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AVP : accident de la voie publique

BEA : bulletin épidémiologique des armées BEH : bulletin épidémiologique hebdomadaire BIS : échelle d’impulsivité de Barrat

CAA : conduite auto-agressive

CEMAA : chef d’état major de l’armée de l’air

CepiDc : centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès CIM 10 : classification internationale des maladies dixième révision CRM : commission de réforme des militaires

CSO : centre de sélection et d’orientation

DCSSA : direction centrale du service de santé des armées DESP : département d’épidémiologie et de santé publique DGS : direction générale de la santé

DRASS : direction régionale des affaires sanitaires et sociales

DREES : direction de la recherche des études et de l’évaluation des statistiques DRSSA : direction régionale du service de santé des armées

DSM: manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux ESPT : état de stress post-traumatique

EVAT : engagé volontaire de l’armée de terre EVDG : école du Val-de-Grâce

GEPS : groupement d’étude et de prévention du suicide HIA : hôpital d’instruction des armées

HIALe : hôpital d’instruction des armées Legouest IMV : intoxication médicamenteuse volontaire

INSERM : institut national statistique et de recherche médicale INVS : institut national de veille sanitaire

ISRS : inhibiteurs spécifiques de la recapture de la sérotonine MEH : message épidémiologique hebdomadaire

MOOTH : military operations other than war OMS : organisation mondiale de la santé OPEX : opération extérieure

OTAN : organisation du traité de l’Atlantique Nord

PMSI : programme de médicalisation des systèmes d’information PRSP : plan régional de santé publique

RAPASAN : rapatriement sanitaire

RATP : régie autonome des transports parisiens RPT : retentissement psycho-traumatique SMPG : santé mentale en population générale SMU : service médical d’unité

TS : tentative de suicide

UNPS : union nationale pour la prévention du suicide VSA : visite systématique annuelle

La pulsion de mort s’exprime au cours des âges par une violence qui peut prendre le masque de la guerre ou du suicide [16,147,186]. Les suicides et tentatives de suicide sont une source majeure de mortalité et de morbidité en France et dans le Monde. La prévention des conduites auto-agressives est une priorité des politiques de Santé publique. De nombreuses études scientifiques traitent de la question du suicide. A contrario, il existe moins d’études s’intéressant aux tentatives de suicide. Pourtant, il est établi qu’elles représentent un facteur de risque de suicide accompli.

La dernière analyse épidémiologique des causes de décès en France décrit une diminution globale des taux de mortalité qui s’est renforcée depuis l’année 2000. Mais certaines causes de décès ont une évolution contrastée par rapport à la tendance globale, notamment le cancer du poumon et la maladie d’Alzheimer qui progressent ou les suicides qui ne régressent pas [5].

D’après l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), pour l’année 2002, le taux de mortalité mondial annuel du suicide est de 14,5 pour 100 000 habitants, constituant la treizième cause de décès dans le Monde. Il y aurait un décès par suicide toutes les 40 secondes. En Europe, le suicide aurait causé près de 170 000 décès cette même année [26]. La France est l’un des pays industrialisés qui connaît un des plus hauts taux de suicide, considéré comme Grande Cause Nationale depuis 1999.

En 2004, les 15–24 ans sont une population à haut risque de mort violente par accident de la voie publique. Dans cette classe d’âge, le suicide est la deuxième cause de décès tandis qu’il devient la première cause chez l’homme de 25-44 ans [5]. L’incidence annuelle des tentatives de suicide a pu, quant à elle, être estimée par l’INSERM, à partir de diverses enquêtes épidémiologiques, surtout hospitalières [11,14].

