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PARTIE 2 MÉTHODOLOGIE : LE MODÈLE AUGMENTÉ COFFEY-

3.4 L’impact de l’accessibilité continentale sur la croissance

3.4.1 L’impact sur la croissance totale et d’emploi manufacturier

Les résultats les plus frappants sont ceux pour l’emploi total et pour le secteur manufacturier, particulièrement parce qu’ils se réfèrent à la grappe modale 1 (ports et routes) et à la grappe modale 3 (routes et air). Il convient de jeter un second regard aux figures 3.1 b et 3.3 b. Pour l’emploi total, le modèle CPS augmenté réussit étonnement à expliquer la croissance17 : un r2 de 44,3 % pour 1991-2001. Son pouvoir explicatif a augmenté avec le temps, ce qui, comme nous l’avons vu, indique que les variables contenues au modèle sont de plus en plus importantes comme déterminants de la croissance d’emploi local. En plus de la division centre- périphérie — qui favorise les régions proches des grandes villes — ceci indique également que la taille de la ville per se prend de plus en plus d’importance. Dans le contexte canadien, il est utile de rappeler que les possibles effets compensatoires négatifs de la taille de la ville (via l’augmentation de la pollution, de la congestion,

17 Les résultats peuvent ne pas paraître « étonnement » élevés au lecteur. Mais ils le sont. Les

tentatives d’expliquer statistiquement la croissance économique locale (qu’elle soit mesurée par revenu, par production ou par emploi) — particulièrement pour les petites unités territoriales — atteignent rarement des résultats de r2 élevés. La croissance au niveau local est hautement

idiosyncrasique, influencée par une infinité de facteurs, comme nous avons tenté de l’expliquer dans la partie 2.

de la criminalité, etc.) sont probablement mineurs. Comme on l’a vu dans la partie 1, les villes canadiennes — et même la région métropolitaine de Toronto — sont quand même petites selon les standards mondiaux. Les villes canadiennes ont beaucoup de chemin à faire avant d’atteindre les dimensions — et les problèmes — de Tokyo, New York ou Londres.

Pour l’emploi total, la force croissante de la relation positive avec la grappe modale 1 (ports et routes) et avec la grappe modale 3 (routes et air) est également frappante. Le rail aussi devient significatif dans la dernière période. En bref, l’accessibilité continentale, que ce soit par eau, routes, rail ou air, devient de plus en plus importante dans le temps en tant que déterminant de croissance d’emploi local. Autrement dit, la localisation relative est plus — et non moins — importante aujourd’hui qu’il y a trente ans. Non seulement la distance n’est pas morte, mais il semble que son importance soit en train d’augmenter. Les raisons en ont été discutées dans la première partie de cette étude. Mais les résultats des figures 3.1 et 3.2 — notamment puisqu’ils réfèrent au réseau de routes et d’autoroutes — indiquent que ce n’est pas seulement le commerce croissant Canada-É-U qui entre en jeu, mais également le schéma géographique de ce commerce. Le transport par camion est plus efficace en termes de coûts, et plus pratique pour les marchandises qui ne sont pas en vrac, sur des distances courtes et moyennes (jusqu’à environ 1 000 km, bien que cela varie selon les circonstances), ainsi que pour les biens qui doivent être livrés sur des marchés spécialisés et sensibles aux délais. En d’autres mots, l’importance grandissante de l’accessibilité routière correspond à ce que nous savons sur les schémas du commerce entre les provinces et les états. Les provinces canadiennes ont une forte activité commerciale avec les états voisins. Le client le plus important de la Colombie-Britannique est l’État de Washington; les principaux clients de l’Ontario et du Québec sont respectivement le Michigan et New York.

