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L’identité résulte des caractéristiques stables du Soi

Chapitre 3. Identités, stéréotypes et représentations sociales : implications dans l’OSP

1. Le Soi et les identités

1.1. L’identité résulte des caractéristiques stables du Soi

1.1.1. Le Soi : définition et approches théoriques

Le Soi constitue un objet d’étude à part entière en psychologie depuis les travaux de James (1890). L’auteur a ainsi proposé une approche non plus philosophique, comme c’était le cas jusque-là, mais psychologique, considérant le Soi comme une construction sociale. Né de l’expérience, le Soi est « une modalité de la conscience qui oriente les faits et gestes ou les pensées » (Le Breton, 2004, p. 63). Celui-ci est constitué du « Je » qui désigne la partie connaissante du Soi, ainsi elle « perçoit, a des sensations, mobilise des souvenirs, élabore des projets » (Deschamps & Moliner, 2012, p. 12). La seconde composante est désignée par le « Moi », elle est connue du « Je » et elle est composée de trois éléments : le Moi matériel qui est relatif à tout ce qui entoure l’individu incluant le corps ; le Moi social lié à la manière dont l’individu est perçu par autrui (reconnaissance, réputation) et le Moi spirituel en lien avec la connaissance que l’individu a de ses compétences ou sentiments (Deschamps & Moliner, 2012). Le Soi ne cesse d’évoluer tout au long de la vie. Cependant, l’individu cherche à maintenir « une image [de lui·elle-même] relativement stable et cohérente dans le temps et les situations » (Martinot, 2008, p. 24). Deux éléments permettent cela : un concept de Soi de travail (Markus

éléments constitutifs du concept de Soi qui sont disponibles en mémoire et mobilisés à un instant t (Martinot, 2008). Il permet de traiter « des connaissances de Soi opposées, contradictoires » (Martinot, 2008, p. 25), sans entrainer une remise en cause de la stabilité du Soi. Le second outil permettant une stabilité du Soi se trouve dans la reconstruction autobiographique. Ce processus désigne la manière dont les connaissances de Soi dans le présent viennent influencer les souvenirs de situations passées (Martinot, 2008).

La manière dont l’individu se définit va avoir une influence sur ses interactions et ses pratiques, et notamment celles d’orientation, nous le verrons par la suite. La considération d’un Soi social est présente dans les travaux de James, pour l’auteur le soi à plusieurs significations : il est matériel (relatif à ce qui appartient à l’individu), il a une dimension de connaissance (en lien avec les ressentis de l’individu à un moment donné) et il est social. Ce dernier point fait référence à la manière dont les autres nous perçoivent (Martinot, 2008). Le Soi est fragmenté par les appartenances groupales de l’individu, il prend autant de formes que d’interactions, « une action n’implique qu’une partie de ce que l’individu pourrait investir » (Le Breton, 2004, p. 63). À partir des années 1930, G. H. Mead (1934/2006) reprendra les travaux sur le Soi et notamment sur son émergence sociale, mettant en jeu les appartenances groupales multiples de l’individu. Deux composantes du Soi sont évoquées par G. H. Mead (1934/2006) : une première, sociologique, qui correspond au « Moi » et à « l’intériorisation des rôles sociaux » (Deschamps & Moliner, 2012, p. 13) ; et une seconde plus personnelle qui désigne le « Je ». Ce dernier élément renvoie ainsi à l’identité personnelle, et le « Moi » à l’identité sociale.

C’est à partir des années 1980 que les travaux de psychologie sociale sur le Soi se sont multipliés (Martinot, 2008). Deux approches se dégagent alors, une première en lien avec l’approche expérimentale, qui se place dans la cognition sociale ; et la seconde – sur laquelle nous prendrons appui dans le cadre de ce travail – qui considère plutôt l’aspect social du Soi dans un paradigme interactionniste. L’approche cognitive investigue la structure du Soi sans placer l’aspect social au centre de son étude. L’approche interactionniste propose que le Soi « se développe à partir d’un processus social qui implique d’abord l’interaction des individus dans le groupe » (G. H. Mead, 1934/2006, p. 230). La relation entre l’individu et la société est donc bidirectionnelle puisque le Moi est déterminé par la société, mais il va également la modifier (Dechamps & Moliner, 2012).

Les caractéristiques stables du Soi constituent l’identité qui reste – à l’instar du Soi – un processus en construction tout au long de la vie et qui nécessite parfois des réaffirmations.

Interroger les enjeux identitaires nécessite donc de considérer le contexte et les différentes appartenances groupales de l’individu. Comme l’indiquent Deschamps et Moliner (2012), les différents groupes d’appartenances n’ont pas tous les mêmes normes, c’est la négociation des différentes appartenances par l’individu qui sera alors déterminante dans la constitution du Soi.

1.1.2. Les composantes du Soi

Le Soi est constitué d’un versant cognitif et d’un aspect évaluatif. La composante cognitive correspond au concept de soi ou self-concept (Martinot, 1995 ; Guichard & Huteau, 2006). Il désigne l’ensemble des connaissances – actuelles ou futures – dont l’individu dispose sur lui·elle-même. Le « concept de soi » – qui est unique – est constitué d’une multitude de conceptions de Soi (Markus & Wurf, 1987), celles-ci permettent à l’individu de se penser et de se projeter dans des rôles sociaux multiples dans différents contextes (Martinot, 2001). L’individu possède alors des conceptions de Soi dans le champ scolaire (et aussi pour chaque discipline), mais aussi sportif, par exemple. Des recherches ont mis en évidence une différenciation entre les femmes et les hommes en ce qui concerne le concept de Soi. Ainsi, celui des premières se traduit en termes d’interdépendance ou de relation alors que celui des derniers se définit par de l’indépendance ou de l’agentivité (Doutre, 2012). Ces éléments sont en lien avec le processus de socialisation qui conduisent les femmes et les hommes à adopter un rôle social spécifique à son groupe de sexe.

