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Chapitre II. Les faces de l’identité nationale

II.1. L’identité nationale comme norme objective

L’identité nationale est une image que l’individu trouve, à sa naissance, dans la société, mais à la construction de laquelle il arrive à participer en tant que citoyen actif. Il y a une image de la nation qui gouverne la conscience collective et qui est reprise par chacun des citoyens via des facteurs de socialisation. L’intériorisation de l’image globale détenue de sa propre nation est médiatisée par chaque personnalité humaine qui la rend à la collectivité nationale d’une manière à la fois fidèle et novatrice. Le positionnement entre les deux pôles est directement influencé par la dimension affective associée à l’image de la nation fondée sur la réalité concrète, la matérialité (la nation comme organisme vivant, comme existence matérielle, mais aussi de toutes les marques physiques de l’espace national) et les événements qui ont touché la collectivité nationale. La collectivité nationale est organisée et gouvernée par cette image (ou, pour mieux dire, par cette image-sentiment). Au fur et à mesure, suite à l’action des agents de socialisation (l’école prenant une place à part) l’individu découvre et s’approprie le monde où il vit, avec tous les éléments matériels et spirituels qu’il englobe. Ce fait se réalise par l’intermédiaire des symboles dont le support physique est la nation même. A ce point, la nation et l’image construite à partir de la nation, deviennent des contraintes extérieures à l’individu qui orientent sa perception et son attitude sur la collectivité nationale d’appartenance. Sur cette approche on insiste à ce point – l’identité nationale comme contrainte extérieure objective qui prend ses racines de la nation comprise comme de la substantialité.

L’identité s’érige comme une norme agissant de l’extérieur sur la pensée et le comportement aussi bien individuel et de groupe. Elle suppose un système complexe de règles et de normes s’imposant naturellement aux individus et étant « toujours des instruments de contrainte en même temps que de légitimation » (A. Touraine, 1973 : 186). Comme norme extérieure, la compréhension de l’identité nationale se fait en termes de « choses » qui contraigne les individus de l’extérieur ; elle « apparaît, dans ce système, comme contrainte extérieure (par le droit et / ou par le consensus) » (R. Lourau, 1970 : 101). D’une part on parle de la contrainte par le droit, réalisée par l’identité nationale sur la nation qu’elle représente. On fait ici appel au droit qui est l’instance suprême qui force

87 les individus de mettre en place une action légale ou à adopter un comportement, une attitude conforme aux réglementations légales. On peut prendre quelques exemples : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale » (Article premier, Constitution de la France) ou « La Roumanie est un Etat de droit, démocratique et social, où la dignité humaine, les droits et les libertés des citoyens, le libre développement de la personnalité humaine, la justice et le pluralisme politique représentent des valeurs suprêmes, dans l’esprit des traditions démocratiques du peuple roumain et des idéaux de la Révolution de décembre 1989, et ils sont garantis » (Art. I.1.3, Constitution de la Roumanie). Les valeurs universelles qui alimentent l’identité nationale, sont promues dans l’espace national, mais toujours en invoquant le respect des droits humains pour chaque citoyen. Les valeurs universelles et les droits humains ne sont pas les seules réalités visées dans les documents officiels. Le territoire et la nation, avec toutes les implications, sont présents. « Le territoire de la Roumanie est inaliénable. » (Art. I.3.1, Constitution de la Roumanie) ou « Les frontières du pays sont consenties par loi organique, en respectant les principes et les autres normes généralement admises du droit. » (I.2.2, Constitution de la Roumanie) sont des exemples de la dimension territoriale de l’identité nationale. Ces exigences stipulées par le droit ne défendent l’intégrité nationale seulement face aux menaces externes, mais aussi face aux possibles menaces qui peuvent arriver de l’intérieur. Ainsi, « aucune personne ne peut pas exercer la souveraineté à son propre nom » (I.2.2, Constitution de la Roumanie) ou « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » (Art. I.3, Constitution de la France). A partir de ces exigences stipulées dans les documents officiels, tous les autres documents officiels sont réalisés afin de façonner et contrôler le développement individuel de chaque membre de la nation, mais aussi l’avenir de l’ensemble de la nation. Les politiques publiques, les documents de politique scolaire ou tout autre document officiel national promeut et impose l’intégrité, la souveraineté, la liberté et l’indépendance. La perception que les individus ont de leur nation et les sentiments d’attachement et de respect qui leur sont associés, sont directement proportionnelles à toutes les exigences officielles.

88 D’autre part, on parle de la contrainte réalisée de l’identité nationale par consensus. Si dans le cas précédent les directives étaient mentionnées dans des documents fondamentaux pour l’existence et le bon fonctionnement d’un Etat (et dans les documents qui en découlent et veillent au fonctionnement optimal de ses institutions), dans ce cas c’est l’accord commun sur les dimensions de l’identité nationale, une communauté de pensée, de sentiments et d’action visant la nation. Cette communauté de pensée et de pratique est le résultat de l’action des facteurs de socialisation qui, à l’aide des symboles et de significations, amènent les concitoyens à avoir un comportement pro national. En même temps, une conscience collective nationale qui transcende toute conscience individuelle se construit, devenant une autorité supérieure autour de laquelle gravitent les images et l’attachement aux dimensions particulières de l’identité nationale. Le pouvoir des symboles arrive ici au premier plan. Dès qu’elle est instaurée, la conscience nationale transmet des signaux pour sanctionner positivement ou négativement les attitudes et les comportements touchant la nation. Ces signaux se matérialisent dans toute sorte de manifestations collectives d’approbation, d’encouragement d’une part, et de rejet, de désapprobation d’autre part.

