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L’initiale protection du consentement des « prostitués fragiles »

Section 1. L’incrimination d’une violence à l’encontre des prostitués

A. Une extension de la pénalisation à l’ensemble des clients

1. L’initiale protection du consentement des « prostitués fragiles »

La première trace de pénalisation des clients sous l’empire du nouveau code pénal date de la loi du 4 mars 20024. Son article 13 crée l’article 225-12-1 du code pénal disposant que « le fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une

promesse de rémunération, des relations de nature sexuelle de la part d'un mineur qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, est puni de trois ans d'emprisonnement et

1 Loi n° 2016-444 (…), op. cit. 2 Idem.

3 Expression empruntée à Michèle-Laure Rassat, ML. RASSAT, Droit pénal spécial, Dalloz, Coll. Précis, 7e éd.,

§ 633

45000 euros d'amende »1. Cette disposition, « cavalier législatif » au sein de la loi relative à

l’autorité parentale, a été proposée par un amendement du gouvernement. Elle vise à sanctionner les clients des personnes prostituées mineures âgées de plus de 15 ans, puisque ces relations tarifées ne peuvent pas être qualifiées d’atteintes sexuelles, représentant la majorité des cas2. Cette nouvelle incrimination permet de sanctionner le client qui serait le « grand oublié des réflexions sur la prostitution » puisqu’il n’existerait pas de proxénète sans client3.

La loi du 18 mars 20034 étend ce délit aux clients des personnes présentant une particulière vulnérabilité. Elle institue un alinéa à l’article 225-12-1 du code pénal qui dispose que le même comportement est puni de la même peine quand le prostitué « présente une

particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse ». Si le projet de

loi n’aborde pas cette nouvelle pénalisation, la présentation du texte à l’Assemblée nationale donne l’occasion au ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, d’expliquer ce choix : le client doit être puni en raison de la vulnérabilité de la personne prostituée dont le client est conscient5.

Peut-on trouver un point commun entre ces deux infractions réunies au sein d’un même article ? Dans le cas de la répression à l’égard du client du prostitué mineur, le but serait la protection du consentement de ce dernier. En effet, en raison de son âge, on doute de l’existence du consentement à la prostitution6. Si le mineur âgé de plus de 15 ans semble à

même de pouvoir consentir à une relation sexuelle avec une personne majeure, celle-ci échappant aux poursuites pour atteinte sexuelle, la particularité de la prostitution semble justifier une « présomption de non-consentement » à l’égard de la personne prostituée

1 Il existe diverses causes d’aggravation : Infraction commise à l’égard de plusieurs mineurs, infraction commise

de manière habituelle, utilisation d’un réseau de communication, mineur de moins de 15 ans. Voir article 225- 12-2 du code pénal

2 Débat parlementaire au Sénat du 21 novembre 2001 3 Idem.

4 Loi n° 2003-239, op.cit.

5 « Enfin, il serait inadmissible de ne pas parler des clients. (...) Les clients des prostituées particulièrement

faibles seront traités avec une sévérité particulière. Je pense notamment aux prostituées enceintes ou handicapées - tel réseau utilise des sourdes et muettes - ainsi qu'aux mineurs. Nous ne devons rien tolérer et ce qui se passe sur certaines places de la capitale ne fait honneur à personne ». Débat parlementaire à l’Assemblée nationale, 2ème séance du 14 janvier 2003

mineure âgée de plus de quinze ans1. L’analyse peut être reprise dans une certaine mesure

pour les personnes prostituées présentant une particulière vulnérabilité. En effet, l’article 215- 12-1 du code pénal énumère les cas de vulnérabilité : maladie, infirmité, déficience physique, déficience psychique et état de grossesse. Les cas de maladie ou déficience psychique peuvent justifier cette méfiance à l’égard de l’existence ou la réalité du consentement de la personne prostituée. En revanche, on peut se demander si l’état de grossesse ou d’infirmité du prostitué sont des raisons valables de douter de son consentement. Il semblerait donc qu’au-delà de la protection du consentement de ces prostitués fragiles, la protection d’une autre valeur soit au cœur de la répression du client de ces personnes vulnérables. L’article 225-12-1 se trouve dans le chapitre relatif à la dignité humaine : en pénalisant ces comportements, le législateur entend donc condamner une attitude contraire à la dignité2. Cette référence à la dignité fait cependant débat chez certains auteurs. Ils estiment que le recours à la dignité pour ces cas de vulnérabilité sans préciser leur incidence sur le consentement de la personne, relève d’une atteinte à la vie privée et d’un retour de la notion de bonne mœurs3.

L’élément moral en matière de recours à la prostitution d’une personne fragile a pu poser problème, notamment en présence d’un mineur. L’erreur sur l’âge constitue-t-elle un défaut d’intention ? La question s’est posée dans un arrêt en date du 29 mars 20064. En l’espèce, un homme est condamné par la cour d’appel de Paris un homme après avoir fait monter dans son véhicule une prostituée roumaine mineure. La Cour de cassation rejette le pourvoi et juge que la cour d’appel a souverainement apprécié les éléments de preuve permettant de caractériser l’élément intentionnel, le prévenu ne pouvant se méprendre sur l’âge de la victime. « La preuve de la connaissance fut ainsi déduite de l'apparence »5. Si la décision n’est pas contestable en ce que chaque juridiction de fond apprécie souverainement la preuve, on peut se poser la question de savoir si ladite juridiction n’a pas fait une appréciation défavorable au prévenu. Les prétentions du demandeur font en effet apparaître certains doutes : tout d’abord, les policiers n’ont pas enregistré la garde à vue de la prostituée, pourtant obligatoire s’agissant d’un mineur. Cela peut souligner que les policiers ont pu également se méprendre sur l’âge. De plus, la cour d’appel a refusé une expertise osseuse de la jeune femme. Enfin le demandeur conteste l’utilisation d’une photo de passeport pour

1 Valant, a fortiori, pour les mineurs de 15 ans 2 A. DARSONVILLE, op. cit., p. 184

3 J. VERNIER, op. cit., p. 94

4 Cass. Crim., 29 mars 2006, n° 05-81.003

déterminer l’âge de la prostituée, n’ayant pas la même apparence au moment des faits. On peut donc se demander si cette appréciation sévère des éléments de preuve par la cour d’appel ne fait pas transparaitre une volonté de réprimer le plus sévèrement possible le recours à la prostitution des mineurs.

Pour autant, quinze ans après l’introduction de ces dispositions, qu’en est-il de leur application ? La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) relève dans son rapport du 22 mai 2014 que peu de condamnations sont effectivement prononcées1. Dès lors, elle exprime son doute quand à l’élargissement de la pénalisation à tous les clients.