écriture en faisant intervenir de nouvelles problématiques d’affichage et de construction de l’oeuvre. L’architexte intervient comme un élément essentiel dans la poétique de l’auteur et va influencer sa manière de traiter le texte et l’espace pour entraîner de nouvelles stratégies d’écriture. Certains espaces sont ainsi déjà définis par la plateforme d’écriture, notamment la plateforme Undum qui présente toujours le même espace à la surface de l’écran. L’enjeu d’Undum se situe avant tout dans l’espace invisible au lecteur, celui d’une carte dessinée par les différents hyperliens qui constituent et construisent le texte. L’enjeu se situe donc dans l’espace invisible aux yeux du lecteur, comme le souligne Mark Marino :

« Dans Living Will, l’espace est davantage celui que vous pourriez trouver dans une fiction imprimée (...). Cependant, en tant que système hypertexte, Undum est composé de lexies, ou de bouts de texte, qui ont souvent été visualisé dans des dimensions spatiales (comme dans Storyspace ou Twine). » 61

Créer un système hypertextuel s’avère alors être une tâche complexe qui pousse les auteurs à hiérarchiser des fragments, à relier des lexies afin de créer plusieurs chemins de lecture. Sur ces plateformes, l’attention de l’auteur va davantage se centrer sur le développement de l’espace invisible, lequel est fait dans Undum de « situations », des liens d’actions 62 qui amènent à la construction de la FH. Undum comprend également des particularités, notamment la possibilité pour les personnages de la fiction de gagner de l’expérience. Le logiciel amène ainsi le lecteur à penser non seulement le texte mais également les personnages de manière individuelle et leur 59​JEANERRET Yves, SOUCHIER Emmanuel ; cités par DESEILLIGNY Oriane. « Matérialités de l’écriture : le

chercheur et ses outils, du papier à l’écran », Sciences de la société [En ligne]. 20 juin 2014.

https://sds.revues.org/224 (Consulté le 3 septembre 2018)

60​HAYLES N. Katherine, ​Print Is Flat, Code Is Deep: The Importance of Media-Specific Analysis​, ​Op Cit​. 61​Ma traduction, voir annexes.

62​MASON Stacey, “Undum”, ​Hlit, Literary Hypertext And The Future of Serious Reading​ [En ligne]. 2010. http://htlit.com/archives/August2010/Undum.html (Consulté le 3 septembre 2018)

actualisation. La pensée de l’écriture ne saurait alors se détacher de son support et des outils, lesquels amènent à penser l’écriture différemment et la conditionnent dans une certaine mesure.

Evelyne Braudoux voit ainsi dans ce changement de support d’écriture des « modifications dans les étapes préparatoires à la textualisation » . Elle compte dans ces étapes : la « mise en relation 63 des éléments », la « hiérarchisation des éléments reliés », la « textualisation et mise en forme du document » . La spécificité du numérique amène ainsi l’auteur à organiser l’espace de son texte64 de manière plus approfondie et complexe, de manière à créer un écosystème textuel où chaque élément a une place bien définie. Andy Campbell confirme l’impact qu’ont les logiciels sur son écriture et soutient qu’une partie de son écriture lui vient par l’expérimentation et l’exploration de logiciels : « Pour moi, les idées et concepts narratifs ne viennent pas juste par mon écriture mais également par l’expérimentation des médias et des logiciel. » . Les logiciels participent 65 ainsi à un processus poétique de création, ils permettent d’explorer les possibilités qui s’offrent à l’auteur. La vision et réalisation de l’espace numérique va essentiellement dépendre des technologies utilisées et des options données par les logiciels. Ainsi Andy Campbell utilise-t-il des logiciels tels que Photoshop pour les traitements graphiques de ses oeuvre ou Unity pour la création d’un « environnement 3D » . L’utilisation d’un outil comme Diigo pour 66 ​Marginalia in the Library of Babel​, permet de s’adapter idéalement à l’enjeu de l’oeuvre par l’annotation directe de pages web sans avoir besoin de les reproduire. Par Diigo, l’auteur reste dans la pratique médiévale des ​marginalia, faisant sens avec un espace qui reprend les codes et la culture du livre manuscrit et imprimé. En effet, le numérique reprend des éléments médiévaux comme par exemple la manicule présente sur le curseur de la souris. L’utilisation de cet outil permet ainsi de s’inscrire dans cette culture et de faire de ​Marginalia in the Libray of Babel ​une oeuvre jouant avec la culture des annotations.

Le rapport au texte et à l’espace est ainsi influencé par l’utilisation de certains outils et logiciels. L’espace et le texte sont aussi structurés par l’architexte et ce nouveau traitement de l’oeuvre va venir modifier les pratiques d’écriture traditionnelles en faisant intervenir des spécificités qui leur sont propres et avec lesquelles l’auteur doit composer. Le choix des outils d’écriture se fait ainsi parfois en amont de l’écriture pour répondre à un des critères bien précis, comme par exemple l’utilisation de Diigo pour annoter le web. Les outils et logiciels définissent ainsi un cadre d’écriture que l’auteur explore et expérimente dans sa pratique.

Les procédés de navigation et d’organisation de l’espace