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De l’ignorance immunologique au dialogue entre immunité et microbiote

Comme discuté un peu plus tôt dans ce chapitre, le microbiote intestinal produit un très grand nombre de molécules, qui peuvent se retrouver au contact des cellules épithéliales, échantillonnées par les dendrites des cellules dendritiques qui passent à travers l’épithélium. En dehors des AGCC, d’autres molécules bactériennes modulent la réponse immunitaire de l’hôte au niveau de l’intestin.

Les travaux pionniers de Kasper et Mazmanian menés dès 2005 ont montré que des molécules bactériennes de surface comme le polysaccharide A (PSA) de la bactérie commensale Bacteroides fragilis permettent la maturation et le développement d’un système immunitaire mature dans des souris axéniques. Les souris axéniques révèlent des défauts du système immunitaire tels qu’un nombre réduit de lymphocytes CD4, en particulier peu de Th17 et de Treg et des tissus lymphoïdes secondaires peu développés (Macpherson and Harris, 2004). Le PSA est un polymère qui induit in vitro et in vivo la prolifération des lymphocytes T (Mazmanian et al., 2005). Chez la souris, le PSA régule l’immunité de l’hôte dans un contexte d’une infection avec Helicobacter hepaticus. La molécule induit la différenciation de lymphocytes en Th1 (Mazmanian et al., 2008). Les souris axéniques ont une surreprésentation des Th2 en comparaison des Th1 par rapport aux souris conventionnelles. L’équilibre entre les deux populations de lymphocytes T est rétabli par la colonisation des souris axénique avec B. fragilis. De plus, cette équipe a montré que le PSA sécrété dans des vésicules extra-membranaires stimule la différenciation de Treg producteurs d’IL10, en activant TLR2 dans les cellules dendritiques (Round and Mazmanian, 2010; Shen et al., 2012). Un travail de crible a permis de trouver un groupe de gènes conservés chez les Bacteroides

codant des polysaccharides nécessaires à la colonisation des cryptes intestinales, lesquelles constituent une niche bien particulière (Lee et al., 2013). Ces travaux, très complets, révèlent les mécanismes par lesquels des Bacteroides, appartenant à un phylum majeur du microbiote intestinal, parviennent à établir une tolérance immunitaire symbiotique.

Différentes équipes se sont intéressées aux mécanismes par lesquels les Firmicutes et en particulier les Clostridiales dialoguent avec le

Figure VII-1 : Colonisation de SFB dans l’intestin d'une souris. Le cadre en bas à droite montre comment la bactérie s’attache dans l'épithélium. Tiré de Schnupf 2015

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système immunitaire. Une bactérie filamenteuse segmentée, nommée SFB, adhère fortement à l’épithélium intestinal murin. Cette bactérie appartient au groupe des Clostridium, mais elle n’a pas encore reçu d’assignation taxonomique. La colonisation de souris axéniques par SFB conduit de manière, tout à fait unique, à l’augmentation des lymphocytes CD4 TH17 dans la lamina propria et dans les plaques de Peyer ainsi qu’à la production d’IgA (Gaboriau-Routhiau et al., 2009; Ivanov et al., 2009). En sa présence, les cellules épithéliales de l’intestin grêle secrètent des cytokines, des chimiokines, des peptides antimicrobiens ainsi que la protéine SAA (amyloïde sérique A). In vitro, SAA promeut la différenciation des CD4 en Th17, spécifiques de SFB. Les effets de SFB ne dépendent ni des TLR, ni des NOD ni du niveau d’ATP (Adénosine triphosphate). Chez la souris, l’accroissent de la population de Th17 ne conduit pas à une inflammation pathologique, mais à un niveau d’alerte physiologique du système immunitaire en recrutant des neutrophiles et des ILC3. La colonisation par SFB protège ainsi les animaux des infections par les entéropathogènes

C. rodentium et E. coli.

Des bactéries commensales humaines adhérent aux cellules épithéliales intestinales (Bacteroides,

