• Aucun résultat trouvé

4 : L’H YPOTHESE DE MEMOIRE INSTITUTIONNELLE

SECTION IV : LA PERTINENCE EMPIRIQUE DE CETTE APPROCHE

IV. 4 : L’H YPOTHESE DE MEMOIRE INSTITUTIONNELLE

Reprenant l’ensemble des explications données pour expliquer le caractère procyclique de l’offre de crédit et le relâchement de la sélectivité de sa distribution, Berger et Udell [2003] en proposent une fondée sur la présence d’une mémoire institutionnelle en ce que celle-ci peut se dégrader au fur et à mesure que le temps passé depuis la dernière crise du crédit s’allonge. En cela, ils proposent une un fondement théorique de l’heuristique dite de capacité mise en évidence dans la section I et avec elle de l’hypothèse de myopie au désastre.

IV.4.1 :le fondement théorique

Après une crise du crédit, et conformément à l’explication donnée pour la myopie au désastre, les managers responsables de la politique de crédit possèdent un stock de mémoire tel que celui-ci les empêche de redistribuer du crédit d’une manière excessive. Ainsi et à priori, une telle crise ne peut donc pas se reproduire et son éventualité pourrait être éliminée. Mais, en raison du renouvellement du capital humain, au fur et à mesure que le temps passé depuis cette dernière crise s’écoule, ces managers qui ont donc connu un épisode de crise, sont remplacés par de jeunes managers qui, eux, n’ont pas cette expérience et ne l’ont pas encore intégré dans leur capital humain d’expérience. Dès lors, avec ce renouvellement du capital humain, les auteurs considèrent qu’il y a une perte de mémoire institutionnelle dans la mesure où celle-ci n’intègre plus la dernière crise et les raisons qui ont pu la déclencher. On retrouve alors la logique décrite dans la première section et cette perte de mémoire interne se double alors d’une perte de mémoire externe

57

dans la mesure où, soumis à cette même logique de renouvellement, les actionnaires, dans le contrôle qu’ils exercent sur la banque, sont également soumis à cette perte de mémoire qui les empêchent donc d’effectuer le contrôle qu’ils sont sensés mener sur les choix de politique du crédit.

IV.4.2 : les résultats économétriques

La stratégie de vérification empirique est construite en deux temps. Dans un premier temps, elle consiste à vérifier si l’offre de crédit, après contrôle des facteurs de demande et des facteurs d’offre traditionnellement identifiés, augmente au fur et à mesure que le temps passé depuis la dernière crise de crédit augmente lui aussi et dans un second temps à estimer si, avec cette augmentation de l’offre, les banques relâchent bien leurs critères de sélectivité.

La stratégie de vérification générale repose, pour chaque banque( )b et pour chaque

date( )t , sur l’estimation et les tests dérivés du modèle suivant :

, ( ,, , )

b t b t b t

Indicateur F temps contrôle

Où les variables (indicateur),(temps)et(contrôle)sont respectivement, pour chaque

banque( )b et pour chaque date( )t , les mesures de l’augmentation de l’offre de crédit et/ou

de la sélectivité du crédit, du temps passé depuis la dernière crise identifiée du crédit, des variables de contrôle des facteurs de demande, et des autres facteurs d’offre déjà identifiés dans la littérature.

Pour ce qui concerne la variable(indicateur), les auteurs considèrent trois indicateurs

potentiels selon les bases de données disponibles :

- à partir du CALL report : le taux de croissance du crédit commercial et industriel et du crédit immobilier distribué ;

58

- à partir du Survey of Terms of Bank Lending (STBL) : la prime de risque sur chaque prêt comme étant la différence entre le taux effectif du crédit distribué et le taux sans risque représenté par le taux équivalent en termes de duration du taux sur les obligations d’Etat américaines ;

- à partir du Senior Loan Officer Opinion Survey on Bank Landing Practices (SLOS) : la sélectivité du crédit (supérieure, égale ou inférieure à

la période précédente( 1)t ) ou l’estimation de la variation du coût

d’opportunité de distribution du crédit (plus élevé, équivalent ou plus faible

qu’à la période précédente( 1)t ).

