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L’humain, un facteur avant tout

Chapitre 1. Apports et limites des approches contemporaines de la sécurité

2. L’humain, un facteur avant tout

Le questionnement au cœur de la thèse vise à cerner les raisons pour lesquelles la dimension spécifiquement humaine de l’action est peu intégrée dans les démarches des organisations travaillant à préserver la sécurité. Notre hypothèse en réponse à cette question est que le paradigme positiviste et la pensée de l’ingénierie imprègnent toutes les démarches actuelles, y compris celles se focalisant sur l’humain, et empêchent la prise en compte de son humanité.

Dans cette partie nous allons donc nous pencher sur ce que le positivisme « fait » à l’humain dans l’organisation, la manière dont l’humain est intégré dans la conduite des activités et la préservation de la sécurité. Dans notre hypothèse, quel que soit l’accent mis sur le rôle de l’humain il n’est que peu pris en compte dans sa spécificité, contribuant pour une bonne part à expliquer les difficultés actuelles de la sécurité. Pour étayer notre propos, nous allons commencer par montrer la manière dont les

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organisations cherchent d’abord, par défaut, à contrôler les individus et à leur imposer un modèle de rationalité instrumentale idéale, copié sur la rationalité positive (2.1). Dans une deuxième section nous nous pencherons sur l’humain considéré comme facteur (2.2), avant d’aborder les approches culturalistes de la sécurité qui, en apparence les plus éloignées du paradigme, semblent malgré tout y rester ancrées (2.3).

2.1 L’individu en organisation, un objet de contrôle

Du point de vue du rôle réservé à l’individu dans les organisations, le paradigme positiviste se traduit de deux manières principales. Il passe d’abord par la construction d’un idéal de rationalité technique instrumentale (2.1.1), matérialisée par une injonction10 à se montrer « compétent » (2.1.2). Ces deux aspects renvoient au thème déjà abordé de la normalisation des comportements et notamment à la réduction de l’incertitude associée aux comportements individuels, considérée comme un facteur de risque.

2.1.1 La rationalité instrumentale, idéal de l’organisation

Comme l’écrit Omar Aktouf, « que ce soit sous la vision taylorienne ou sous celle du mouvement des relations humaines, l’employé est une forme particulière d’instrument à rentabiliser, un des facteurs de production qui doit « donner son maximum » (Aktouf, ibid., p.22). Les démarches visant à optimiser la performance de l’individu en organisation peuvent être regroupées sous l’expression « ingénierie sociale ». L’ingénierie sociale vise à favoriser la mobilisation par les individus des moyens les plus adéquats pour atteindre des objectifs prédéterminés, c’est-à-dire réalisent des actions rationnelles orientées en finalité (Weber, 2003). Une telle démarche apparaît conforme à la relation instrumentale qu’instaure le paradigme positiviste avec les phénomènes du monde. Les organisations contemporaines cherchent donc à déclencher chez leurs membres des comportements régis par une visée instrumentale,

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10 L’injonction renvoie à l’ « ordre, commandement précis, non discutable, qui doit être obligatoirement

exécuté et qui est souvent accompagné de menaces de sanctions » (CNRTL). Il s’agit donc d’un ordre d’une nature encore plus impérieuse en raison de la menace qui est d’emblée intégrée. Pour un travail approfondi sur le concept d’injonction, cf. Agulhon, Pécaud, Guarnieri, 2014.

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dans le cadre d’une rationalité devant mener mécaniquement d’une situation A à une situation B par le moyen le mieux adapté, le plus efficient.

Pour ce faire, l’organisation place les individus face à des injonctions extrêmement exigeantes, voire contradictoires (Aubert, Gaulejac (de), op.cit.). Ces injonctions prennent la forme d’une invitation à adopter des comportements rationnels, « rationnel » désignant non un absolu mais la conformité à la norme construite par l’organisation – il est en effet désormais largement établi que la rationalité ne saurait être ni parfaite ni idéale, mais « limitée » par l’information disponible et la capacité à la traiter (Simon, 1983). Les organisations contemporaines se caractérisant comme on l’a vu par la division de l’activité et le caractère hétéronome des règles la régissant, c’est bien à une rationalité elle aussi hétéronome qu’on demande aux individus de se soumettre. Comme l’écrivent Crozier et Friedberg, « L’acteur n’existe pas en dehors du système qui définit la liberté qui est la sienne et la rationalité qu’il peut utiliser dans son action. » (Crozier, Friedberg, 1977, p.11). Et d’ajouter plus loin que « l’homme est le prisonnier des moyens organisationnels qu’il doit employer pour agir, et ces moyens ont une force d’inertie considérable et lui échappent d’autant plus qu’il ne les comprend ni ne les respecte. » (Crozier, Friedberg, 1977, p.350). Pour Crozier et Friedberg, il est donc clair que les individus se trouvent contraints par les organisations jusque dans leur rationalité, idée déjà rencontrée chez Aubert, de Gaulejac, Dujarier, etc.

