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D EUXIEME PARTIE :

L ES LIENS PAR - DESSUS LES MURS

« Puisqu’on nous a un peu désincarnés… » Albertine SARRAZIN, Le Passe-peine, Paris, Julliard, 1976, p. 106.

Les liens entre le détenu et ses proches passent également par la correspondance et les appels téléphoniques (pour ceux qui sont incarcérés en établissement pour peines). Dehors, les proches ont également la possibilité d’adresser, par le biais de radios, des messages à la

personne détenue. Enfin, l’aide financière et matérielle (le colis de Noël, le linge et les livres) est l’une des formes du lien.

Le choix de regrouper ces différentes manifestations du lien entre les détenus et leurs proches est guidé par l’analyse de leurs nombreux points communs, mais surtout par l’intérêt que suscite leur confrontation. La responsabilité de leur mise en œuvre peut dépendre du détenu (le téléphone), de ses proches (les messages à la radio) ou être partagée (les courriers). En outre, ils impliquent des niveaux d’engagement personnel différents : il est plus facile d’envoyer de l’argent (quand on en a) que d’assurer une correspondance régulière. Enfin, ces liens requièrent des ressources variées dont peuvent être dépourvus les détenus et leurs proches (précarité économique et illettrisme notamment).

A. L

A CORRESPONDANCE

,

ENTRE RECONFORT ET CORVEE

La prison a toujours été un lieu d’où l’on écrit beaucoup, pour se rappeler au bon souvenir de ses ami(e)s, mais également parce que toutes les démarches administratives se font par courrier : « Ecrivez ! En taule, dès que tu demandes quelque chose, c’est ça qu’on te répond… » (Aicha, ex-détenue). Certaines des plus belles lettres françaises ont été écrites en prison : l’« Epître à mes amis », que François Villon (1973, 181-182) rédige en 1461 – lorsqu’il est emprisonné à Meung-sur-Loire – ou l’« Epître au Roi, pour le délivrer de prison », que Clément Marot (1977, 127) compose lors de son emprisonnement en 1527.

En France, cette modalité du lien des détenus avec l’extérieur a fait l’objet de peu de témoignages en dehors du recueil Merci pour le timbre (Collectif, 1993). D’autre part, elle fait l’objet que d’une seule recherche, celle de Morand (1976), qui porte plus spécifiquement sur les lettres des prisonniers politiques. Celle-ci observait notamment que l’écriture est généralement un effort, rarement un soulagement ou une libération (ibid., 44). D’autre part, les premières lettres se voudraient toujours rassurantes (ibid., 77), corroborant nos propres considérations sur le premier parloir.

La correspondance est certainement le lien le plus libre entre dehors et dedans. Les « bafouilles » (lettres) sont moins soumises au contrôle et à la censure depuis les années 1980. Longtemps, la correspondance des détenus a pu ressembler à ce que décrivait Hulme (1965, 140) dans les couvents :

On pouvait compter aussi les quatre lettres annuelles à la famille ; quatre pages à chaque fois, sans une ligne de plus, à moins d’en avoir la permission formelle. Mais Sœur Luc la demandait rarement. Pour remplir davantage les pages, elle se contentait de transformer sa grande écriture hardie en une mince dentelle d’araignée, de sorte qu’elle finit par avoir la même écriture que les autres sœurs missionnaires.

Toutefois, des restrictions de correspondance peuvent être prononcées pendant les premières semaines d’incarcération par le juge d’instruction. Elles suffisent parfois à détourner durablement un détenu de la correspondance.

Quand il était encore en instruction, il recevait son courrier qu’une fois par semaine. Il paraît que le maton lui annonçait : « Votre sac postal ! » Ça rendait pas trop les échanges faciles, mais bon… (Bénédicte, compagne de détenu)

Au début, je ne recevais pas les lettres qu’on m’envoyait, alors depuis, je ne veux plus écrire. Je ne sais pas où elles sont passées toutes ces lettres, alors maintenant, plus question d’écrire… En plus, j’arrive plus à écrire : ce n’est pas que j’ai rien à écrire, au contraire, je crois que j’ai trop de choses à raconter. Si j’écris à des potes, on va se chauffer mutuellement, c’est mauvais ! (Samir, centre de détention de Bapaume)

