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Chapitre II : Métabolisme énergétique, prise alimentaire et obésité

3. L’obésité

L’obésité touche toutes les classes sociales et tous les pays du monde même si les prévalences sont supérieures chez les plus pauvres. Les régimes alimentaires changent en même temps que les revenus dans les pays en voie de développement, et il existe une transition de la consommation de céréales et de tubercules vers la viande, la graisse, les sucres, mais aussi les fruits et les légumes. Contrairement aux idées reçues, le mode de consommation occidental, et les excès dont il est coutumier n’impacte pas seulement les classes sociales défavorisées, mais bel et bien les classes moyennes et les milieux riches. Par exemple, en Chine, depuis l’apparition de la nourriture occidentale, l’obésité a explosé dans les milieux les plus aisés. Cette surconsommation va également de pair avec un mode de vie de plus en plus sédentaire. Dans les pays en voie de développement, la proportion de personnes obèses ou en surpoids a triplé de 1980 à 2008, et a quasiment doublé dans les

pays à hauts revenus (Stevens et al., 2012). Malheureusement, il est aujourd’hui impossible d’ignorer que l’obésité, avec une consommation excessive de sels, de gras et sucres est liée à l’augmentation de l’incidence de maladies dévastatrices comme cancer, diabète, maladies cardiovasculaires et accidents vasculaires cérébraux (AVC). Par ailleurs, l’obésité se caractérise par un excès de consommation de nourriture de qualité déséquilibrée : les obèses souffrent de dénutrition avec une chute des sels minéraux et des vitamines ingérées, ce qui fragilise tout l’organisme.

Chez des personnes qui ont un rapport à la nourriture totalement désorganisé, l’éducation alimentaire est primordiale et le lien à l’aliment doit être expliqué, en particulier aux enfants, pour qu’ils améliorent leurs régimes alimentaires et augmentent leur activité physique à titre préventif. Il est toutefois difficile d’appliquer des recommandations globales puisque les régimes alimentaires varient selon la disponibilité des revenus, des préférences culturelles, des denrées… Un dossier très complet sur les habitudes alimentaires de différentes populations, leur impact sur la santé, la façon dont elles pourraient être influencées par des données économiques, et la manière dont l’agriculture et les politiques de santé publiques pourraient être amenées à s’y adapter et évoluer, est disponible sur internet (http://www.odi.org/future-diets).

L’épidémie d’obésité ne peut pas simplement être expliquée par la transformation des modes de vie et de la modification de données économiques, pas plus qu’elle ne peut être endiguée simplement par un mode de vie sain, davantage de sport et des politiques sociales adaptées, surtout quand la personne est déjà obèse. De multiples facteurs, incluant de façon non exhaustive des facteurs génétiques, psychosociaux, environnementaux ou encore pharmacologiques contribuent de façon significative à l’obésité et font l’objet d’études très détaillées (McAllister et al., 2009). Dans ce contexte, il est nécessaire de disposer de très nombreux modèles d’animaux obèses pour apporter des preuves expérimentales spécifiques avec l’étude des causes hypothétiques de l’obésité, qu’elles soient métaboliques et/ou cérébrales, et de leur traitement, et pouvoir éventuellement les transposer à l’Homme. Pour ma part, je ne décrirai ici que quelques-uns de ces modèles, les plus utilisés et les plus proches de la thématique de recherche de cette thèse, mais une liste complète de ces modèles est dressée par plusieurs revues (Kanasaki and Koya, 2011; Lutz and Woods, 2012; Nilsson et al., 2012).

3.1 Les modèles de l’obésité chez les rongeurs

3.1.1 Les modèles monogéniques

Je décrirai principalement les modèles monogéniques de rongeurs majoritairement dépendant de la leptine (à l’exception des MCR4-KO que je décris en fin de chapitre), d’une part puisque ce sont les mieux décrits dans la littérature, et d’autre part puisque j’ai moi-même utilisé de façon extensive le modèle ob/ob. Ce sont des modèles dans lesquels un seul gène est absent ou déficient puisque les animaux avec un défaut de la signalisation leptinergique dans l’hypothalamus développent rapidement un phénotype obèse morbide.

