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3 Écotoxicité de l’Uranium

3.3 L’influence de la spéciation sur la biodisponibilité

En général, seule une faible partie de l’Uranium contenu dans le sol est bioaccessible (Jovanovic et al., 2012). Les espèces dissoutes représentent un potentiel de biodisponibilité plus élevé que les espèces précipitées. Cependant cette fraction, dite biodisponible, reste toujours inférieure à la fraction totale dissoute. L’assimilation de l’Uranium sous forme de complexes dissous (tels que les nitrates d’uranyle, ou les complexes carbonates) est plus forte que l’assimilation d’autre formes, par exemple les

oxydes d’Uranium (complexes fulviques et humiques) (Trenfield et al., 2011a ; b). Cela confirme l’hypothèse de la présence d’une sélection et une différenciation des espèces à l’entrée de la membrane cellulaire.

La toxicité de l’Uranium est souvent corrélée avec la concentration en ion libre (UO22+) (Fortin et al., 2004). Récemment dans Trenfield et al., (2011a, 2012), il a été

proposé que les espèces UO2(OH)+ et UO22+ seraient responsables de l’incorporation

facilitée. Une proposition vu le jour en 2010 afin de limiter les espèces biodisponibles de l’Uranium à quatre espèces décrites dans l’équation 1 (Markich, 2002 ; Fortin et al., 2007 ; Beaugelin-Seiller et al., 2009 ; Goulet et al., 2011):

[U]biodisponible_B.S. = [UO22+] + [UO2OH+] + [UO2OH20] + [UO2CO30] (1).

La restriction à ces quatre espèces repose sur les deux principes exposés précédemment: un faible encombrement stérique (seules les espèces les plus petites peuvent traverser les sites biotiques de petite taille) et une charge positive ou nulle (les sites biotiques sont chargés négativement). Cependant cette proposition ne fait pas consensus en France et à l’international. D’autres points de vue existent, comme Muller (2002) qui proposait deux espèces phosphatées UO2PO4- et UO2H2PO4+ à l’inventaire des

espèces d’intérêt, en lien avec la capacité de réabsorption rénale.

De plus, l’étude de la biodisponibilité est réalisée selon plusieurs méthodes, sur les concentrations totales dans le sédiment (Environnement Canada 1997 ; Crawford et Liber, 2015), ou dissoutes (Croteau et al., 2016) ou même à l’aide de capteurs passifs visant à mimer la membrane cellulaire (Bade et al., 2012).

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La complexité du processus ne s’arrête pas là. La biodisponibilité (et donc la toxicité) de l’Uranium sont attribuées aux paramètres environnementaux comme montrés dans le modèle du ligand biotique (BLM) (compétiteurs, ligands, pH, Eh, sorption : Paquin et al. 2002, Goulet et al., 2011, Markich 2013). Quelles sont alors les tendances de ces facteurs ? 3.3.1 Conditions d’oxydo-réduction-pH Un milieu réducteur entraîne la réduction de l’Uranium en U(+IV), moins soluble, moins mobile et donc moins biodisponible pour les organismes. Le processus inverse est observé dans un milieu oxydant, où U(+VI), soluble est favorisé.

Fortin et al. (2007) confirment que la biodisponibilité de l’Uranium au sein des algues augmente lorsque le pH diminue. Cependant, pour des valeurs basses de pH, l’ion uranyle n’interagit pas avec les sites de surfaces en raison de la compétition avec les protons (Nakajima et al., 1979 ; Galun et al., 1987).

3.3.2 Présence de ligands inorganiques

La présence d’autres cations qui entrent en compétition avec l’Uranium pour les sites anioniques présents sur la membrane cellulaire et sur les canaux trans-membranes a pour conséquence de diminuer la capacité des organismes à accumuler l’Uranium. Chez les bactéries, elle n’est pas affectée par la présence de cations monovalents (Cotoras et al., 1992) tels que K!

car ce dernier ne présente pas un potentiel de compétition pour l’accès aux sites. Ca!! et Mg!! ont un impact pour des pH supérieurs à 4,1 (Cotoras et al., 1992). Leur présence a donc tendance à diminuer l’assimilation de l’Uranium quand la dureté de l’eau augmente (Charles et al., 2002 ; Sheppard et al., 2005). Cet effet protecteur est confirmé dans l’étude de Markich (2013) ainsi que dans Fortin et al. (2007) où l’incorporation de l’Uranium dans les algues est diminuée.