Nous avons évoqué l’envie frénétique, ressentie par la plupart des détenus, d’écrire pendant les premiers temps de l’incarcération (voir Première partie, p. 81). La correspondance, souvent intensive au début, tend à diminuer avec le temps, comme l’ont remarqué Fabiani et Soldini (1995, 261) lors de leur recherche sur la lecture en prison :

La longueur et la fréquence des lettres, au moins dans les premiers temps de l’incarcération, sont frappantes pour l’observateur extérieur. Cette prolixité ne constitue pas une constante, mais il est clair que la détention peut libérer des ressources scripturaires enfouies. La routinisation de la vie carcérale fait au contraire peser la menace du tarissement de l’inspiration, la succession de journées identiques ne donne plus de prise à la pulsion descriptive.

Il existe néanmoins quelques vrais « accros » aux courriers, comme Lucette et son conjoint, tous deux incarcérés à Bapaume : « On s’écrit tous les jours. Si jamais il a pas sa lettre, il fait appeler tout de suite pour savoir ce qui se passe. » En fait, comme les visites au parloir, une correspondance quotidienne oblige souvent les personnes à s’organiser en fonction des levées de la Poste et de la tournée du facteur, comme Adeline, une compagne de détenu, le relate :

Pour nous, le courrier est primordial. De toute façon, je m’arrange pour ne pas avoir à partir de chez moi avant que le facteur arrive… Y a souvent des problèmes… J’essaie de me raisonner, de prendre l’habitude… Mais si je n’ai pas de courrier, c’est terrible !

1. Ecrire et répondre, attendre et recevoir

L’usage des mots

Les chiffres de 10% de détenus illettrés et de 54% n’ayant pas atteint le niveau du premier cycle de l’enseignement secondaire (Pradier, 1999) sont souvent cités. Une enquête plus précise estime à 39% les entrants se situant en dessous du seuil de lecture fonctionnelle, contre 20% à l’armée (Collectif, 1997, 8). De plus, selon l’Administration pénitentiaire (2004b, 9), en 2003, 7 774 détenus ont suivi une formation contre l’illettrisme, ce qui donne également une idée de l’ampleur de l’illettrisme parmi la population pénale. L’incarcération oblige, souvent pour la première fois, le détenu et ses proches à écrire de façon régulière et personnelle. C’est fréquemment retenu comme un fait marquant de l’incarcération, comme le note Georges (maison d’arrêt des Baumettes) : « J’ai appris le français correctement depuis que je suis en prison. Mais les fautes d’orthographe m’ont jamais empêché d’écrire ! » Le témoignage d’Ahmed, ex-détenu, est très similaire et il permet de qualifier l’apprentissage de l’écriture de bénéfice secondaire de l’incarcération :

En fait, moi, avant d’arriver au placard, j’avais jamais écrit, même aux potes qui tombaient, j’écrivais pas... La prison, quand on y pense, ça m’a apporté quelque chose de ce point de vue…

Il ne faut pas minimiser la proportion de parents, notamment immigrés et/ou âgés, qui eux non plus, ne savent pas écrire ou qui sont trop complexés par leurs difficultés pour le faire. Ainsi, Fatima, mère de détenu, admet : « J’écris pas. Mon autre fils, quand il écrit, je lui dis de

rajouter ce que je veux lui dire. De toute façon, il sait, moi, je peux pas écrire. » En détention, les difficultés de rédaction sont parfois surmontées grâce à l’accès aux ateliers informatiques. L’ordinateur et le « copier – coller » permettent la rédaction de nombreux courriers à moindre effort. Beaucoup de détenus, qui se sont très tôt « fâchés avec l’école », soulignent également l'intérêt des correcteurs orthographiques sur les ordinateurs. Hocine (maison d’arrêt de Pau) explique ainsi : « Les lettres, je les fais que par ordinateur. Je fais un petit poème, je me prends pas la tête. Je les envoie à la mère de mon fils, à mon fils, à ma copine… »

J’écris pas beaucoup… Je suis complexé par mon écriture, c’est très long pour moi d’écrire. Maintenant, avec l’ordinateur, j’écris plus, il me dit mes fautes. Là, pour la Saint-Valentin, ça m’a pris deux jours ! Ça me gêne beaucoup de ne pas savoir bien écrire. […] Les lettres que je reçois, c’est de la Justice, de mon avocat ! (Renald, maison centrale de Clairvaux)