Souris ob/ob

Comme indiqué plus tôt dans le chapitre, une mutation spontanée est à l’origine du phénotype obèse marqué des souris ob/ob, identifié par Coleman (1978). Ce n’est que lorsque le produit du gène muté, la leptine, a été identifié par Zhang et al. (1994) que les travaux sur les origines génétiques de l’obésité ont débuté. Phénotypiquement, l’absence de leptine conduit à une obésité marquée et précoce caractérisée par une hyperphagie, une dépense énergétique réduite et une hypothermie, ainsi que d’autres effets secondaires incluant l’hypercorticosteronémie, une résistance à l’insuline associée à de l’hyperglycémie et de l’hyperinsulinémie, un hypothyroidisme et un déficit d’hormone de croissance. Ces souris sont également stériles. L’obésité des souris ob/ob est une des rares formes d’obésité à pouvoir être traitée par une administration exogène de leptine, qui, par injection répétée, rétablit tous les défauts phénotypiques constatés. La déficience en leptine a été observée dans de rares cas d’obésité humaine (O’Rahilly, 2009)

Souris db/db

Les souris db/db ont un phénotype similaire aux ob/ob : elles sont hyperphagiques, ont une dépense énergétique réduite conduisant à une obésité marquée et précoce, sont hypothermiques et ont également une déficience en hormone de croissance. Cependant, certaines d’entre elles présentent une hyperglycémie encore plus marquées que les ob/ob, et bien qu’elles soient capables de sécréter de la leptine, elles ne possèdent toutefois pas de récepteur Ob-R fonctionnel. Ces souris sont insulino-résistantes et développent un phénotype partiel de diabète de type II, ce qui leur a valu d’être fréquemment utilisées pour l’étude des syndromes similaires à cette maladie. Comme pour les ob/ob, cette mutation du récepteur à la leptine peut être trouvée chez l’Homme, mais elle est extrêmement rare.

Rats Zucker, ZDF et Koletsky.

De façon analogue aux souris db/db, plusieurs modèles de rats leptino-résistants ont une mutation sur le gène du récepteur Ob-R. Les rats obèses Zucker (fa/fa ou « fatty ») et les rats Koletsky portent des formes mutées du domaine extra-cellulaire du récepteur à la leptine. Ils développent un phénotype similaire d’hyperphagie et de dépense énergétique réduite, conduisant à une obésité morbide. Ces rats ont une tolérance réduite au glucose, un déficit de croissance potentiellement lié à l’activité de l’axe gonadotrope (GH/IGF-1), un hypothyroidisme ainsi qu’une fertilité réduite.

Les rats Koletsky ont une mutation qui abolit l’expression de l’ARNm du récepteur à la leptine (Friedman, 1998). A l’opposé, la mutation fa/fa des rats Zucker est associée à un défaut de transport du récepteur à la leptine : l’hormone est bien produite mais est retenue dans le compartiment intracellulaire. Les cellules des rats Zucker expriment bien le récepteur à leur surface mais leur nombre est très réduit et diminue de fait la détection de leptine et la transduction du signal. Par rapport au rats Zucker, les rats Koletsky présentent une hypertension artérielle et un phénotype plus sévère d’insulino-résistance.

Les rats ZDF (Zucker Diabetic Fatty) sont dérivés d’une souche de rats Zucker présentant une dérégulation précoce du métabolisme du glucose. Les rats ZDF développent rapidement des diabètes lorsqu’ils reçoivent un régime gras (High-fat Diet, HFD), et une partie de leur propension à développer des diabètes précoces serait liée à une expression altérée du transporteur de glucose dans le muscle squelettique (Zierath et al., 1998).

Souris MC4R-KO

La voie dépendante de la leptine, n’est pas directement impactée dans ce modèle, mais il reste malgré tout très utilisé dans différentes études. L’α-MSH et l’AgRP influencent l’homéostasie énergétique à travers leur action sur les récepteurs MC. En particulier, le sous-type MC4 est impliqué dans le contrôle de la prise alimentaire. Une inactivation spécifique de MC4 par une souris transgénique déficiente en MC4R induit une hyperphagie et une obésité morbide (Huszar et al., 1997). Les souris MC4R-KO sont également hyperinsulinémiques, hyperglycémiques et hyperleptinémiques. Par contraste avec d’autres modèles d’obésité, ces souris n’ont pas de taux de corticosterone circulants très élevés. Les souris MC4R-KO sont insensibles à la leptine, à l’α-MSH et à l’AgRP. Des mutations similaires des récepteurs MC4 chez l’Homme sont souvent citées comme étant la cause d’obésité d’origine génétique la plus fréquente.

