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D. Immunologie et cancer

3. L’immunologie des tumeurs MSI

La déficience du système MMR induit un grand nombre d’évènements mutationnels. Les mutations frameshifts, tout comme les insertions et délétions, peuvent générer, à l’instar des mutations ponctuelles, de nouvelles protéines ou de nouvelles séquences de peptides encore plus immunogéniques du fait de leur divergence nucléotidique plus marquée (Chen & Mellman 2017) (Figure 8). Des expérimentations in vitro ont montré que les peptides dérivés des mutations frameshift des séquences cMS sont immunogéniques et provoquent une intense réponse régulée par les cellules T (Linnebacher 2001 ; Saeterdal 2001a ; Ripberger 2003). C’est en effet la découverte du phénotype dMMR/MSI qui a fourni l’évidence scientifique nécessaire pour confirmer le profil hypermutateur de certains cancers

(Yamamoto 2003 ; Perucho 2003).

Bien qu’il soit maintenant connu que des antigènes exprimés dans un microenvironnement non-inflammatoire peuvent induire une tolérance immunitaire au lieu de déclencher une réponse immunitaire anti-tumorale (Kammertoens & Blankenstein 2009), l’existence d’une réponse cellulaire T dirigée directement contre une pléthore d’antigènes dMMR-spécifiques a été démontré (Schwitalle 2008 ; Saeterdal 2001b) confirmant que des structures antigéniques sont générées à partir de mutations frameshifts de séquences codantes de

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l’ADN en quantité suffisante pour déclencher une réponse cellulaire T antigène-spécifique

(Kloor 2010).

Le principal mécanisme de déficience de la présentation antigénique par le CMH de classe I dans le CRC MSI correspond à des mutations affectant le cMS du gène B2M (beta2-microglobuline), qui sont retrouvées sur environ 30 à 60% des lésions (Yamamoto 2001b ; Cabrera 2003 ; Kloor 2005). Quand bien même la déficience du système MMR provoque une forte réponse immunitaire en induisant des mutations cMS (qui produisent ensuite des antigènes peptidiques), elle contribue à l'évasion immunitaire de la tumeur (suite, entre autres, à une inactivation du gène B2M) (Figure 12). En même temps que l'infiltration lymphocytaire prononcée observée dans les adénomes MSI (Meijer 2009), les mutations du gène B2M ont lieu durant les premiers stades de la tumorigénèse MSI (avec une fréquence de mutation décrite dans les adénomes MSI de 16% (Kloor 2007), suggérant un début précoce de la pression immunosélective (Kloor 2010).

Par ailleurs, l’environnement des cytokines rencontré dans les tumeurs MSI est essentiellement pro-inflammatoire et favorise la réponse Th1 au lieu de contribuer à une induction de la tolérance (Banerjea 2004 ; Alexander 2001). Cela veut dire qu’en même temps qu’elles facilitent le développement tumoral, les mutations cMS rendent, par elles-mêmes, la tumeur vulnérable à la reconnaissance et à la tentative de destruction par le système immunitaire (Figure 12).

Enfin, on peut dire que la croissance et la progression des cellules de cancer colorectal MSI se fait en présence d’une forte pression immunitaire anti-tumorale ce qui implique une adaptation et une sélection des cellules tumorales capables d’échapper au contrôle immunitaire.

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Figure 12. Immunogénéicité et évasion immunitaire secondaires aux mutations de cMS. A. Schéma d’une cellule pMMR avec le processus de traitement d’antigène intègre et fonctionnel. Le système immunitaire est « tolérant » envers les peptides normaux présentés par le CMH de classe I. B. Schéma d’une cellule dMMR avec TGFβR2 mutant mais présence d’un processus de traitement d’antigène intègre. Les neoantigènes dérivés des mutations frameshifts (rouge) présentent un potentiel immunogénique et peuvent inciter une réponse immunitaire antitumorale. Aussi, de façon subséquente la libération d’IFNɣ induit la synthèse de CIITA et en conséquence l’hyperrégulation de l’expression d’antigènes du CMH de classe II. C. Schéma d’une cellule dMMR avec TGFβR2 mutant et altération de la fonction du processus de traitement d’antigène. Comme conséquence de la pression de sélection immunitaire qui résulte de la présentation de neoantigènes tumoraux par les CMH, les cellules dMMR qui ont acquis de défauts dans la présentation (intermédiée par le CMH) des neoantigènes sont sélectionnées durant le développement tumoral. Les mutations frameshift intéressant les cMS des gènes B2M, CIITA ou RFX5 peuvent avoir comme conséquence l’abrogation complète de la présentation antigénique par le CMH. D’après Kammertoens & Blankenstein 2009.

71 a) Différences entre les cancers MSI sporadiques et

héréditaires (SL)

Les CCR MSI associées au SL semblent être plus densément infiltrées par les TIL par rapport aux CCR MSI sporadiques (Shia 2003). Une explication possible des différents degrés d'infiltration par les TIL serait liée à la pathogénie moléculaire différente entre les CCR MSI sporadiques et héréditaires. Tandis que les CCR MSI sporadiques se développent sur la base de la méthylation du promoteur du gène MLH1 dans les cellules somatiques, les CCR MSI associées au syndrome de Lynch acquièrent une déficience du système MMR en raison d'une mutation germinale d’un allèle des gènes MMR (MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2) et d’un second « hit » somatique dans l'autre allèle (Lynch & de la Chapelle 1999). Ainsi, chez les patients atteints du syndrome de Lynch, la prédisposition génétique présente dans toutes les cellules de l'organisme pourrait contribuer à une réponse immunitaire plus prononcée due à la pré-sensibilisation du système immunitaire envers des antigènes induits par la déficience MMR. Cela pourrait être le résultat d'épisodes d’« haploinsufficiency » transitoire (condition qui survient lorsque le phénotype normal nécessite le produit protéique des deux allèles, et la réduction de 50% de la fonction génétique résulte en un phénotype anormal) ou de l'apparition répétée de cellules dMMR qui n’évoluent pas vers de tumeurs détectables

(Alazzouzi 2005). Cette hypothèse qui correspondrait à une sorte « d’autovaccination » est corroborée par la découverte d’une prévalence importante des cellules T spécifiques aux peptides dérivés de mutations frameshift détectées chez les patients atteints du SL mais qui n’ont pas développé de tumeurs détectables (Schwitalle 2008). Dans le contexte décrit ci-dessus, il est concevable que les tumeurs MSI associées au SL subissent un long processus d'immunosélection pendant le développement tumoral (Kloor 2010). Aussi, les mutations du gène B2M sont plus fréquentes dans les cas MSI héréditaires par rapport aux CCR MSI sporadiques (Kloor 2007 ; Dierssen 2007). Prises ensemble, ces observations suggèrent que les cancers associés au SL représentent un sous-groupe de cancers MSI où la surveillance immunitaire influence le développement de la tumeur à un stade très précoce (Kloor 2010).

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