Ceux qui ne savent pas écrire préfèrent souvent avoir recours à un codétenu connu pour ses qualités rédactionnelles et/ou juridiques, sa fiabilité morale, plutôt qu’à l’écrivain public désigné par l’Administration pénitentiaire : celui-ci est parfois soupçonné d’être une « balance ». Le recours aux surveillants est lui exceptionnel : il nous a été néanmoins rapporté dans le quartier des mineurs, à Pau. Il est vrai que les rapports (très paternalistes) entre les gardiens – du reste assez désabusés – et les détenus n’étaient comparables à aucunes de celles que nous avons observées dans les autres établissements ou quartiers de détention. David, qui y est incarcéré, raconte ainsi :

Pour écrire une lettre, j’demande au surveillant, et après je recopie. Je préfère demander au surveillant, parce qu’avec les autres détenus, j’ai pas confiance… Pareil, quand je reçois une lettre, je demande au surveillant pour la lire.

Attendre…

En détention, les lettres sont précieuses. Comme tout lien avec l’extérieur, le courrier est à la merci des surveillants. Ils peuvent « oublier » de donner le courrier, faire semblant de chercher une lettre, retarder son départ de l’établissement. Dehors, devant la porte des parloirs, les proches viennent parfois aux nouvelles « Nous, cette semaine, on a galéré pour le courrier. J’ai rien reçu après le mercredi, et vous ? » (Journal, février 2003). Nous avons assisté, dedans, à plusieurs distributions du courrier et remarqué la tangibilité de la tension. Celle-ci est bien illustrée dans le film Les Maisons hantées, d’Idoia Lopez Riaňo (2000). Du reste, Fabiani et Soldini (1995, 259) ont souligné l’enjeu, pour le détenu, de la réception de lettres en terme de « maintien de sa présence au monde » :

[Celle-ci] dépend en partie de la capacité du détenu à répondre à ses correspondants, d’où l’attention tout à fait frappante que les détenus portent à l’écriture, même lorsqu’ils sont dans l’obligation d’avoir recours à un intermédiaire.

Les détenus insistent souvent davantage sur le fait de recevoir une « réponse » à leur courrier que sur la lettre reçue elle-même. Le taux de réponse est alors considéré comme un indice de la qualité des liens avec l’extérieur, comme l’illustrent les propos de Noël (centre de détention de Caen) :

J’ai beaucoup de courriers. Par exemple, pour les vœux, j’en ai envoyé 250… et j’ai dû avoir 220 à 230 réponses… Le budget timbres est mon principal budget…

Par contre, je ne prends jamais l’initiative d’une correspondance, pour respecter la liberté de la personne.

L’attente d’un courrier est souvent source d’angoisses pour les détenus, comme pour leurs proches. En fait, le déroulement du temps, différent à l’intérieur et à l’extérieur, entraîne des périodes d’inactivité dans la correspondance, suscitant l’angoisse des proches. De façon différente de l’effet « accordéon » décrit pour les parloirs, les retards dans l’acheminement du courrier et l’envoi quotidien de lettres entraînent des correspondances où les discussions se chevauchent et s’emmêlent. D’ailleurs, certains détenus et proches admettent écrire des lettres en sachant que l’autre ne les recevra pas ou ne les « touchera »1 que plus tard, notamment après le parloir. La correspondance est alors une façon d’être déjà ensemble. Perego (1995, 25) évoque ces « reports d’émotions », qui obligent la mémoire à « slalom[er] du passé au présent ».

Des fois, il faut tenir bon… Regarde, à un moment donné, il ne m’a pas écrit pendant quinze jours… Quinze jours, en taule, c’est rien, mais moi, j’attendais tous les jours, et à ce moment-là, je n’avais pas encore le permis… Imagine comment je flippais. Mais j’ai continué à écrire tous les jours. En fait, il faut tenir pour deux. (Bénédicte, compagne de détenu)

Lorsque les lettres se font rares ou que le courrier attendu n’arrive pas, il s’agit de trouver une raison et, en particulier, un responsable. Or, comme Jackson et Christian (1986, 38) le remarquaient à propos des condamnés à mort, au Texas, il est « moins pénible au détenu d’accuser l’Administration que d’admettre qu’une mère, une femme aimée ou même un magistrat ne réponde pas aussitôt à une lettre pressante. » Les propos d’Alain (centre de détention de Caen) corroborent cette observation :

Quand je ne reçois pas de lettre, je ne vais pas incriminer la personne. À 75%, c’est la faute des surveillants, et à 25% de la Poste. C’est plus facile de les accuser que d’accuser les personnes qu’on aime.

