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L’impact de la représentation fanfare sur la ville

Les Durs à Cuivre au festival “Les Fanfaronnades” de Trentemoult édition 2019 ▲

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a) Une ville dans la ville

Nous avons pu voir comment la fanfare choisissait un lieu de représentation dans l’espace public, comment elle s’y positionne et y accueille son public, et plus généralement, comment la ville va influencer la fanfare. Toutefois, nous n’avons pas encore parlé de l’impact que la fanfare peut avoir sur son environnement, ce que génère la prestation d’une fanfare sur l’espace public. C’est le sujet que nous allons aborder dans cette partie. Un “public-population”

Nous avons déjà évoqué le fait que la pratique de la fanfare dans l’espace public se faisait par le dialogue entre le cadre, la fanfare et son public, mais nous nous sommes peu attardés sur le dernier. Qui est-il ? La fanfare possède une certaine capacité à rassembler dans l’espace public, mais d’où viennent ses spectateurs ?

Dans son livre “In Vivo”, Anne Gonon parle d’un “public-population”,37 un public reflétant la

37 GONON Anne. In vivo, les figures du spectateur des arts de la rue. Première édition. Editions L’Entretemps, mai 2011. 192 pages. Collection Carnets de rue, écritures artistiques, espaces, publics.

population de la ville investie par la prestation. Ce public-population se caractérise par une certaine diversité sociale, culturelle ainsi que générationnelle. Ainsi, la fanfare rassemble une multiplicité de couches sociales, culturelles et générationnelles dans un même lieu et un même temps. Cette diversité est due au fait que la fanfare aille directement à la rencontre du public dans la rue. Les concerts ou spectacles au théâtres par exemple convoquent le public, ce qui conduit à le sélectionner. On n’y retrouvera que les personnes pouvant s’y déplacer, payer une entrée et s’y sentant bien. De plus, la rue ne contient pas de jauge limitée, il est donc possible de toucher plus de monde, si la rue est a tout le monde, il est donc possible de s’adresser à tous.

Toutefois, malgré cette diversité présente au sein du public-population, on ne peut pas dire qu’il forme un tout. Être interpellés ensemble ne suffit pas toujours à constituer un collectif. On créera plutôt une sorte d’effet d’attroupement où les individus sont susceptibles de partager ponctuellement des émotions.

Pour moi, cette diversité existe car en s’adressant à ce “public-population” la fanfare, et le spectacle de fanfare placent tout le monde au même niveau au sein de ce public. La fanfare prend et considère tous ses spectateurs de la même manière, d’où qu’ils viennent,

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quels qu’ils soient, comme elle le fait avec ses membres en son propre sein. C’est ce qu’à fait Jim Europe en 1918 en se plaçant sur les marche du théâtre Graslin avant de jouer pour “les notables” nantais à l’intérieur de celui-ci, il souhaitait s’adresser à tout le monde sans distinction et s’est donc, avec sa fanfare, positionné dans l’espace public.

Une perception nouvelle de l’espace public

D’après Anne Gonon, la prestation d’une fanfare dans la ville représente une sorte “d’accord à l’amiable” passé entre deux parties qui ne poursuivent pas forcement les mêmes objectifs. Ainsi, la ville se servirait de ces prestations pour attirer des visiteurs et touristes, et alimenter le commerce local, les terrasses de cafés, les restaurants et hôtels. Les fanfares pourraient aussi participer à l’amélioration de l’image de la ville en proposant des spectacles gratuits aux habitants.38

Mais ce ne sont pas les seuls effets que le spectacle de fanfare va produire sur la ville. Il ne va pas juste prendre place dans un lieu, mais en perturber le

38 GONON Anne. In vivo, les figures du spectateur des arts de la rue. Première édition. Editions L’Entretemps, mai 2011. 192 pages. Collection Carnets de rue, écritures artistiques, espaces, publics. ISBN : 978-2-35539-126-2. p.39

quotidien, perturber le vécu ordinaire de l’espace public qui l’accueillera. Les prestations fanfares arrachent l’espace public à ses perceptions et représentations routinières.

La fanfare va réécrire la ville le temps du spectacle, et créer un espace abstrait et changeant, prenant la forme du rassemblement. Une partie de l’espace public reste inchangée, garde les mêmes usages, le reste se transforme dans l’espace construit par les musiciens et spectateurs qui en modifient l’usage et délimitent cet espace nouveau. C’est une sorte de “bulle temporelle” au sein de laquelle l’espace fonctionne différemment, sur un temps différent, il ne fonctionne plus au rythme de la ville, mais sur celui proposé par la fanfare, se basant sur “une partition” écrite conjointement par le cadre, la fanfare, et le public-population lui répondant.

“ Les acteurs de la représentation arrêtent la course du temps et le flux de la ville.”39

Ainsi, l’espace public, pourtant connu par les habitant, s’échappe de ce qu’il est habituellement, la façon dont on le voit, la façon dont on le perçoit, son usage, la

39 GONON Anne. In vivo, les figures du spectateur des arts de la rue. Première édition. Editions L’Entretemps, mai 2011. 192 pages. Collection Carnets de rue, écritures artistiques, espaces, publics. ISBN : 978-2-35539-126-2. p.82

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façon dont on l’arpente, mais aussi la façon dont on vit le lieux changent, le lieu se transforme réellement en quelque chose de différent quand habitants deviennent spectateurs, et forment ce public-population.

Le public permet donc à la fois à la fanfare d’”exister” en ce lieu, et à ce dernier, de devenir autre chose. Si une place peu devenir lieux d’expression, si des escaliers peuvent devenir scène, c’est parce que ce public le permet. Ce n’est pas simplement une fanfare qui joue dans la ville, mais un échange entre les trois parties, et si c’est bien la ville qui pose le cadre d’origine, elle se retrouve bouleversée, et change, parfois même jusqu’à sa nature.

C’est en ça que je pense que l’on peut parler de ville dans la ville, en plus de muter vers quelque chose de nouveau le temps d’une représentation, la ville est impactée par un concours de personnes ne se connaissant pas, appartenant à des milieux sociaux, culturels et générationnels différents, partageant une expérience commune dans un même moment. Cette “union” fait la représentation tout comme c’est elle qui fait la ville. On a donc ce public-population dans un espace nouveau avec son fonctionnement propre, sur un temps différent que le reste de la ville, créant donc une singularité au sein de la ville, représentant cette ville dans la ville.

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