Puisque le commerce avec les marchés états-uniens — la façon la plus efficace de les rejoindre est le plus souvent par camion — compte pour une part sans cesse croissante du PIB, il n’est pas surprenant que l’importance de l’accessibilité routière (calculée à l’échelle continentale) soit aussi grandissante. Ceci correspond également au changement croissant des pratiques des usines dont les opérations locales — assemblage, outillage, production, etc. — font partie d’une chaîne étendue de firmes et de centres de distribution18. La majeure partie du commerce entre le Canada et les États-Unis se fait intrafirmes, à l’intérieur de la même organisation. Dans la première partie de cette étude, nous avons observé l’importance croissante des corridors commerciaux aux États-Unis, qui suivent généralement les contours des autoroutes Interstate Highways qui relient les grandes régions métropolitaines (Lang et Dhavale 2005, The Economist 2006).

18 Une étude logistique récente, publiée par The Economist (2006a) souligne le rôle central et

Les limites nord de deux corridors importants (I-65 et I75, entre Mobile et Détroit; I-85 et I-95, entre Atlanta et Boston) se trouvent à la frontière canadienne ou près de celle-ci. L’industrie automobile nord-américaine est très concentrée le long d’une chaîne intégrée de production et de distribution qui va de Mobile jusqu’à Oshawa. Dans la même veine, les compagnies pharmaceutiques ou électroniques basées à New York ou à Boston favorisent le plus souvent des localisations canadiennes proches de leur chaîne de production, qui dans ce cas est le sud du Québec, dans la région de Montréal et ses environs.

Les résultats pour le secteur manufacturier aux figures 3.3 b et 3.4 b correspondent à cette interprétation. Les signes sont négatifs pour les grappes modales 1 et 3 durant les années 1970, alors qu’une grande partie du secteur manufacturier travaillait surtout les ressources naturelles (scieries, fonderies, traitement du poisson, etc.), et était moins orienté vers les marchés états-uniens. Toutefois, les signes deviennent positifs durant la décennie suivante, et leur force augmente dans les années 1990 pour la grappe modale 1, mais diminue légèrement pour la grappe modale 3. Les résultats pour la grappe modale 1 indiquent que c’est la combinaison des ports et des routes qui devient de plus en plus le facteur crucial. La relation entre le commerce et les ports est évidente. À mesure que le commerce augmente, l’importance des ports augmente aussi, ainsi que, évidemment, celle des réseaux routiers qui les relient (un port sans connexions routières est encore moins utile qu’un aéroport sans ces connexions). En quelques mots, la croissance de l’emploi manufacturier a été la plus élevée aux endroits qui avaient le plus haut potentiel de marché — défini par la combinaison d’accessibilités portuaire et routière. Les résultats statistiquement non significatifs pour la grappe modale 2 (où le rail est le mode prédominant) paraissent renforcer nos commentaires précédents sur l’importance du camionnage pour le commerce entre le Canada et les États-Unis et l’importance concomitante des corridors autoroutiers. L’intégration continentale — notamment depuis l’ALENA — a souvent servi à renforcer les relations commerciales et la croissance d’emploi manufacturier, entre les régions des deux côtés de la frontière qui sont relativement proches entre elles, et donc mieux desservies par camion. Au Canada, pour la croissance du secteur manufacturier, ceci tend à favoriser les collectivités petites et moyennes au sud de l’Ontario et du Québec, probablement pas trop éloignées de Toronto ou de Montréal et situées le long des autoroutes qui mènent aux marchés et aux corridors commerciaux des É-U.

Cependant, il ne faut pas minimiser le rôle du rail19. L’accessibilité continentale par rail a son importance; mais l’accessibilité par route et autoroute est plus importante, du moins pour un plus grand nombre d’entreprises (qui offrent plus d’emplois). Le signe pour le rail (grappe modale 2) pour la croissance d’emploi

19 Rappelons que les grappes modales 1 et 3 comprennent aussi des composantes de rail (revoir le

total est positif en 1991-2001, bien que faible. Cela dépend beaucoup du produit expédié. En règle générale, l’expédition des biens en vrac se fait de façon plus efficace par train. À cet égard, l’importance croissante de la route comparativement à l’accessibilité par rail reflète sans doute aussi les types de biens expédiés qui, comme nous l’avons vu, sont de plus en plus sensibles aux délais et non standardisés.

3.4.2 L’impact sur la croissance d’emploi local dans d’autres