Les organisations posent ainsi en modèle une rationalité idéale. Cette rationalité idéale renvoie essentiellement à la rationalité cartésienne, fondée sur les préceptes d’évidence, de causalité, d’exhaustivité et de réductionnisme (Lyotard, 1994), mise en œuvre grâce à des capacités d’analyse et de déduction, visant une vérité du raisonnement et de son résultat. Cependant une telle vision de la rationalité se confronte à deux problèmes principaux. D’une part, elle fonde le principe de règles de travail abstraites applicables en toute situation (préceptes d’évidence et d’exhaustivité), une approche dont le caractère inadapté est largement établi. D’autre part, elle affirme la pertinence de raisonnements analytiques réductionnistes causaux (préceptes de causalité et de réductionnisme), peu adaptés à des situations complexes. Appliquée à la sécurité, cette critique rejoint celle de Terssac et Mignard lorsqu’ils écrivent que « de dispositif hétéronome, le travail d’appropriation permet de le transformer en une disposition autonome car c’est bien le sujet qui décide de mobiliser

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la règle pour l’inscrire dans son action et de la transformer en « règle à soi », « cette appropriation suppose que les « règles pour tous » deviennent des « règles à soi », que l’appropriation personnalise cette contrainte pour en faire une ressource et la fasse entrer dans la singularité du sujet qui les considère alors comme sienne, produite par soi-même et pour soi-même. » (Terssac (de), Mignard, 2011, pp.119 et 123). La rationalité « classique », substantive, recherchée par les organisations semble ainsi inadaptée à la gestion des situations de travail réel aussi bien dans sa forme (principe d’hétéronomie et injonctions paradoxales) que sur le fond. C’est d’ailleurs bien le propos de Simon lorsqu’il développe le concept de rationalité procédurale, selon lequel « Un comportement est procéduralement rationnel lorsqu’il est le résultat d’une délibération appropriée. Cette rationalité procédurale dépend du raisonnement qui l’engendre (Simon, 1982, vol. II, p.476), rationalité procédurale qui se rapproche selon Jean-Louis Le Moigne (1994) de la métis aristotélicienne, « l’intelligence rusée » et de l’ingenium, « l’intelligence de la raison », de Vico ; nous reviendrons sur les caractéristiques de ces modes de raisonnement dans le chapitre 2 de la thèse pour souligner simplement à ce stade l’inadéquation de la rationalité classique mise en œuvre par les organisations.

Lorsque l’on aborde la rationalité en organisation il est difficile de faire l’impasse sur la question de la décision, qui joue un rôle clé dans la sécurité pensée comme maîtrise des risques. Les situations à risque étant caractérisées par l’incertitude, ce que les organisations cherchent à assurer c’est la capacité des individus, dans ces situations, à tenir le raisonnement qui permettra de prendre la décision optimale au vu de leurs objectifs : comme l’écrit Simon « Un grand nombre de comportements, en particulier le comportement de l’individu au sein d’une organisation administrative, sont intentionnels, c’est-à-dire tournés vers des buts ou des objectifs. Cette intentionnalité opère une « intégration » dans le modèle de comportement, intégration en l’absence de laquelle l’administration n’aurait aucun sens. Si administrer consiste à « faire faire les choses » par des groupes d’individus, l’« intention » est le principal critère qui entre en ligne de compte pour déterminer ce qu’il faut faire. Les décisions infimes qui gouvernent les actions spécifiques sont inévitablement des applications plus vastes relatives à l’objectif et à la méthode. » (pp.5-6) Dans cette perspective, faire en sorte que les individus mettent en œuvre une rationalité particulière exige d’une part qu’ils se soient appropriés les objectifs et intentions que cette rationalité vise à atteindre,

