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L’immunité et la biodisponibilité de tissus reconstruits par auto-assemblage

Chapitre 5 : Discussion et Conclusions

5.1. L’immunité et la biodisponibilité de tissus reconstruits par auto-assemblage

Au cours des deux dernières décennies, la bio-ingénierie tissulaire a énormément avancé. Le nombre de produits destinés à la clinique a drastiquement augmenté et leurs bienfaits sur la gestion des plaies chroniques et étendues sont de plus en plus documentés. Toutefois, la réelle diversité technologique de ces produits reste pauvre. En effet, ils sont tous issus de la même approche de bio-ingénierie,

« Top-down » et sont, pour la plupart, obtenus suite à des techniques de décellularisation ou par formation d’éponge et de gels biosynthétiques ou biologiques de protéines animales.

Les substituts bilamellaires « vivants » composés d’un derme contenant des fibroblastes et d’un épiderme de kératinocytes semblent présenter un défi de manufacture. Seule une approche personnalisée de soins pourrait permettre de répondre à tous les critères de production pour le soin au long terme de plaies traumatiques étendues. Par conséquent, la recherche et le développement entrepreneurial se sont focalisés essentiellement sur l’accélération du processus de cicatrisation en apportant un support matriciel dermique aux patients. Ces types de substituts peuvent être biologiques ou biosynthétiques sans composante cellulaire et sont ainsi destinés au soin de plaies superficielles ou chroniques non étendues, tel que les ulcères diabétiques.

Les greffes sur patients avec des plaies étendues peuvent être divisées en deux catégories, soit : (1) Greffes en deux étapes distinctes, d’abord, dermique (Alloderm, Oasis™ Wound Matrix,

Integra® DRT, Hyalograft 3D), puis épidermique (Epicel, Laserskin). Cependant, le taux de succès de ce type de procédure est variable,

(2) Greffes en une seule étape par l’utilisation de substituts dits bilamellaires possédant un derme et un épiderme.

Les produits bilamellaires actuels (Apligraf®, OrCel® ou StrataGraft®, etc.) ont des indications identiques à celles des substituts dermiques et épidermiques (plaies semi-profondes, chroniques, et les sites donneurs). En effet, le peu de preuves scientifiques de l’absence d’immunogénicité des fibroblastes dermiques contraignent les entreprises à limiter l’utilisation de leurs produits pour des usages superficiels et temporaires.

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En parallèle du développement de l’approche « Top-down », le centre de recherche en organogénèse expérimentale de l’Université Laval (LOEX) a développé au cours des deux dernières décennies des tissus cutanés bilamellaires autologues selon l’approche « Bottom-up ». Ces tissus sont produits par la technique dite de l’auto-assemblage et ont été d’ores et déjà utilisés pour la clinique après approbation obtenue pour chaque patient de Santé Canada (programme d'accès spécial) pour la couverture à long terme de plaies traumatiques étendues chez les grands brûlés.

Les résultats cumulés des dernières années permettent de positionner ce produit au sommet du marché aussi bien en matière de succès que de qualité de greffe. Cependant, cette approche cellulaire entièrement individuelle (autologue) requiert de nombreuses manipulations et un temps de production extrêmement long, supérieurs à 6 semaines. Étant donné que le temps de production dermique représente les deux tiers de la technique, il a été envisagé de produire un derme avec des fibroblastes allogéniques sur lequel des kératinocytes autologues seront ajoutés.

Mes travaux expérimentaux ont permis de découvrir que ces substituts cutanés bilamellaires chimériques étaient histologiquement similaires aux substituts autologues après greffe sur un modèle murin immunocompétent. Lors des analyses immunohistochimiques, il a été révélé que les cellules immunitaires étaient présentes en plus grand nombre au sein des greffons chimériques qu'au sein des greffons autologues. Toutefois, l’absence de rejet visuel et histologique, ainsi que la présence de cellules positives FOXP3, connue pour être un régulateur dans le développement de cellules T régulatrices impliquées dans la tolérance (Fontenot J. D. et al., 2003; Fontenot J. D. et al., 2005; Hori S. et al., 2003), suggère que notre greffon chimérique a été toléré par l’hôte. Cette évidence est également soutenue par la présence, 8 semaines après la greffe, des fibroblastes allogéniques utilisés pour la production du derme, ainsi que de son épiderme syngénique. De plus, la préimmunisation de notre modèle murin avec les antigènes allogéniques de notre greffon avant greffe a révélé de nouveau la tolérance immunologique des fibroblastes allogéniques. Les greffons chimériques étaient encore une fois similaires aux greffons autologues avec une absence totale de lymphocytes T CD8 impliqués dans le rejet, contrairement aux greffons entièrement allogéniques.

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Aucune étude n’avait pu jusqu’à présent clairement démontrer, d’une part, la tolérance immunologique des fibroblastes cutanés, et d’autre part, leur capacité à produire un substitut répondant de manière similaire aux greffons autologues après la greffe. En outre, l’étude menée en parallèle, dont le résumé est joint en annexe 1, sur les kératocytes (fibroblastes du stroma cornéen) responsables elles aussi de la synthèse et de l’assemblage de la matrice extracellulaire, a permis de mettre en évidence la biocompatibilité et la fonctionnalité d’un substitut de stroma reconstruit en utilisant la même technique que pour les dermes cutanés, sans aucun signe de rejet après un délai de quatre mois. Globalement, les résultats obtenus permettent d’envisager la production de dermes reconstruits allogéniques, ainsi que de stromas cornéens, sur lesquels seront ajoutées les cellules épithéliales du patient. Le nouveau délai de production sera ainsi désormais d’environ 3 semaines après la réception de la biopsie du patient.

Les perspectives d’études à court terme comprendront :

 L’évaluation des mécanismes de tolérance immunologique induite par les fibroblastes allogéniques (forte probabilité d’une tolérance périphérique induite avec la présence de lymphocytes T qui exprimeront simultanément le CD4+, le CD25+ et FoxP3) ;

L’évaluation in vitro de l’impact d’un derme allogénique sur le développement épidermique. En effet, l’étude présentée a permis d’évaluer l’immunogénicité des fibroblastes dermiques allogéniques. Toutefois, peu de caractérisations ont été effectuées sur l’impact de ce derme sur le développement de l’épiderme, tel que le nombre de couches cellulaires de chaque compartiment de différenciation et le temps de renouvellement de celui-ci.

Les perspectives d’études à long terme comprendront :

 la caractérisation de plusieurs populations de fibroblastes dermiques, afin de déterminer les caractéristiques de base du produit (épaisseur dermique, propriétés mécaniques) et de standardiser la technique de production ;

 la détermination du temps moyen d’utilisation des fibroblastes allogéniques avant leur remplacement afin de régénérer la réserve de « matières premières » ;

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 la détermination des paramètres manufacturiers, c’est-à-dire, le format définitif du produit dermique et sa conservation devront être déterminés afin de correspondre à une production standardisée qui est, pour le moment, toujours personnalisée et variable au cours du temps.

Dans la mesure du possible, une conservation du produit cellularisé dans une solution de conservation adaptée à la congélation à -20 ou -80°C serait préférable. Il sera, dans ces conditions, indispensable de tester différentes solutions de conservation, de déterminer la date de péremption, laquelle dépendra de la mortalité cellulaire résultant de cette conservation, l’impact sur la reconstruction finale (architecture matricielle, propriété mécanique, physiologie globale du tissu) et sur l’aspect après greffe.