Dans les armées, les conduites auto-agressives posent de sérieux problèmes de sécurité tant au niveau individuel que collectif. En effet, l’armée est un groupe social issu de la population mais qui adhère à des valeurs de référence telles que le haut respect de la discipline et de la hiérarchie. Le métier de militaire est diversifié, faisant appel à une multitude de fonctions différentes, ce qui en fait aussi son attractivité. La force de ce système, aux facettes multiples, est l’unité fonctionnelle, à savoir un groupe de quelques militaires. Ce groupe travaille pour une mission donnée, réunissant pour cela un petit nombre de personnes aux fonctions plus ou moins différentes mais hautement complémentaires. Les personnes appartenant à un même groupe ne s’imitent pas. Elles vont toutes vers une même direction dont l’objectif est d’accomplir une mission. Le groupe ne peut fonctionner que s’il existe une cohésion. Une cohésion faible avec une chute de l’idéal et du sens de la mission est un facteur prégnant de déstabilisation et la porte ouverte à une série de troubles tant individuels que collectifs. Un groupe affaibli, parfois par un seul individu, est beaucoup moins opérationnel et peut mettre en danger gravement la mission. Sans cohésion, il ne peut y avoir de capacité opérationnelle. Chaque groupe doit reconnaître un chef qui symboliquement possède une fonction paternelle puisque porteur de la loi et du respect du cadre. Mais chaque médaille a son revers et il existe parfois une certaine crainte, ou même un sentiment de ne pas être suffisamment entendu, créant un vécu sensitif. Le groupe en général et l’individu en particulier ont besoin de reconnaissance.

La professionnalisation de l’armée avec l’abolition de la conscription est récente et a modifié certains aspects de l’institution militaire. Elle s’accompagne d’une plus grande capacité de projections vers des théâtres opérationnels, souvent dans le cadre de la participation de la France dans l’OTAN. Comme le souligne le nouveau livre blanc de la Défense Nationale, « le monde n’est pas nécessairement plus dangereux, mais il est devenu plus instable et plus imprévisible. Il existe en l’occurrence une montée du terrorisme en

France mais aussi dans le reste du monde. La nation exige des militaires le plus haut degré de professionnalisme dans tous les domaines… » [163]. Les militaires doivent posséder de bonnes assises psychologiques répondant aux normes d’aptitude avalisées par le commandement. La féminisation croissante dans les armées, particulièrement marquée dans le service de santé, mais existant dans toutes les armées (en dehors de la Légion Étrangère), apporte un regard nouveau dans bien des domaines, mais est parfois potentiellement source de réduction momentanée en effectifs projetables (notamment en cas de grossesse).

Il existe plusieurs sortes de missions. Celles dites de guerre sont les plus classiques puisqu’il s’agit d’un engagement au combat dans un conflit déclaré. Les deux guerres mondiales du XXème siècle font malheureusement référence en la matière. Mais les guerres

persistent pour l’armée française avec un engagement dans le Golfe en 1990, et un engagement plus récent (2001) en Afghanistan dans le cadre de l’ISAF (Force Internationale d’Assistance à la Sécurité). Les autres missions se déclinent en missions d’interposition constituées par des foyers multiples et mobiles (comme par exemple la FORPRONU en ex-Yougoslavie) et en missions de maintien de la paix, ce qui n’exclut pas des actions brèves et limitées offensives. Il existe également des missions humanitaires telles que l’opération « turquoise » au Rwanda. Ces dernières peuvent malgré tout posséder leur lot d’horreurs avec confrontation soudaine à des atrocités (charniers, massacres…). Il faut savoir que certaines unités sont particulièrement mobiles avec des départs en OPEX annuels, d’une durée allant classiquement de quatre mois jusqu’à six mois ou davantage pour les missions en Afghanistan.

Les matériels utilisés sont de plus en plus sophistiqués et nécessitent non seulement une formation technique de qualité, mais une attention toute particulière lors de leur emploi, excluant tout problème psychologique, qu’il soit chronique comme un trouble de la

personnalité par exemple, ou ponctuel comme des troubles du comportement sous l’effet de substances psychoactives (SPA).