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d’autre part, qu’ils aient intégré et soient à même d’articuler en un raisonnement les règles et procédures permettant de réaliser l’intention : pour Simon, « Le concept d’intentionnalité comporte l’idée d’une hiérarchie des décisions, chaque échelon de la hiérarchie devant mettre en œuvre des projets définis par l’échelon immédiatement supérieur. Le comportement est intentionnel dans la mesure où il est guidé par des buts ou des objectifs généraux ; il est rationnel dans la mesure où il choisit des alternatives favorables à la réalisation des objectifs précédemment choisis » (ibid., p.7). Cette question de l’intention semble particulièrement importante en matière de sécurité, les situations de risques étant caractérisées par l’incertitude (de la survenue du risque) : un objectif concurrent (productivité, moindre pénibilité…) est toujours susceptible de l’emporter.

Or, la définition de l’intention renvoie à une « Disposition d'esprit, mouvement intérieur par lequel une personne se propose, plus ou moins consciemment et plus ou moins fermement, d'atteindre ou d'essayer d'atteindre un but déterminé, indépendamment de sa réalisation, qui peut être incertaine, ou des conditions qui peuvent ne pas être précisées. » (CNRTL). On peut alors s’interroger sur la possibilité pour les individus de développer une « disposition d’esprit, mouvement intérieur » par le biais contraignant des relations de pouvoir, du contrôle managérial et de l’intériorisation de comportements formalisés, moyens dont on a vu qu’ils sont les principaux mis en œuvre par les organisations contemporaines ; et par conséquent, sur l’adéquation entre ces moyens et l’atteinte des objectifs des organisations – finalement, leur rationalité. Nous voici de nouveau renvoyés à la possibilité d’une « irrationalité de grande ampleur » dans les processus organisationnels. Il en va de même pour la notion de compétence individuelle, qui remplace celle de qualification et semble s’imposer progressivement dans les organisations.

2.1.2 La compétence individuelle, solution à l’injonction paradoxale obéissance/autonomie

Comme le note Xavier Greffe préfaçant la version française d’Administration et

processus de décision (Simon, 1983) « les exécutants sont, chacun à leur manière, des

centres de décision, en aucun cas, pour reprendre une opération consacrée, des « paramètres bureaucratiques décentralisés ». Même lorsque les tâches apparaissent

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relativement répétitives et banalisées, il subsiste des marges de discrétion ou d’interprétation qui peuvent se transformer en de véritables espaces discrétionnaires, dès lors que ces tâchent laissent ouvertement la place à des choix. » (p.VI). Or on a vu que les organisations post-tayloristes séparent conception et exécution de l’activité, postulant la possibilité de règles parfaitement applicables, un projet contradictoire avec la réalité décrite par Xavier Greffe et qui constitue de ce fait une nouvelle injonction paradoxale : les membres de l’organisation doivent officiellement obéir aux règles mais également savoir se comporter en situation et faire preuve d’autonomie si celle-ci l’exige. Ce paradoxe est d’ailleurs inscrit dans la mise en œuvre du concept de compétence, « principalement formalisé dans des secteurs industriels et dans des métiers plutôt « masculins », alors qu’il met particulièrement l’accent sur la dimension de service qui évoque des métiers tertiaires plus féminisés » (Paradeise, Lichtenberger, 2001).

Pour mettre en œuvre ces marges discrétionnaires et répondre à l’injonction obéissance/autonomie, les individus sont invités à développer et faire preuve de « compétences ». Selon Zarifian, « on appelle « qualification » ce qui ressort des ressources (en savoirs, savoir-faire, comportements…) acquises par un individu, que ce soit par formation ou par exercice de diverses activités professionnelles. Et par « compétence », la mise en œuvre de ces ressources en situation. (…) la qualification est la « boîte à outils » que détient un salarié. La compétence désigne la manière d’utiliser concrètement cette boîte à outils, de la mettre en œuvre. » (Zarifian, 2004, p.13). Il la définit par trois caractéristiques : « La compétence est la prise d’initiative et de responsabilité de l’individu sur des situations professionnelles auxquelles il est confronté… La compétence est une intelligence pratique des situations qui s’appuie sur des connaissances acquises et les transforme avec d’autant plus de force que la diversité des situations augmente… La compétence est la faculté à mobiliser des réseaux d’acteurs autour des mêmes situations, à partager des enjeux, à assumer des domaines de responsabilité » (Zarifian, ibid., p.81).

