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Section 2 : L’interruption publicitaire pour la vidéo en ligne

2.2 L’interruption des expériences immersives

A présent, nous allons nous intéresser à l’interruption dans le cas des contenus dits narratifs. En effet, nous nous intéressons dans l’objet de cette recherche dans un premier temps à l’accès à l’expérience positive. L’une des trajectoires possibles se fait à travers l’immersion (i.e. : transportation), dans le cas des contenus dits narratifs.

a- La théorie de la transportation narrative et l’interruption

Selon Phelps, dans la littérature sur la publicité et la persuasion, le modèle ELM (Elaboration

Likelihood Model) demeure incontestablement la plus utilisée théoriquement pour expliquer les

effets de la persuasion sur le consommateur (Zheng & Phelps, 2012). Malgré cet engouement, les chercheurs sont davantage nombreux à souligner une déficience principale de ce modèle, en particulier, son incapacité à expliquer les modifications de croyances et d’attitudes dans le cas de la publicité dite narrative (Green & Brock, 2000; Zheng & Phelps, 2012).

La littérature sur la publicité identifie deux formes d’approche : la construction rhétorique à partir d’arguments, où la narrativité et ce que certains auteurs appellent la dramaturgie (Boller & Olson, 1991). La première se base sur la logique et le raisonnement alors que la deuxième

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mobilise une histoire des événements, des acteurs, une problématisation qui évolue au fil du temps (Boller & Olson, 1991; Zheng & Phelps, 2012).

Cette deuxième forme de discours publicitaire se base sur l’histoire et la narration comme mode de transmission de l’information sur le produit. Cette approche de « Storytelling » a du succès auprès des praticiens qui cherchent à produire des contenus publicitaires et de marque capables de captiver l’attention des consommateurs et de les engager dans le fil conducteur de l’histoire du produit (Green & Brock, 2000; Zheng & Phelps, 2012).

Les premiers travaux sur le courant de la narrativité remontent au modèle proposé par Green en 2000 et relatif aux contenus en général (romans, livres, bd, etc.) (Green & Brock, 2000). La transportation a été relativement peu mobilisée dans le marketing pour la simple raison que son émergence a été plus liée à des médias et supports textuels comme les romans, les livres, etc. La transportation est très liée à des phénomènes d’identification, d’empathie, et de traitement émotionnel par les consommateurs qui lui permet de nouer un lien avec le flux de l’histoire et ses personnages (Green & Brock, 2000). Même si certains travaux existent et étudient la relation entre la transportation et l’interruption, ils demeurent rares (Green & Brock, 2000; Wang & Calder, 2006).

L’auteur définit la transportation dans une histoire comme « le sentiment d’être perdu(e) dans le flux d’événements et comme une immersion dans l’univers narratif proposé » (Green & Brock, 2000; Tal-Or & Cohen, 2010b).

Le cadre de la transportation narrative est mobilisé comme alternative au modèle classique ELM. Il permet aussi de rapprocher les travaux sur l’immersion (transportation) et les effets potentiels de l’interruption. Calder est l’un des auteurs clés qui a suivi cette évolution en transposant des résultats des médias textuels vers des médias visuels à travers des études importantes menées respectivement en 2006 et 2009 (Wang & Calder, 2006, 2009).

Dans la première étude, la chercheur s’est attelé à comprendre le rôle de l’interruption dans le cas d’une lecture de textes littéraires. Les résultats de l’étude montrent qu’une publicité insérée au milieu d’une histoire générait une évaluation négative envers le produit proposé. Ceci s’explique principalement selon les auteurs par l’effet intrusif perçu de la publicité qui impacte négativement l’attitude envers le produit exposé (Wang & Calder, 2006).

Les auteurs défendent l’idée qu’il ne faut surtout pas interrompre le processus de transportation (immersion) et qu’il faut plutôt placer les publicités vers la fin pour profiter de l’effet positif de

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la transportation sur le traitement cognitif du consommateur (Wang & Calder, 2006). Le consommateur est ainsi en condition psychologique favorable et positive pour recevoir le message. L’auteur a aussi établi que l’intrusivité jouait un rôle médiateur dans l’évaluation de l’expérience (Hairong Li, Edwards, & Lee, 2002).

Les auteurs ont observé dans une série de deux expérimentations que la congruence thématique entre la publicité et l’objectif personnel (activité orientée vers un objectif) permettait d’atténuer l’effet négatif de l’interruption au milieu. La recherche a en effet manipulé l’intérêt des participants pour une catégorie de produits en suscitant artificiellement leur intérêt en leur demandant de participer à la sélection d’un certain nombre de produits pour la réalisation d’une fête. Ainsi, lorsque le produit exposé correspond à ce que le consommateur recherche ou ce qui l’intéresse, les effets négatifs sont estompés et atténués (Wang & Calder, 2006).