La population militaire peut être évaluée à travers deux grands groupes : d’une part, les engagés, population jeune dans son ensemble (18 – 36 ans, la majorité ayant moins de 25 ans) et de plus en plus attractive pour les femmes ; et d’autre part les militaires de carrière, en moyenne plus âgés mais au statut plus protecteur. Les engagés conduisent leur carrière avec des contrats renouvelables, le plus souvent tous les cinq ans, parfois pour des durées moindres. Les motivations d’engagement sont variées, allant de motifs teintés par l’immaturité du jeune âge à des idéaux plus profonds mais parfois prédisposant à un certain manque de souplesse. Le contexte socio-économique actuel pousse la plupart de ces jeunes gens à désirer faire carrière dans une institution reconnue pour sa rigueur et une certaine sécurité financière associée. Mais il s’agit également d’une idéalisation pour les métiers d’armes, d’une volonté de vouloir « servir sa nation », et d’un désir de travailler « dans l’humanitaire ». Néanmoins, le statut des engagés reste lié aux aléas des renouvellements de contrat. L’expérience montre que les deux périodes les plus délicates sont les deux premières années du premier engagement, le militaire étant souvent déçu par le décalage existant entre ses idéaux d’engagement et la réalité du terrain, mais aussi le deuxième contrat entre six et onze ans de carrière où l’on observe volontiers un certain épuisement, en partie dû à une multiplication des opérations extérieures (OPEX). La question de l’adaptation peut par conséquent se poser très tôt ou au cours des premières OPEX, parce qu’un point de rupture est atteint, ou parce qu’un trouble psychiatrique sous-jacent se révèle (trouble grave de la personnalité, déclenchement psychotique…) dans des moments délicats de déstabilisation. Des conduites addictives peuvent alors se rencontrer, avec une prédominance pour la consommation de cannabis, souvent associée à des abus répétés d’alcool (alcools forts, recherche de « défonce »).

Les militaires de carrière regroupent le corps des sous-officiers (officiers mariniers dans la Marine nationale) et des officiers. La tranche d’âge est supérieure, la majorité se répartissant entre 30 et 55 ans. Cette population se caractérise par les aléas du parcours de la carrière au gré des mutations, des changements de grade et/ou de fonctions. Ce groupe est également plus marqué par des difficultés socio-familiales (célibat géographique, risque élevé de divorces, surtout pour les femmes militaires, grands enfants à charge…). Lorsque des troubles psychiatriques sont décelés, ils sont plus volontiers chroniques et/ou intenses, tels les troubles de l’humeur ou une psychose paranoïaque évoluant à bas bruit avec parfois des paroxysmes tout aussi bruyants qu’inquiétants et déstabilisants pour l’entourage tant familial que professionnel. Ce groupe n’est pas épargné par les mésusages de SPA, essentiellement des abus ou une dépendance à l’alcool. La consommation associée de tabac est fréquente aggravant la morbi-mortalité.

Les missions possèdent des spécificités différentes suivant les armes, mais des points communs sont retrouvés. En l’occurrence, les départs en missions extérieures sont souvent répétés au cours de la carrière. La présence de l’arme est une constante, bien sûr évidente pour les gendarmes, mais tout aussi fréquente lors des OPEX ou même lors des manœuvres sur le terrain. Autre facteur fragilisant souvent retrouvé, la promiscuité, qu’il s’agisse d’une promiscuité de circonstance lors des OPEX, ou lors des sorties en sous-marins, ou davantage ancrée dans un mode de vie en gendarmerie rendant la séparation lieu de travail – lieu de vie privée assez floue. Mais en ligne de fond est constamment posée la question de la mort, celle de l’autre devenant traumatisante en ce sens que l’autre peut représenter un alter ego, mais aussi la mort de soi. La mort n’est pas seulement celle que le militaire risque de recevoir dans cette position sacrificielle qu’il est sensé accepter tout au long de sa carrière, mais aussi celle qu’il peut être amené à donner dans les conditions d’exercice de son métier. Par ailleurs, il peut s’agir d’une mort particulièrement atroce lors de la découverte de charniers ou de visions

