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L’impossible rencontre avec l’autre

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 183-186)

Chapitre I : La perception du Blanc en Afrique : un regard complexe dans la fiction romanesque

I.6. L’impossible rencontre avec l’autre

Les écrivains ont souvent décrits les colons comme des personnages qui vivaient en marge des us et coutumes de la société indigène. À cet effet, Albert Memmi dans Le portrait du colonisateur écrivait : « (…) s’ils ont organisé leurs habitudes quotidiennes dans la cité coloniale, ils y ont importé et imposé les mœurs de la métropole, où ils passent régulièrement leurs vacances, ils puisent leurs inspirations administratives, politiques et culturelles, sur laquelle leurs yeux restent constamment fixés.»370 En outre, cette vision est encore relevée dans Essais sur les cultures en contact, Afrique, Amérique, Europe, d’Elisabeth Mudimbe-Boyi où elle souligne :

367 Benjamin Rubbers. op.cit. p.45.

368 Victoria Namuruho, op.cit. p.8

369 Hampâté Bâ, Amkoullel, « l’enfant peul », Actes Sud, Paris, 1992, p.407, cité par Victoria Namuruho, p.9.

370 Albert Memmi, Le portrait du colonisé précédé de portrait du colonisateur, op.cit. p.33.

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les personnages du missionnaire et de l’administrateur colonial sont les représentants de l’Europe, et, c’est par eux que s’est établi un contact entre les membres des deux groupes en présence, les colonisés et les colonisateurs, n’existe que dans des rapports de travail et dans une relation de pouvoir : patrons et domestiques. Le roman d’Oyono illustre bien l’ironie par inversion comme mode de subversion de cette relation dans un milieu colonial. L’ironie s’inscrit dans l’ignorance totale dans laquelle vivent les patrons : ils ne savent rien de la vie de leurs subalternes, ou de ce qu’ils pensent d’eux, alors que ceux-ci, de par leurs services, connaissent toute la vie de leurs patrons et en font l’objet de leurs conversations quotidiennes.371

En d’autres termes, la société blanche telle qu’elle est organisée pendant les temps coloniaux affiche un repli identitaire en s’interdisant une possibilité d’ouverture vers les coutumes locales. Si le contact avec les indigènes se fait, par ailleurs les colonisateurs s’enferment sur eux-mêmes au point de mettre des limites infranchissables entre leur culture et celle des autres. On comprend aisément que le métissage humain aussi bien que culturel entre les deux groupes dominant/dominé ne s’est pas produit étant donné la nature des relations déséquilibrées au détriment de l’échange et du partage culturel. L’hybridité des peuples africains est donc l’aboutissement de l’acceptation de la culture de l’autre dans un sens unilatéral. Par conséquent, les Blancs conservaient leur identité et vivaient non pas en marge des activités locales mais en mettant des limites pour ne point s’acculturer, se déposséder des mœurs de leur chère patrie. L’impossible rencontre avec l’autre est donc cette rencontre manquée, avortée entre le colon et le colonisé qui est en partie responsable de la méconnaissance des deux identités de manière approfondie. Ainsi que le constate Albert Memmi, le colon, « ayant ainsi défini la colonie, n’accordant aucun mérite à la cité coloniale, ne reconnaissant ni ses traditions, ni ses lois, ni ses mœurs, il ne peut admettre en faire lui-même partie. Il refuse de se considérer comme citoyen avec droits et devoirs, comme il n’envisage pas que son fils puisse le devenir. »372 La réalité coloniale se ferme sur la culture de l’autre qu’il méprise :

En contexte colonial, l’impact de l’identité du dominant est déterminant et le dominé ne peut y échapper. Le premier exerce de nombreuses pressions sur le second, le contraint à adopter une identité différente qui se manifeste par des comportements nouveaux, un changement de l’organisation sociale et du système. […] L’idéal reste l’identité du groupe dominant, tandis que celle du groupe dominé est dévalorisée.373

371 Élisabeth Mudimbe-Boyi, Essais sur les cultures en contact Afrique, Amériques, Europe, Karthala, Paris, 2006, p.123.