Florence Osty complète cette description en estimant que le passage à une logique des compétences témoigne de la nécessité croissante de faire usage des « marges de discrétion », du fait de la place croissante de « situations de travail faisant davantage appel à l’esprit d’initiative, à l’ingéniosité, à la capacité d’ajustement pour parer à de multiples situations d’aléas. Le métier désignerait alors ces nouvelles situations de

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travail, marquées par une forme d’autonomie productive et enserrées dans de fortes contraintes de gestion. Parallèlement on assiste à l’émergence d’une gestion par les compétences venant remplacer progressivement celle des qualifications. » (Osty, 2010, p.18). Boltanski et Chiapello formulent le même constat lorsqu’ils écrivent qu’« en mettant l’accent sur la polyvalence, la flexibilité de l’emploi, l’aptitude à apprendre et à s’adapter à de nouvelles fonctions plutôt que sur la possession d’un métier et sur les qualifications acquises, mais aussi sur les capacités d’engagement, de communication, sur les qualités relationnelles, le néomanagement se tourne vers ce que l’on appelle de plus en plus souvent le « savoir-être », par opposition au « savoir » et au « savoir-faire » (Boltanski, Chiapello, ibid., p.151). La place croissante tenue par les compétences dans l’évaluation des performances des individus en organisation témoigne ainsi de la reconfiguration de l’activité et de la manière dont les organisations s’approprient et répercutent cette reconfiguration.

Les organisations contemporaines attendent donc de leurs membres qu’ils appliquent les règles qu’elles conçoivent pour conduire l’activité, avec pour bénéfice notoire qu’ils réduisent l’incertitude lorsqu’elle se présente, dans un sens conforme aux objectifs de l’organisation. La demande organisationnelle de compétence s’inscrit alors dans la continuité de l’injonction à la rationalité, puisqu’elle revient à attendre des individus qu’ils soient en mesure d’appliquer les règles lorsqu’elles sont applicables, et de prendre le relai lorsqu’elles ne le sont plus, d’une manière conforme aux objectifs et manières de faire de l’organisation. La compétence passe ainsi par la maîtrise d’un dispositif organisationnel prescriptif composé de règles et procédures, d’un dispositif hiérarchique, managérial et informationnel et globalement, ce que l’on peut appeler une « culture », grâce à laquelle sont intégrés les objectifs et valeurs de l’organisation (nous reviendrons sur la notion de culture à la fin de ce chapitre, 3.3.1) : il s’agit de faire en sorte que les actes réalisés individuellement dans le cadre des « espaces discrétionnaires » correspondent à la norme organisationnelle.

En faisant en sorte que l’action spontanée réalisée dans le cadre d’« espaces discrétionnaires » s’inscrive dans la prolongation des règles organisationnelles, la compétence pousse à articuler les concepts d’initiative et d’autonomie et à se demander si la compétence n’interdit pas l’autonomie, entendue comme « capacité à se gouverner selon ses propres règles » (Terssac (de), 2012). Puisque les règles mises en œuvre par compétence restent, dans la lettre ou dans l’esprit, celles de

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l’organisation, l’autonomie n’est pas le fruit de « ses propres règles » mais bien celui des règles extrapolées de l’organisation – à moins que l’individu n’ait véritablement intériorisé ces règles et la vision de la réalité qu’elles construisent, conduisant à la requalifier comme subjective (Terssac, ibid.). Ce qui est alors en question n’est plus seulement la pertinence et la rationalité de ces règles, mais bien le rapport de la rationalité à l’identité individuelle et collective. On peut également s’interroger sur les possibles effets pervers des ambigüités de la compétence, notamment en matière d’engagement individuel, du fait d’une « exigence de mobilisation non assortie de promesses lisibles et fiables de gratifications positives dans la durée, qui s’exprime dans la violence unilatérale d’une contrainte portée par la seule instrumentation de gestion » (Paradeise, Lichtenberger, ibid.).