particulièrement effroyables, visions de guerre, d’autant plus insoutenables qu’elles touchent la population civile et encore plus les enfants, mais aussi visions de suicide ou de morts par accidents de la voie publique, lot quotidien des gendarmes ou de la brigade des sapeurs pompiers de Paris. Des points plus spécifiques à chaque Arme sont également retrouvés. Pour chacune, il existe des postes à risques, comme par exemple l’appartenance aux troupes aéroportées dans l’armée de terre, les pilotes de chasse de l’armée de l’air, les sous-mariniers dans la Marine nationale, le GIGN (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale).

Ainsi, l’engagement dans l’institution militaire n’est pas seulement de nature contractuelle. Il impose bien d’autres vécus, uniques en leur genre, ce qui en fait sa force mais aussi sa difficulté. Seul un esprit de cohésion, acquis patiemment avec l’entraînement et renforcé par des valeurs militaires fortes, permet d’aller de l’avant. Ceci ne peut se concevoir que grâce à une sélection rigoureuse des personnels, sélection d’abord initiale à l’engagement, puis tout au long de la carrière lors des visites systématiques annuelles et des visites programmées lors d’événements particuliers (changement de statut, renouvellement de contrat, départ en OPEX mais aussi retour d’OPEX, et aussi tout événement pathologique intercurrent).

Entre 2001 et 2005, les armées ont subi 332 suicides (soit en moyenne 66 suicides/an ou plus d’un suicide par semaine) et environ trois fois plus de tentatives. Ce chiffre est extrait d'un document du service de santé des armées intitulé « conduites auto-agressives dans les armées : tentatives de suicide et suicides. Résultats de la surveillance épidémiologique 2001-2005 » réalisé par l'Ecole du Val-de-Grâce [190]. Sur 332 suicides, 44,9% utilisent une arme à feu, en particulier dans la gendarmerie. La pendaison vient juste après avec 39,7%. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les suicides ont lieu surtout en métropole et peu en opération extérieure. D'une armée à l'autre, les chiffres sont variables. Ainsi, on se suicide

deux fois plus dans la Gendarmerie que dans la Marine. Mais, on se suicide moins dans les armées que dans la population civile.

La prévention des conduites auto-agressives dans les armées présente des particularités liées à la population militaire qui pour pouvoir manier les armes et s’adapter à un environnement difficile est soumise à une sélection médicale stricte et à une surveillance épidémiologique accrue. Peu d’études se sont intéressées aux déterminants de l’auto-agressivité dans les armées. En indexant les mots-clefs « suicide attempt ; army ; servicemen » dans le moteur de recherche Medline, seules dix publications internationales sont spécifiquement référencées depuis 1997 sur les tentatives de suicide en milieu militaire.

Après avoir défini plusieurs termes propres à cette question et l’avoir resituée dans son contexte historique, nous présentons une revue bibliographique sur le suicide et les tentatives de suicide à la recherche de facteurs de risque. Nous détaillons ensuite la surveillance épidémiologique des suicides et tentatives de suicide en milieu civil et militaire. Grâce à une étude rétrospective sur dossier médical, nous déterminons les caractéristiques sociodémographiques et étiopathogéniques d’une population de suicidants militaires prise en charge à l’Hôpital d’Instruction des Armées Legouest à Metz. Les résultats de cette étude personnelle sont ensuite mis en perspective avec ceux de la surveillance épidémiologique des armées d’une part, et les données de la littérature d’autre part. Grâce aux résultats de ces recherches, et après trois illustrations cliniques, nous proposons des mesures de prévention primaire, secondaire et tertiaire pour tenter de prévenir et limiter la mortalité et la morbidité des gestes auto-agressifs dans les armées et donner des outils aux médecins d’unité pour les aider dans cette tâche.