La composante affective du Soi correspond à l’estime de soi, il s’agit du processus évaluatif que s’applique l’individu à lui·elle-même. Morval et Morval (1971) définissent l’estime de soi par « la valeur d’un individu attribue à sa propre personne » (p. 2). Cette composante du Soi est en lien avec autrui, l’individu « construit sa propre valeur à partir de la valeur que l’autre lui accorde » (Langlois, 2002, p. 53). À l’instar des conceptions de Soi, l’estime de soi a une dimension globale, mais également contextuelle. L’individu peut alors disposer d’une estime de soi positive en globalité, mais négative en ce qui concerne le domaine scolaire. Nous pouvons aller plus loin en précisant qu’en fonction de la discipline l’estime de soi peut fluctuer (Le Bastard-Landrier, 2005).

Dans la fin des années 1990, Sedikides et Strube évoquent quatre motivations du Soi (cités par Martinot, 2008 ; Deschamps & Moliner, 2012) :

 Une motivation à la valorisation de Soi : les individus cherchent ainsi à maintenir une image positive. Pour cela, des processus tels que la reconstruction autobiographique peuvent être mobilisés, ceux-ci apportent une vision « biaisée » aux souvenirs ;  Une motivation à la vérification (Deschamps & Moliner, 2012) ou à la consistance de

Soi (Martinot, 2008) : afin de maintenir une image stable, les individus vont chercher à confirmer les éléments informatifs les concernant. Cela influe sur les aspects mémoriels, mais également sur les attributions causales. Les individus vont ainsi avoir tendance à attribuer les événements en cohérence avec leurs connaissances de Soi par des facteurs dispositionnels alors que ce sont des éléments situationnels qui vont être mobilisés pour justifier des comportements allant à l’encontre des connaissances de Soi (Martinot, 2008) ;

 Une motivation à l’évaluation de Soi : les individus vont alors chercher à obtenir des informations exactes les concernant, et ainsi « rechercher la vérité et [à] se voir sans biais ni distorsion » (Martinot, 2008, p. 47). Une des implications de cette motivation est le recours des individus à des tâches leur permettant d’obtenir une évaluation positive d’eux·elles-mêmes ;

 Une motivation à l’amélioration de Soi : les individus cherchent à aboutir à ce qu’ils·elles voudraient être.

Le fait de disposer d’une estime de soi positive est un besoin fondamental pour l’individu (Croizet & Leyens, 2007). Or, la recherche et le maintien d’une identité sociale positive amènent à des processus perceptifs et comportementaux particuliers. Nous entendons par cela des conduites de protection de l’estime de soi par exemple à travers le recours à certains types de comparaison sociale (ascendante ou descendante en fonction de la situation) ou encore la désidentification psychologique qui conduit au désintérêt ou au désinvestissement d’un domaine menaçant pour l’estime de soi (Martinot, 2008). Si nous revenons un instant sur les rapports sociaux multiples dans la société, l’existence de hiérarchisation implique des groupes dominants et d’autres dominés. Certains individus sont alors stigmatisé·e·s sur la base de leur appartenance groupale, ils·elles seront alors discriminé·e·s. La persistance d’une estime de soi positive – même si elle est plus faible pour ces individus-là – résulte de stratégies de maintien et de protection de l’estime de soi (Croizet & Leyens, 2007). Si ces mécanismes permettent le maintien d’une estime de soi positive, les recherches mettent en évidence un important coût social pour les personnes stigmatisées. Mruk (2013) met en évidence les conséquences liées à

la préservation de l’estime de soi : « as with any other attitude that is held toward a given object, this one can involve positive or negative cognitive, emotional, and behavioral reactions » (p. 9). Martinot (2001) souligne que ces deux composantes du Soi – cognitive et évaluative – sont liées, mais pas équivalentes, ainsi, une estime de soi positive n’implique pas nécessairement des conceptions de Soi positives. Certain·e·s auteurs·trices ajoutent une composante comportementale au Soi, mais cette dimension n’est que peu abordée dans la littérature. Elle est parfois intégrée à l’estime de soi et désigne son influence sur les actions des individus (Malivoir, 2013), d’autres fois elle est mobilisée pour désigner l’effet des expériences individuelles sur l’estime de soi (Mruk, 1995). Même sans définition consensuelle de cette composante nous pouvons tout de même souligner l’effet du Soi sur le comportement en tant que l’identité constitue un guide à l’action (Deschamps & Moliner, 2012).

Enfin, notre travail se place dans une approche contextuelle de soi, comme peuvent le proposer les approches telles que la théorie de l’identité sociale ou celle de l’autocatégorisation, c’est-à-dire que le Soi n’est pas considéré comme une donnée stable et unidimensionnelle. Non seulement le Soi va évoluer tout au long de la vie de l’individu – même si certains traits peuvent revêtir une certaine stabilité – mais cette approche postule « que les différents niveaux de définition du soi coexistent au sein d’un même individu » (Martinot, 2008, p .17).