Lorsque la famille est à l’étranger, il est également rassurant d’attribuer l’absence de courrier à la situation politique du pays, comme le fait Ali (maison d’arrêt des Baumettes), originaire du Surinam. Néanmoins, les surveillants (et plus particulièrement ceux qui occupent la fonction de vaguemestre) focalisent l’hostilité des détenus et de leurs proches. Tous les retards dans l’acheminement du courrier leur sont attribués :

Cette semaine, on a galéré pour le courrier. Normalement, on s’écrit tous les jours, mais là, j’ai rien reçu après le mercredi… Des fois, on est tellement dégoûté qu’on s’écrit plus. On se demande ce qu’ils foutent avec les lettres, j’t’assure, des fois… (Gilles, compagnon d’une détenue)

De toute façon, il me l’a dit, mon copain, le nouveau vaguemestre, c’est un mou du gland… Ce qui faut comprendre, dans une taule, c’est que le vaguemestre, c’est souvent un maton qui n’aime pas trop être au contact des gars, ça t’explique pas mal de choses… (Naïma, compagne de détenu)

2. Les lettres : le public et le privé

Censure, autocensure

Excepté en cas de surveillance renforcée, la lecture du courrier des détenus est surtout aléatoire. Sa potentialité se matérialise toutefois par l’ouverture systématique des courriers.

Pour contrer cette agression qu’est le viol de la correspondance, les détenus et leurs proches peuvent utiliser plusieurs stratégies : l’autocensure, le codage de l’écriture ou, plus efficace encore, la soustraction du courrier à la censure. Il fut un temps où un trait noir recouvrait les passages des lettres dans lesquels les détenus évoquaient leurs conditions de détention. Aujourd’hui, la censure, en prison, ne concerne « que » les textes politiques. Dans nos entretiens, celle-ci a été notamment évoquée par les prisonniers politiques et les personnes qui les soutiennent. Mais la majorité des détenus et de leurs proches sont surtout confrontés à l’autocensure. Comme le résume Hélène, une compagne de détenu : « Je ne suis jamais arrivée à écrire comme si de rien, comme si je lui écrivais à l’extérieur. »

Il y a des choses que je n’écrirais pas… même après dix-neuf ans de prison. Je me suis toujours insurgé contre ça… On n’écrit pas avec le plus profond de son cœur… c’est eux qui me forcent à me censurer. Ça m’est arrivé de faire l’amour dans une lettre, mais une lettre que je faisais passer au parloir. Par respect, je n’écrirais pas ça dans une lettre qui passe à la censure. (Frédéric, maison centrale de Clairvaux)

Bien évidemment, l’intrusion du lecteur complique surtout l’expression des sentiments, comme le raconte Annie Livrozet (1983, 118) :

L’idée que d’autres que toi vont lire cette lettre paralyse mes sentiments et les élans de tendresse auxquels je voudrais me laisser aller. Si tu restes trop longtemps, je vais me transformer en vieille fille refoulée.

Beaucoup de détenus et leurs correspondants manient donc l’art des allusions et des codes, même si elle apparaît bien illusoire :

Assez vite, dans nos lettres, on s’est mis à parler de façon codée… à utiliser des expressions pour se comprendre. En fait des fois, c’est vraiment des casse-tête ! C’est pas une question de vie ou de mort, ce serait pas grave que les matons comprennent, mais c’est pour se recréer un peu d’intimité… (Adeline, compagne de détenu)