Bifidobacterium, Clostridiales) et favorisent aussi la différenciation en Th17. L’adhésion est un point important dans

le mécanisme qui provoque l’augmentation des Th17. Les SFB isolées de rat n’ont pas les capacités d’adhérence des SFB de souris lorsqu’elles sont implantées chez la souris et vis-versa. Ces travaux révèlent deux points particulièrement intéressants : d’une part la réponse de l’intestin à certaines bactéries est fortement compartimentée, d’autre part, la capacité d’immuno-modulation d’une bactérie peut être restreinte à une espèce témoignant de la forte coévolution hôte-bactérie (Atarashi et al., 2015; Lécuyer et al., 2014).

Les travaux de l’équipe de K. Honda ont montré que la colonisation par un mélange de Clostridiales est capable de provoquer la maturation du système immunitaire de souris axéniques. La colonisation augmente la population de Treg Foxp3 producteurs d’IL10 dans le côlon et en périphérie. Les souris chez qui l’on provoque une colite, sont protégées de l’inflammation. Ces publications sont originales, car elles pointent un rôle important des cellules épithéliales dans ce processus. Les bactéries secrètent des molécules qui augmentent la production par les côlonocytes de molécules immuno-modulatrices comme IDO1, TGFB, MMP, etc. (Atarashi et al., 2011a, 2013). Ces effets sont

Figure VII-2 : Capacité de bactéries individuelles à promouvoir dans des souris axéniques l'expansion des Treg dans le côlon après 2 semaines de colonisation. Chaque point représente une souris. Les bactéries en gras ont une capacité significative à induire des Treg dans les souris colonisées. Souris axéniques (GF), souris conventionnelles sans pathogènes (SPF). Tiré de Sefik 2015.

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indépendants de MYD88, de RIP2 et de Dectin1. La nature de ces molécules bactériennes n’a pas été identifiée, mais il semble qu’elles soient ni de nature protéique ni de nature nucléique. Elles sont également résistantes à la chaleur. Si les bactéries qui favorisent les Th17 adhèrent à l’épithélium, celles qui provoquent l’expansion des Treg ne le sont pas (Atarashi et al., 2015).

Une autre série de publications a mis en évidence que Clostridium butyricum, une bactérie probiotique vendue en Asie, qui est reconnue via TLR2 par les cellules dendritiques intestinales. L’activation de TLR2 active la voie ERK, aboutissant à la production de TGFB, essentiel pour les Treg. Le gavage de souris conventionnelles avec C. butyricum augmente le niveau de Treg dans le côlon (Hayashi et al., 2013; Kanai et al., 2015; Kashiwagi et al., 2015). D’autre

Clostridium ont également la capacité d’induite une réponse anti-inflammatoire et de protéger les souris de colite.

Les travaux sur F. prausnitzii, une bactérie abondante du microbiote intestinale, ont révélé qu’elle sécrète une molécule capable de diminuer le niveau d’inflammation in vitro et in vivo en bloquant l’activation de NFκB dans les cellules épithéliales et la production de cytokines inflammatoires (Martín et al., 2014; Quévrain et al., 2016; Sokol, 2008). Cette bactérie bloque l’expansion des Th17 et des Th1 dans différents modèles de colite (Breyner et al., 2017; Zhang et al., 2014).

Afin d’essayer de mieux comprendre les interactions entre les différentes bactéries intestinales et l’hôte, un microbiote minimale et défini, est utilisé chez la souris, la flore de Schaedler altérée (ASF). Elle contient huit bactéries : deux Lactobacillus, quatre Clostridiales, un Parabacteroides et un Deferribacteres (Brand et al., 2015). La colonisation de souris avec l’ASF provoque l’augmentation, l’activation et la génération de novo de Treg dans le côlon. Dans ce modèle, l’activation des Treg requière la présence de MYD88. L’homéostasie intestinale induite par la colonisation est dépendante de l’IL10 et d’un répertoire complet de TCR exprimé par les lymphocytes T (Geuking et al., 2011). Une publication récente indique que cette capacité à induire des lymphocytes Treg ne serait pas restreinte à un phylum spécifique, mais serait au contraire présente dans différents phyla (Figure VII-2). Dans ces travaux, il n’y a pas de corrélations entre l’induction de Treg et la production d’AGCC. Ces Treg induits dans le côlon expriment à la fois Foxp3 et RoRγt (Sefik et al., 2015).