372 Albert Memmi, op.cit. p.86.

373 Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations, op.cit. p.404.

183 Celui qui amène la dévalorisation de la culture du groupe dominé est le groupe dominant qui remplit bien sa mission de colonisateur en entraînant l’autre à assimiler sa culture. A l’inverse, le groupe dominant reste dans une sorte de clôture, car il n’envisage nullement d’assimiler la culture du pays d’accueil ; c’est donc cet esprit qui est à l’origine du rendez-vous manqué avec la culture de l’autre, donc de son identité. La rencontre avec l’autre reste impossible si les cadres culturels, les traditions locales se taisent et n’ont pas d’écho pour l’altérité. Les Blancs en Afrique continuent d’être dans le repli identitaire, convaincus encore de l’infériorité de la culture de l’autre et donc de la supériorité de la leur. Il existe sans doute des Blancs à la peau blanche et aux masques noirs, toutefois cette éventualité reste à démontrer car, plusieurs études menées montrent que les Blancs n’apprécient pas ou ne s’ouvrent pas aux traditions locales lorsqu’ils vivent en Afrique. Tout les oppose aux autochtones et tout est fait de telle sorte qu’il n’y ait aucun contact avec eux :

Les Blancs sont matériellement des plus favorisés et ils cherchent à faire ressembler leur vie à celle du bourgeois aisé de la métropole. Ils s’invitent entre eux, boivent ensemble leurs alcools glacés sous la véranda et dînent avec des amis dans leurs villas climatisées. En fin de journée et pendant le weekend, ils se rencontrent au cercle européen, un club privé où aucun Noir n’a accès si ce n’est pour y servir les maîtres européens. Bref la vie est facile au quartier blanc, si facile qu’elle risque de devenir monotone374

L’impossible rencontre avec l’autre dans l’univers socioculturel africain d’hier est ce qui favorise le mythe de l’homme blanc qui continue à parcourir la conscience collective aujourd’hui. Car, comment percevoir autrement l’homme blanc quand il ne fréquente pas les lieux publics où se mêlent les autochtones ? Comment le noir africain peut-il réaliser l’acte de démystification du Blanc quand ce dernier est pratiquement insaisissable, voire même presque invisible dans l’espace quotidien ? Dans le roman Trop de soleil tue l’amour, Georges que l’on nomme aussi le toubab, est un personnage blanc atypique qui attire l’attention à cause de son comportement étrange, une attitude qui contraste avec celle de ses semblables. D’ailleurs Eddie le remarque : « d’abord, qu’est-ce qu’il fait là ? Et pourquoi traîne-t-il toujours ses guêtres dans les milieux où il ne risque pas beaucoup de rencontrer ses semblables ? »375 Il est vrai que Georges côtoie les milieux populaires à cause de ses missions de détective qui l’obligent à s’aventurer dans les endroits inaccoutumés des Blancs. Autrement, il serait comme ses semblables dans les quartiers huppés. L’impossible rencontre se manifeste parce

374 Mineke Schipper-de Leeuw, Le blanc vu d’Afrique, études et documents africains, op.cit. 1973, p.27.

375 Mongo Beti. Trop de soleil tue l’amour, op.cit. p.177.

184 qu’il manque un dialogue réel, une imprégnation vraie des réalités et des cultures locales. Les rapports entre les deux personnages sont superficiels, les lieux d’existence opposés : « alors que Georges aurait été incapable de s’y retrouver au quartier où habitait Norbert, et où d’ailleurs les Blancs ne venaient jamais, Norbert évoluait comme un poisson dans l’eau dans les rues de la ville moderne. […]. La ville moderne, c’est l’ancienne ville des toubabs, quand ils étaient les maîtres ici. »376

Tant que la relation du blanc avec le noir africain sera une relation verticale, une relation de non-communication socioculturelle, il est clair que le mythe du Blanc restera figé dans la conscience collective. Entre autres, indépendamment de sa position sociale privilégiée, réduire la distance avec les locaux en s’intéressant à diverses manifestations culturelles par exemple reste une solution envisageable pour un dialogue culturel et identitaire.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 183-186)