Par ailleurs une telle perspective impose de s’interroger sur la responsabilité propre à l’action spontanée : pour citer à nouveau Zarifian, « on peut donner une définition positive et active (au sens de la liberté active et la puissance d’action) de cette responsabilité : répondre de, c’est aller jusqu’au bout de sa prise d’initiative. C’est inscrire ce qu’on appelait (dans le modèle du métier) la « conscience professionnelle ». C’est une question pratique, et non morale. C’est assumer la plénitude de son action, face aux autres, mais aussi (et d’abord) face à soi-même. Je réponds de mon initiative. Autrement dit, je réponds de sa portée, de ses effets, de ses conséquences. J’exerce ma puissance jusque dans ses conséquences » (Zarifian, ibid., p.82). Cette définition de la responsabilité nous semble particulièrement juste et adaptée aux actions réalisées dans des environnements complexes, particulièrement dans le cadre de la sécurité où la question de la responsabilité (dans l’accident) est explicite – nous y reviendrons là aussi au chapitre 2. Il nous semble cependant que dans le contexte organisationnel décrit jusqu’à maintenant, un tel exercice de la responsabilité est contredit par la nature des injonctions qui pèsent sur le salarié et qui le poussent à obéir et à se conformer à la rationalité organisationnelle, bien plus qu’à développer et mettre en œuvre sa propre rationalité. Cet aspect apparaît alors comme une nouvelle impasse du modèle organisationnel correspondant à l’idéologie de l’ingénierie.

Pour résumer, du fait de leur recours à l’ingénierie sociale et aux injonctions paradoxales, les organisations contemporaines enserrent les individus dans un dispositif rationnel et pratique hétéronome. En ce sens, et en dépit de l’incompressible

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incertitude d’une partie au moins des situations de travail, elles interdisent la possibilité d’une action réellement autonome, dans le sens défini plus haut. Si l’autonomie est bien « inaliénable et une caractéristique essentielle de l’action humaine » (Terssac (de), 2013), on peut s’interroger sur les effets de cette absence d’autonomie sur les individus, leur relation à eux-mêmes, à leur travail et à leur organisation. Nous reprendrons cette question dans la suite de la thèse (chapitre 2). Le contrôle sous ses différentes formes constitue donc la modalité privilégiée des rapports entre l’organisation et ses membres, et des rapports interindividuels au sein de l’organisation. Dans cette perspective l’humain est considéré comme une sorte de « pâte à modeler », un matériau auquel l’organisation peut donner forme au gré de ses contraintes et objectifs. Dans la perspective particulière de la sécurité, les analyses d’accidents ont rapidement permis de mettre au jour les limites d’une telle approche, donnant lieu à une volonté d’intégrer l’humain dans sa capacité de contribution, qu’elle soit négative ou positive. L’humain devient alors un « facteur ».

2.2 L’humain, ce facteur

Avec les accidents majeurs de la fin des années 1970 et du début des années 1980 se développe la conscience que les accidents ne sont pas uniquement le fait de la technologie, et que la technologie n’est pas l’unique recours pour préserver la sécurité (Hollnagel, 2014). C’est alors qu’apparaissent les premiers travaux sur l’humain comme source de défaillance, d’abord au travers de « l’erreur humaine » puis de sa mise en contexte via les « facteurs organisationnels », sur lesquels nous allons maintenant nous pencher (2.2.1). Nous aborderons ensuite les travaux portant sur les « biais cognitifs » relatifs à la perception des risques, qui vont chercher les causes des actions inadaptées à la maîtrise des risques dans les difficultés liées à leur perception (2.2.2).

2.2.1 De l’erreur humaine aux Facteurs Humains et Organisationnels (FHO)

Les travaux sur l’« erreur humaine » découlent en droite ligne des travaux issus des sciences cognitives. La notion a été popularisée par les travaux de James Reason (2013 [1990]) dont on peut reprendre la définition canonique selon laquelle “Error

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sequence of mental or physical activities fails to achieve its intended outcome, and when these failures cannot be attributed to the intervention of some change agency”.

Comme pour le biais cognitif, on voit que la notion d’erreur humaine se focalise sur la déviation par rapport à un modèle et non sur le résultat de l’action. La notion d’erreur humaine joue un rôle important dans la théorie des organisations et dans les Safety