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6. ENTREVUES

7.3 Quelques gestes spécifiques

7.3.1 L’harmonica

Figure 7.1 : L’Harmonica. (c) Antoine Berthiaume, 2018

J’appelle ce premier geste Harmonica en raison de son timbre sonore semblable au son produit par l’instrument du même nom. Lauzier obtient cette couleur en utilisant uniquement la

partie supérieure de l’instrument et en obstruant toutes les sorties d’air à l’exception de la clé d’octave. Le résultat est un son métallique très pur et pratiquement non bruité qui apparait à 3:09.

Figure 7.2 : Capture d’écran du logiciel Izotope Rx de l’échantillon Harmonica.

Ce son est obtenu par un rapport d’intervalle de 757.5 hertz pour donner une couleur enharmonique totalement équidistante comme on le voit dans le tableau 7.1 :

757.5 Hz F#5 plus 40 cents

1515 Hz F#6 plus 40 cents

2275 Hz C#7 plus 44 cents

3030 Hz F#7 plus 40 cents

3787 Hz A#7 plus 27 cents

4545 Hz C#8 plus 42 cents

5302.5 Hz E8 plus 9 cents

6060 Hz F#8 plus 40 cents

6817.5 Hz G#8 plus 44 cents

7575 Hz A#8 plus 27 cents 8332.5 Hz C9 moins 8 cents

9090 Hz C#9 plus 42 cents

9847.5 Hz D#9 moins 19 cents

10605 Hz E9 plus 9 cents

11362.5 Hz F9 plus 29 cents

Tableau 7.1 : Série des 15 premières harmoniques de l’échantillon Harmonica.

7.3.2 Le Sho

Cet échantillon sonore apparait à 4:10 dans la pièce. Je l’ai nommé Sho en raison de sa sonorité me rappelant la musique Gagaku57. Cette sonorité enharmonique donne une perspective spatiale différente. La texture sonore étant étouffée par la fermeture du pavillon sur la jambe, la perception de la distance par rapport à l’objet se trouve altérée. Pour cette raison, je l’ai utilisée tel un cri distant dans un espace très ouvert.

Figure 7.3 : Le Sho. (c) Antoine Berthiaume, 2018

7.3.3 Le Ruisseau

Le Ruisseau apparait aux alentours de 5:14 dans la pièce58. Lauzier produit cette sonorité en positionnant la clarinette de façon pratiquement perpendiculaire à son corps afin de permettre une plus grande condensation sous la région de l’anche. Le résultat sonore est un mélange de timbre, de hauteur, de circulation de vent et de sautillement de la salive dans le bocal de l’instrument.

Figure 7.4 : Le Ruisseau. (c) Antoine Berthiaume, 2018

7.3.4 La Sirène

Figure 7.5 : La Sirène. (c) Antoine Berthiaume, 2018

Ce concept repose sur la préparation de l’instrument avec une feuille de mousse de polystyrène ou encore d’aluminium. Très efficace dans le registre grave, cette technique provoque des soubresauts entre la surface de contact de la mousse de polystyrène et du pavillon, provoquant des bruits parasites intermittents.

7.3.5 Le Air Slap

Obtenu avec une préparation en mousse de polystyrène également, cet effet permet de faire un slap tongue moins agressif que ceux que l’on aurait l’habitude d’entendre. On peut l’entendre à plusieurs reprises durant la pièce, notamment à 8:06.

Figure 7.6 : Air Slap. (c) Antoine Berthiaume, 2018

La particularité de ces mouvements reconnaissables nous permet de supposer la proposition avant de l’entendre, d’anticiper le son avant de l’entendre. Contrairement à Davidson ou Morin, pour qui les mouvements ne laissent rien présager, la préparation de l’instrument ou la posture caractéristique que Lauzier adopte quelques secondes avant de jouer trahissent nécessairement l’intention musicale.

7.4 La banque de son

Une fois isolés, ces échantillons peuvent être réinterprétés et agencés de manière à leur conférer une connotation tout autre. Par ce procédé, je trouve intéressant de décontextualiser la pratique de l’improvisateur et de lui faire redécouvrir son propre travail à travers mes yeux et mes oreilles. La perception étant différente d’une personne à l’autre, l’intérêt de cette démarche est aussi de faire prendre conscience à l’interprète du pouvoir imaginaire de son enveloppe timbrale.

La reconstruction du discours s’est faite de manière naturelle. À la manière de l’écriture, la transmutation de ces ponctuations, phrases et chapitres fait apparaitre de nouvelles formes et évoque de nouveaux paysages.

7.5 L’identité

La plupart des explorations sonores issues du truchement d’un instrument de musique par l’usage d’une technique étendue ou de préparations sont brevetées par leur signature sonore, mais également par leur identité visuelle. Il est difficile pour un improvisateur de s’approprier indûment les préparations spécifiques ou l’idiome d’un autre musicien sans risquer de se faire taxer de plagiat. Le traitement numérique, quant à lui, est invisible. Il est par conséquent plus facile d’en recopier la recette et d’en changer quelques ingrédients sans grand risque de reproche.

Un improvisateur doit nécessairement réfléchir à l’aspect représentatif et esthétique de la performance. Après tout, s’il veut être entendu, il doit être vu. Le ebow, le pinceau, les clips alligator, les baguettes chinoises, le ruban, la baguette de tambour, la boite de conserve, le ventilateur de poche, l’archet, le trombone et la laine d’acier sont des éléments bien connus de la palette de couleur des guitaristes expérimentaux. Personnellement, je ne considère pas avoir réussi à me créer une identité à travers cette pléthore d’outils, trop souvent vus entre les mains de mes prédécesseurs – pensons à Fred Frith ou Keith Rowe. Il m’est impossible d’aborder ces outils sans un certain sentiment d’imposture. Le laptop n’est toutefois pas d’une grande aide dans la création d’une identité visuelle personnelle. Pour cette raison, je me suis tourné vers la danse afin de donner vie à ma musique, car pour moi le mouvement reste nécessaire.

8. FAILLE : DEUX CORPS SUR LE COMPTOIR

Figure 8.1 : Jessica Serli. (c) Claudia Chan Tak, 2016.

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