Calder a répliqué et étendu ces résultats en essayant d’étudier si les observations convergent dans le cas de la télévision (Wang & Calder, 2009). Le premier résultat important montre que les individus transportés, ou cognitivement absorbés ont une meilleure évaluation de leur expérience et de l’interruption. L’effet est obtenu si on met en place une congruence thématique entre la vidéo et l’interruption publicitaire, la transportation est alors le mécanisme qui améliore le traitement de message (Wang & Calder, 2009). Nous avons vu dans la première étude que la compatibilité entre intérêt personnel et la publicité améliorait l’effet de la transportation. Désormais, ce résultat est étendu au cas de la compatibilité thématique entre l’interruption et le thème de la vidéo.

Un autre résultat important issu de cette recherche correspond au choix du point de l’interruption. Les auteurs, distinguent un premier point qu’ils appellent « le point naturel » dans lequel il ne se passe pas d’événements majeurs et où on peut interrompre de façon douce sans perturber le besoin de clôture cognitive. Le deuxième emplacement correspond à ce que les auteurs appellent en anglais le « climax ». Il s’agit du moment dans lequel se déroule une action importante ou un événement clé qui est sur le point de se produire. L’auteur recommande d’interrompre lors de points naturels pour atténuer l’effet négatif de l’interruption sur le déroulement de l’immersion et de l’histoire (Wang & Calder, 2009).

Calder a aussi observé deux résultats importants supplémentaires spécifiques à la vidéo en ligne:

- Le phénomène de transportation (immersion) est plus important dans le cas de la télévision ou de la vidéo par rapport à des supports textuels.

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- Selon une première étude expérimentale réalisée par Calder, les consommateurs perçoivent l’interruption des vidéos en ligne comme étant moins intrusives par rapport au support texte (magazines, livres). L’auteur pense que cette différence est probablement due à une habitude des consommateurs de tolérer plus de publicité pour la télévision (Wang & Calder, 2006). Ce constat demeure l’objet de débats puisque d’autres travaux montrent l’inverse avec un effet de rejet important pour l’interruption en ligne (Speck & Elliott, 1997).

b- La narrativité et le lien avec la mémorisation

Ces travaux sont importants mais ne couvrent pas une autre variable clé qui nous intéresse dans cette étude qui est la mémorisation de l’interruption publicitaire.

Nous allons nous pencher sur l’approche proposée par Hodgins qui a mesuré la mémorisation des vidéos narratives (vs non narratives) (Hodgins & others, 2016). Les participants à l’expérience proposée par les auteurs ont dû visionner de façon aléatoire des publicités narratives et non narratives pour différentes marques (Duracell, Samsung, et une marque de tourisme américaine). Contrairement aux études précédentes les résultats montrent que les individus ne sont pas plus enclins à être transportés (en immersion) dans le cas de la vidéo narrative, par rapport aux vidéos non narratives. Autrement dit, la narrativité de la campagne publicitaire ne mène pas automatiquement à la transportation, d’autres variables individuelles sont susceptibles d’expliquer une prédisposition personnelle à être en immersion. Ce résultat semble discutable car l’auteur a utilisé des vidéos de contenus de marque pour tester l’effet de la narrativité, au lieu de présenter aux participants des scénarios plus réalistes comme par exemple un programme de télévision narratif ou une vidéo YouTube non narrative.

Hodgins indique que les participants transportés montraient une attitude plus favorable et manifestaient la volonté de partager la vidéo avec d’autres personnes, ainsi qu’une meilleure mémorisation des marques présentées. L’immersion (si elle se manifeste) serait un antécédent de la mémorisation dans le cas de la vidéo narrative (Hodgins & others, 2016).

Les résultats obtenus dans une autre étude sont assez mitigés et la transportation a eu un effet sur la mémoire dans le cas d’une seule vidéo (Samsung) mais pas pour les autres. La mémorisation a été liée à la répétition du nom de la marque dans la vidéo (le cas de Duracell)

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avec une mémorisation spontanée plus importante avec un score de 81,5 %. La transportation est source d’appréciation mais pas toujours source de mémorisation.

Une autre étude s’est penchée sur le rôle de l’interruption dans le cas des vidéos narratives avec une application à la lutte contre les excès du tabac (Durkin & Wakefield, 2008). Elle identifie les contenus narratifs comme les comédies, les films, les pièces d’opéra versus des contenus non narratifs comme les documentaires et les informations. Il a été demandé aux participants recrutés à travers un panel national en Australie de regarder un certain nombre de programmes télévisés à certaines heures pour un certain type d’émissions (narratives/non narratives) dans lesquelles sont placées des publicités de lutte anti-tabac. Trois jours plus tard, les participants ont été contactés pour répondre à un questionnaire et explorer s’ils ont été persuadés par le message et s’ils ont pu le mémoriser à travers une approche quasi expérimentale.

Les résultats montrent que placer une interruption publicitaire dans un contenu de type narratif interrompt le flux de l’histoire et impacte négativement l’évaluation émotionnelle et l’intention d’arrêter le tabac pour les participants. De l’autre côté, placer ces mêmes interruptions publicitaires dans des contenus non narratifs amélioraient significativement l’évaluation de l’expérience et la volonté d’arrêter le tabac (Durkin & Wakefield, 2008).

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