La spéciation de l’Uranium est comme vu précédemment fortement gouvernée par le pH et la présence de ligands inorganiques. Afin de mieux appréhender les résultats d’expérimentation d’écotoxiologie, il est important de vérifier la constance de ces paramètres physico-chimiques. Cela est essentiel afin d’observer des différences significatives et éviter tout artefact. Dans Markich et al. (1996), la spéciation chimique

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est étudiée par modélisation afin d’expliquer une expérimentation sur des algues en conditions contrôlées.

Il est postulé dans leur étude que l’évolution de la toxicité de l’Uranium soit reliée à la diminution des concentrations en UO22+ et UO2OH+ ainsi qu’à l’augmentation de la

concentration en UO2CO3(aq) qui est moins toxique. La disponibilité et la toxicité de

l’Uranium diminuent d’un facteur 2 pour une augmentation de CaCO3 de 6,6 à 330 mg/L

chez Hydra viridissima (Markich, 2013). Ces résultats sont en accord avec ceux de Nakajima et al. (1979) qui postulaient que la concentration d’Uranium assimilé diminuait en présence de carbonates.

Il a aussi été démontré dans Tran et al. (2004), que l’augmentation de la pression partielle de CO2 engendre également aussi une baisse de l’assimilation chez Corbicula

fluminea pour un pH constant égal à 6,5 en favorisant les ions carbonates et donc la

création de complexes tels que UO2(CO3)22- et UO2(CO3)34- qui sont non biodisponibles.

La biodisponibilité de l’Uranium diminue avec l’augmentation des phosphates par la formation de précipités d’une part (Nakajima et al., 1979 ; Ebbs et al., 1998).

Chez les plantes, cette remarque doit être pondérée par les observations de Mkandawire et al. (2007). Ils montrent une augmentation de l’incorporation d’Uranium pour des teneurs croissantes de phosphates de 0,1 à 1,34 mg/L qu’ils expliquent par la création de complexes phosphatés ; au-delà de ces valeurs, la précipitation de phosphates d’uranyle inverse la tendance). Chez le rat, la présence de complexes inorganiques phosphate à l’intérieur du compartiment cytosolique entraînerait une complexation et donc une toxicité de l’Uranium internalisée sous la forme UO2(PO4)-

(Muller, 2002). Les phosphates présentent donc des limites dans leur capacité de protection. Les espèces phosphatées ont de grandes difficultés à traverser la membrane cellulaire (moins biodisponibles) mais sont très fortement retenues par l’organisme (fortement bioaccumulables). Il faut donc garder à l’esprit l’impact potentiel des complexes uranyles-phosphates.

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3.3.3 Matière Organique

La présence de Matière Organique Dissoute peut influencer directement ou indirectement la biodisponibilité de l’Uranium (Fortin, 2004, Van Dam et al., 2012). Par exemple dans Van Dam et al., (2012) une diminution de 9 % de la toxicité chimique est observée pour une augmentation notable de 1 mg/L de COD. En effet, l’Uranium peut se complexer avec les acides fulviques (composants majoritaires des eaux de tourbières) et les acides humiques. Ces derniers complexes ont été proposés par certains auteurs comme espèces biodisponibles de l’Uranium (Croteau et al., 2016). Par ailleurs, Février et Coppin, 2012 considèrent ces complexes au travers de la mesure du carbone organique dissous (COD). En effet cette concentration a un impact direct sur la valeur guide utilisée pour le milieu étudié compris entre 0,3 et 30 µg/L.

3.4 Sorption

D’autres paramètres peuvent jouer sur la biodisponibilité de l’Uranium dans le milieu, tels que la présence de cations mais aussi la présence d’oxy-hydroxydes de fer ou de matière organique qui peuvent fortement sorber l’Uranium (Hsi et Langmuir, 1985 ; Langmuir, 1997) et ainsi réduire la biodisponibilité de l’Uranium U(+VI) par les micro- organismes (Gadd et Griffiths, 1977 ; Babich et Stotzky, 1980). Cependant, cette sorption peut éventuellement augmenter la fraction accumulable par voie trophique pour des précipités oxy-hydroxydes de fer souvent de très petite taille (Cornell et Schwertman, 2003).

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