Un modèle de rat MC4R-KO a également été décrit par Mul et al. (2012) : même s’il possède beaucoup de caractéristiques en commun avec son homologue murin, il existe des différences, notamment dans l’hypothalamus, où chez la souris MC4R-KO, il existe une expression augmentée de NPY mais pas de POMC, alors qu’à l’inverse, le rat MC4R-KO exprime plus de POMC, alors que le niveau d’expression du NPY reste inchangé.

3.1.2 Les modèles DIO (Diet-Induced Obesity)

Les modèles DIO reflètent bien la majorité des cas d’obésité observés chez l’Homme (c'est-à-dire d’origine non génétique, mais induite par l’alimentation) par rapport aux modèles génétiquement modifiés et constituent de fait une cible privilégiée pour différents essais thérapeutiques. Ils constituent également des modèles d’obésité qui ne sont pas purement dépendant du système leptinergique mais d’origine plurifactorielle. Différentes souches de souris répondent différemment aux régimes gras HFD proposés. Les souris C57BL6/J, que j’ai utilisées pendant ma thèse, sont très prisées pour les études DIO puisqu’elles développent un phénotype similaire au syndrome métabolique humain lorsqu’elles sont nourries avec un régime HFD (obésité, hyperinsulinémie, insuline-résistance) (Collins et al., 2004). De façon intéressante, au sein de la famille C57, certaines souches peuvent se montrer très résistantes au HFD et ne développer que peu ou pas de phénotype malade, comme la souche C57BL/Ksj. Chez le rat, les souches Sprague Dawley ou Long Evans sont fréquemment utilisées pour ce type d’études. La manipulation des différents éléments constitutifs du régime peut restaurer en partie un phénotype obèse chez ces modèles, même en cas de poursuite du régime HFD.

3.2 L’impact de l’obésité sur l’homéostasie énergétique

Les hormones et les différents peptides impliqués dans la régulation de l’homéostasie énergétique et la prise alimentaire sont impactés par l’obésité. Je décrirai ici les symptômes et perturbations majeurs décrits dans la revue de Crespo et al. (2014), en me concentrant de nouveau sur les molécules impliquées dans des interactions entre homéostasie énergétique et système olfactif.

Bien que le rôle de la ghréline dans l’étiologie de l’obésité soit encore mal compris, elle est considérée comme une cible vitale de par sa capacité à induire un état positif de la balance énergétique. Des études ont montré que l’absence de ghréline ou de son récepteur GHS-1a protégeait les souris contre les effets d’un régime HFD (Wortley et al., 2005; Zigman et al., 2005). Par ailleurs, une immunisation à la ghréline chez des rats a permis de réduire la prise de poids, alors que des anticorps anti-ghréline injectés chez des souris réduisent la consommation alimentaire après une période de jeun de 24h et permettent le maintien d’une dépense énergétique élévée (Mayorov et al., 2008). Néanmoins, l’absence de ghréline chez des animaux ob/ob ne semble pas diminuer la prise alimentaire ou le gain de poids, malgré une légère réduction de la glycémie.

En ce qui concerne la leptine, les mutations de son récepteur induisent une obésité chez l’Homme comme chez l’animal. Chez un individu obèse, le transport de la leptine à travers la barrière

hémato-encéphalique est défectueux, ce qui suggère une résistance du SNC à la leptine. Cette résistance pourrait également être associée à des anomalies de signalisation leptinergique (Morton et al., 2006). L’insuline est un signal de satiété et d’obésité (Schwartz and Porte, 2005). Une expression réduite ou la délétion de récepteurs à l’insuline dans le cerveau conduit à une hyperphagie et une obésité (Kuliczkowska-Plaksej et al., 2012).

Dans de nombreux cas d’obésité, les taux de glucocorticoïdes circulant sont très élevés, et exercent un effet orexigène par inhibition du CRH et stimulation de l’expression du NPY (Kyrou et al., 2006). Il a été également montré que chez des patients obèses, l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien répondait plus efficacement à différents stimuli (Pasquali et al., 2006).

Enfin, il faut préciser qu’il n’existe pas de modèle d’obésité chez le rongeur basé sur la manipulation génétique des récepteurs à l’insuline.

Chapitre III : Interactions olfacto-alimentaires et