La lecture du courrier, on ne peut pas l’oublier. Mais surtout, on apprend à développer un langage compris que par les personnes à qui les lettres sont destinées. On joue un peu à cache-cache avec la censure… Mais tous ceux qui ont quelques années derrière eux de prison, ils n’ont plus rien de personnel. Même si on a notre propre langage pour parler des surveillants, par exemple de les appeler les « Bac moins 5 », eux aussi ils ont des expressions pour nous désigner. Ils ne sont pas imbéciles, ils sont en prison comme nous. Ils apprennent les combines. S’ils veulent savoir quelque chose, ils le sauront. On ne s’appartient plus, on appartient à l’A.P. (Alain, centre de détention de Caen)

Beaucoup de lettres échappent finalement à la lecture, d’où l’attitude de nombreux détenus qui répondent, à la question de la lecture du courrier, ainsi : « Je crains pas la lecture… Et sinon, je la fais passer par le parloir. » Contrairement à ce qu’on pourrait trop hâtivement penser, la teneur des lettres échappant ainsi à la « censure » n’a généralement rien d’illégal (notamment contre la sûreté des établissements) :

On peut pas oublier la lecture des surveillants. C’est pour ça que je fais passer des lettres au parloir… Pour préserver une espèce d’intimité avec ma femme. C’est un petit plaisir en plus de dire que ça n’a pas été lu.

En fait, l’importance de maintenir, à tout prix, une intimité apparaît surtout dans les témoignages de nos interlocuteurs :

Les lettres qu’il me passe au parloir et les autres n’ont rien à voir. Les lettres qui sont lues, faut faire gaffe… Faut parler réinsertion ! Peut-être pas quand même… Mais sur la prison, les idées politiques, on ne peut dire exactement ce qu’on

pense… Pour les mots intimes, c’est plus nous-mêmes qui nous censurons : j’ai pas envie que les matons lisent mes états d’âme ! Par contre, dans les lettres qu’il me passe, il m’écrit comme on se parle ! Ça peut être très direct ! (Nadège, compagne de détenu)

Les lettres, après, elles sont plus lues… Moi, je sais qu’elles ne sont plus lues. En plus, celui qui doit les lire, il pioche… À part si y a une mesure, le suivi de tel truand. Même en centrale, sur cent lettres, ils en lisent une. Mais, il suffit de passer les lettres par le parloir. Avant, j’en passais beaucoup… Déjà, parler à sa mère, c’est intime… Des fois, quand j’allais au parloir, j’avais l’impression d’être postier ! J’avais des fois une vingtaine de lettres… (Jean-Pierre, maison d’arrêt des Baumettes)

L’arrêt de la lecture du courrier a souvent été un objet de revendication de la part des détenus. D’ailleurs, dans de nombreux pays européens, le courrier est simplement ouvert en présence du détenu et le surveillant s’assure seulement que l’enveloppe ne contient rien d’illégal. Knobelspiess (1981, 11) réclamait cette réforme il y a déjà plus de vingt ans :

Ne plus lire le courrier des prisonniers, cesser ce voyeurisme, cette surveillance implacable concernant la pensée, l’univers social, familial envers les gens enfermés, il faudra combien d’années pour que l’Administration pénitentiaire mesure et prenne conscience que par cette censure elle n’accède plus à la démocratie.

L’usage des lettres

La plupart des détenus gardent précieusement le courrier qu’ils reçoivent, le classant scrupuleusement, maniaquement (par ordre chronologique, par expéditeur, etc.). Autant dire que la destruction systématique des courriers qu’il reçoit qu’opère Yannick (incarcéré à la centrale de Clairvaux) est plutôt rare :

Toutes les lettres que je reçois, je les déchire et je les jette dans les toilettes. Je garde que celles de la semaine, celles auxquelles je n’ai pas encore répondu. Et puis des fois les cartes postales…

Néanmoins, à l’approche de la sortie, les multiples boites et pochettes deviennent parfois gênantes (par ce qu’elles représentent) et beaucoup désirent subitement s’en débarrasser, à l’instar d’Yvon, incarcéré à la centrale de Clairvaux :

Les photos, c’est comme les courriers, je les ai toutes déchirées. Ça a commencé à S***. Ça me faisait mal. J’ai tout détruit mes affaires. J’étais prêt à partir avec un sac. Je refuse le fait de m’installer. J’ai pas besoin de photos.

Certains, à l’approche de leur libération, hésitent, comme Jean-Marie (centre de détention de