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1.7.1. Le bilan

Ce premier chapitre a détaillé comment les approches traditionnelles de l’écriture définissent les mécanismes qui sous-tendent la production d’écriture à partir d’une double constatation. D’une part, les modèles cognitifs ont cherché à définir l’unité fondamentale de l’écriture à partir du concept d’invariance. D’autre part, des tracés préférentiels sont observés selon certaines contraintes de production et de perception.

1/ L’écriture nécessite la mise en action de deux composantes principales (le poignet et la pince des doigts) afin de tracer des lettres sur un plan (déterminé par les axes x et y), le système « poignet-doigts » étant respectivement assimilé aux composantes spatiales x et y de la trajectoire du stylo (Athènes et al., 2004 ; Denier van der Gon et Thuring, 1965 ; Denier van der Gon et al., 1962 ; Hollerbach, 1981 ; Sallagoïty, Athènes, Zanone & Albaret, 2004 ; Teulings, 1996 ; Teulings et al., 1989).

2/ En tant que mouvement humain, l’écriture s’effectuerait à partir d’un contrôle rétroactif, principalement visuel et haptique, et d’un contrôle proactif, centré des propriétés invariantes de la formation de la trace. Le contrôle rétroactif s’effectuerait à partir d’informations spatiales (statiques) sur la trace produite et spatio-temporelles (cinématique) sur la trace en train de se produire. Le contrôle proactif s’effectuerait à l’aide de programmes moteurs encodés et mémorisés par le système cognitif.

3/ L’invariance serait le concept clé qui permet de définir l’unité fondamentale de l’écriture : le graphème pour les théories cognitives (e.g. Van Galen, 1991) ou des caractéristiques de la trace produite (e. g. Plamondon, 1995a, 1995b).

4/ Ces propriétés invariantes seraient présentes à la fois dans les caractéristiques perceptives et motrices du mouvement d’écriture, envisageant l’écriture à partir d’un lien étroit entre perception et action.

5/ Enfin, en parallèle à l’observation de certaines invariances, certaines préférences d’écriture sont identifiées à partir des contraintes liées à l’effecteur ou aux processus perceptifs.

CHAPITRE I – Etude de la formation de la trace écrite

1.7.2. Le nœud du problème

En se centrant sur les mécanismes et principes d’invariance de l’écriture, les modèles issus des théories cognitives s’accordent à définir l’unité motrice de l’écriture à partir de la mémorisation et de l’activation de programmes moteurs propres spécifiques à chaque graphème. L’une des principales limites auxquelles se confrontent ses modèles est qu’ils ne permettent pas de comprendre pourquoi l’exécution d’un programme moteur n’est pas possible selon certaines contraintes.

Prenons comme exemple l’expérience Gamma-V de Konzem (1987 ; cité dans Schmidt & Wrisberg, 2004) que vous pouvez réaliser vous-même. Dans un premier temps, tracez avec la main gauche la lettre gamma (γ) assez rapidement, sans correction pendant l’exécution. La figure doit croiser au milieu et être arrondie en bas. Une fois ce geste maitrisé, passez le crayon dans la main droite et tracez la lettre V suffisamment rapidement pour qu’il n’y ait pas non plus de correction pendant l’exécution. La procédure est la même sauf que le tracé n’est plus croisé au milieu mais contient un angle en bas. La plupart des individus n’ont aucun problème pour tracer ces deux graphèmes. Puisque les mouvements pour réaliser ces deux formes sont exécutés sans correction, Konzem (1987) fait l’hypothèse qu’à chacune de ces deux formes correspond un programme moteur propre. Ces deux programmes sont différents car les structures temporelles se distinguent l’une de l’autre : vers le bas, une boucle puis vers le haut pour le γ et vers le bas puis vers la haut pour le V. Essayez à présent de tracer ces deux graphèmes en même temps, le γ de la main gauche et le V de la main droite. Vous allez constater, comme le fit Konzem (1987), une forte tendance à tracer la même lettre des deux mains.

Cette démonstration illustre comment un problème de coordination empêche l’exécution simultanée de ces deux programmes moteurs différents sans une forte interférence entre les deux mains. Le concept même d’invariance est mis à mal dans ce cas puisque le scripteur se trouve dans l’incapacité de réaliser deux traces qu’il maîtrise pourtant de manière isolée. Il s’agit donc d’envisager la formation de la trace écrite comme une performance résultant d’un compromis entre les contraintes environnementales et les contraintes biomécaniques du système effecteur. La connaissance du système graphomoteur et des contraintes environnementales est capitale pour la compréhension des mécanismes impliqués dans l’écriture manuscrite et dans sa dégradation. Les limitations des modèles que nous avons présentés dans ce premier chapitre nous poussent à adopter une approche capable de rendre compte de la production de mouvements stables et précis, ainsi que de leurs changements en fonction du contexte dans lequel les individus doivent écrire. L’approche ‐34‐   

CHAPITRE I – Etude de la formation de la trace écrite

dynamique de la coordination motrice a proposé une alternative théorique et empirique au concept d’invariance qui, nous l’avons vu, est mis à mal par l’effet des contraintes. Le concept central de cette approche est celui de stabilité : Il permet de comprendre la formation, le maintien et la dégradation de la coordination motrice dans de nombreuses tâches motrices (Kelso, 1995, pour une revue). L’objectif du prochain chapitre est de décrire et d’expliquer en quoi cette approche peut apporter une focale plus adaptée pour comprendre les mécanismes et les processus mis en jeu dans la formation de formes graphiques, dans leur maintien, leur changement, voire leur dégradation sous l’effet de différentes contraintes.

 

CHAPITRE II