Dans les deux cas de contrainte, le support matériel de l’identité est la nation considérée par son côté substantiel. Même si cette approche emprunte des éléments de l’approche imaginaire ou de celle conventionnelle, l’analyse de la construction identitaire nationale s’appuie en grande partie sur la substantialité, sur la matérialité de la nation. Les réglementations officielles visent (non exclusivement, mais dans une mesure significative et de premier plan) l’intégrité physique de la nation et de son territoire qui alimente l’image et le sentiment nationalistes. Le mode d’organisation et de fonctionnement de la communauté nationale est en interdépendance avec la construction des mécanismes de contrainte. Ainsi, l’élaboration des documents officiels se réalise dans un espace national concret, prenant en compte sa spécificité : la structure sociale, le réseau de relations établies, les productions matérielles et spirituelles des êtres humains. La contrainte formelle ou informelle construite dans ce contexte désire le maintien même du fonctionnement, des relations et de la culture réalisée dans l’espace national, ou le développement de cet acquis.

89 Mettant en liaison directe la substantialité de la nation et le complexe normatif qu’elle engendre, il faut souligner la forte corrélation établie entre les deux variables. Au moins au niveau théorique, toute nation vivant dans un Etat national promeut des valeurs universelles qui favorisent le respect des droits humains. En réalité, l’organisation particulière d’une nation gouvernée par une telle idéologie politique met en évidence des formes variées de groupes nationaux, chacun favorisant un fonctionnement spécifique des réseaux de relations verticaux et horizontaux, une compréhension adaptée aux valeurs et normes, et en conséquence, un rapport assez particulier à la culture. Pour illustrer, on peut invoquer, d’une part la nation dominée par l’idéologie communiste et la même nation passée au gouvernement démocratique. Sous l’idéologie communiste, la nation est plutôt comprise dans l’acception de « masses populaires » ou « masse ouvrière » où l’individualité se perd dans le processus de « massification ». Le système entier de valeurs et de normes qui gravitent autour de cette forme d’organisation et de fonctionnement de la nation met en avant l’idée d’agrégation, de totalité où on exige de l’individualité de reproduire fidèlement les caractéristiques du groupe. Les valeurs assignées sont celles du travail pour le bien commun où l’individu n’est pas le bénéficiaire des actions qu’il entreprend, mais le bien commun de tous et le progrès de la nation (en termes de « notre peuple ») priment. Directement liée à cette approche est celle de « classe » qui renforce l’idée de partager quelque chose. Pour l’idéologie communiste qui a beaucoup privilégié cette acception, la classe s’organisait autour de l’idéologie de gouvernement, et la nation entière était organisée en une « classe ouvrière » qui travaillait pour « la société multilatéralement développée et l’avancement vers les sommets du progrès ». Pour ces fins, les normes majeures gravitaient autour du travail pour le bien « du peuple », pour le développement et le progrès, pour l’épanouissement de « l’homme nouveau » qui pouvait accomplir les directives du Parti. Prenant appui sur cette organisation et ce fonctionnement de la nation, l’identité nationale devait s’ériger en une norme promouvant l’idéologie. Cette identité nationale avait à s’instaurer dans les âmes des citoyens par l’école, les médias, les organisations (politiques) comme une image décrivant le plus beau, le plus riche pays du monde, le plus intéressé au bien commun de tous, où tous sont égaux. Cette image de ce que c’est la nation et de ce qu’elle fait pour le

90 bien commun, lui associe de forts sentiments positifs, en agissant comme une forte contrainte extérieure pour soumettre la nation entière (masse, classe).

Les sociétés démocratiques amènent une autre compréhension de la collectivité nationale où l’individualité prend de l’importance, l’égalité entre les citoyens est redimensionnée et les relations à l’intérieur du groupe national sont repensées. Même la division et l’organisation sociale changent, ce qui offre à l’identité nationale une autre source d’inspiration et d’appui pour l’image qui la représente. Etant une image de la nation qui exerce sa souveraineté, l’identité nationale agit pour la garantie de la souveraineté et des institutions démocratiques et pour la possibilité de l’individu de se développer selon ses intérêts et capacités.

L’identité nationale n’existe pas en l’absence d’un lien social qui unit la collectivité nationale et stimule la mise en avant de ses intérêts nationaux. Dans l’approche envisagée ici – l’identité nationale comme norme objective – « la question du lien social est posée dans les termes mêmes du droit objectif » (R. Lourau, 1970 : 101). La nation comme instance substantielle nourrit le respect des normes, des valeurs, des droits à partir de l’existence objective de la nation. Elle s’inscrit dans « le moment de l’universalité, sous la figure de "la société" » (R. Lourau, 1970 : 101) où l’identité nationale cherche à pénétrer dans tous les organismes particuliers de la société pour agir dans le sens du maintien des relations, des réseaux et des règles qui gravitent autour de ceux-ci pour le maintien de l’ordre social existant.

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