Pour finir, il faut indiquer que certaines bactéries induisent des lymphocytes immunosuppresseurs moins bien caractérisés, les Tr1, qui n’expriment pas Foxp3 mais produisent de l’IL10. Bifidobacterium breve induit via TLR2 et MYD88 l’activation de cellules dendritiques tolérogènes qui produisent de l’IL10 et de l’IL27, qui induisent des Tr1 dans le côlon (Jeon et al., 2012). La stimulation des lymphocytes régulateurs, producteur d’IL10 via l’activation de TLR2 semble être un mécanisme commun par lequel de nombreuses bactéries participent à la tolérance immunitaire. Cette capacité immuno-régulatrices est partagée dans différents phyla, ce qui pourrait être la marque d’une forte pression de sélection.

Plusieurs notions émergent de l’ensemble de ces publications. Certains microbes comme SFB, commensaux chez un hôte en bonne santé, peuvent dans un

contexte particulier devenir pathogènes. Le terme de pathobionte s’applique à des micro-organismes qui bien que commensaux

Figure VII-3 : Importance de l’équilibre Th17 et Treg dans l’homéostasie intestinale et en particulier dans la régulation la réponse immunitaire. Adapté de Lee 2011.

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conservent un potentiel de pathogénicité qui s’exprime dans un contexte particulier. Or, il semble qu’une proportion importante de notre flore intestinale soit constituée de pathobiontes, proportion quantifiable, tant ce statut dépend du contexte de l’hôte et de l’environnement : infection, maladie auto-immune, immuno-dépression, malnutrition, obésité, MICI, cancer, etc. Il existe probablement un continuum entre la commensalité et la pathogénicité.

L’immuno-modulation induite par les bactéries commensales n’est pas univoque. Certaines contrôlent l’inflammation pour la maintenir à un niveau physiologique tandis que d’autres sont immuno-suppressives. Ces deux propriétés peuvent se révéler problématiques, soit en stimulant la réponse immunitaire à un niveau délétère soit en rendant le système immunitaire hypo-répondeur et permissif aux infections.

La façon dont le système immunitaire distingue des signaux provenant de commensaux de ceux provenant des pathogènes ne peut plus être expliquée uniquement par l’ignorance du système immunitaire reposant sur la ségrégation spatiale du microbiote qui limiterait les contacts. Tous les travaux montrent qu’il y a énormément d’échanges. Certains proposent que le système immunitaire, éduqué par le microbiote, apprend à reconnaître comme non-exogènes les signaux qui en sont issus (Lee and Mazmanian, 2010). Dans de nombreuses études, en particulier chez la souris, les mécanismes moléculaires qui permettent aux symbiotes de jouer sur le système immunitaire au niveau local et au niveau systémique ne sont pas connus précisément. Il faut aussi à prendre en compte le rôle de l’hôte. Le système immunitaire modifie et contrôle la composition du microbiote intestinal selon des mécanismes qui restent à explorer. Au travers des lymphocytes B qui produisent les IgA, des Treg, des ILC et des Th17, la présentation peptidique joue un rôle centrale dans l’éduction du système immunitaire dont on ne connait pas encore tous les ressorts (Guo et al., 2015; Kawamoto et al., 2014; Lamas et al., 2016; Nishio et al., 2015).

Figure VII-4 : Résumé des interactions entre certaines bactéries intestinales et le système immunitaire intestinal. Les cellules épithéliales, les cellules dendritiques (DC) et les macrophages induisent la différentiation en TH17, TH1 ou Treg en fonction du contexte moléculaire. Adapté de Kamada 2013.

Article I : Le butyrate produit par le microbiote intestinal, inhibe