Pour ce qui concerne la variable(temps), la mesure retenue est le nombre d’années passées

depuis que le ratio des pertes constatées sur les prêts a atteint sa valeur maximale et sur les dix dernières années. Et de façon à ce que les effets relatifs à la profitabilité de chaque banque soient pris eux-aussi en compte, cette mesure est augmentée du nombre d’années passées depuis que le ratio de rentabilité sur les fonds propres a atteint sa valeur maximale sur les dix dernières années.

Enfin et pour les variables de contrôle, sont intégrés sous forme de variables muettes des effets fixes relatifs à chaque banque pour neutraliser les éventuels effets de taille ou de spécialisation sur certains marchés locaux du crédit, des effets fixes temporels de façon à capturer les autres sources potentielles de procyclicité de l’offre de crédit ou de liens différents entre cette dernière et le cycle économique ainsi que toutes les variables usuelles relatives à la demande de crédit, à la taille des banques, de leur degré de concentration et la qualité de leur bilan bancaire (niveau notamment du capital).

Sur la période 1980-2000 (excepté pour les données issues de la base SLOS qui ne sont disponibles qu’à partir de 1990), soit approximativement deux cycles économiques complets et sur les banques américaines concernées, les résultats obtenus sont tels que pour des niveaux de significativité de 1 % et quelles que soient les spécifications testées (avec ou sans effets fixes, avec ou sans sous périodes) :

- dans le cas du taux de croissance du crédit industriel, commercial et du

59

- dans le cas de la prime de risque, le coefficient affecté à la variable(temps) est négatif ;

- dans le cas d’un indicateur de sélectivité du crédit, le coefficient affecté à

la variable(temps)est négatif, excepté pour les plus grandes banques où il

n’est pas significatif.

Ainsi, ces résultats plaident que d’une manière globale et quel que soit l’environnement considéré, les banques augmentent bien, indépendamment des autres facteurs, leur offre de crédit et relâchent leur sélectivité du crédit au fur et à mesure que le temps passe depuis la dernière crise du crédit identifiée. L’hypothèse de mémoire institutionnelle – et l’explication qu’elle donne à la myopie au désastre - est donc confirmée pour les auteurs qui estiment que la nuance qu’apporte la différence notée entre les plus grandes banques et les autres peut s’expliquer par des différences institutionnelles ou de pratiques des taux d’intérêt entre les différentes classes de crédit mais ne remet pas en cause le résultat global.

60

CONCLUSION

Nous avons, avec ce premier chapitre, proposé une synthèse originale, non disponible dans la littérature, des modélisations et des études empiriques fondées sur l’hypothèse commune que les banques évaluent le risque de crédit en incertitude radicale. Cette synthèse nous a permis de donner une première approche de la relation entre l’équilibre du marché du crédit et le cycle économique.

Dans cette perspective, cette synthèse nous permet de dresser une première évaluation. D’un point de vue empirique, et même si elle n’a pas donné lieu à une estimation globale - comme aurait pu l’être la modélisation proposée par Aglietta [1991] –, l’approche présentée dans ce chapitre permet d’obtenir une confirmation de la possibilité d’un comportement de sous-estimation systématique du risque de crédit de la part des banques comme en témoignent les épisodes historiques retenus dans les études empiriques de la dernière section. Et la récente crise des subprimes, bien qu’elle mette en jeu des mécanismes complémentaires bien spécifiques, et qui ne sont pas reproduits dans ce chapitre, confirme encore la pertinence de cette approche : comme le notent Gwinners et Sanders [2008] et Orléan [2009], cette crise s’est caractérisée par une sous-estimation – volontaire ou non – des risques de crédit ainsi que par une sélectivité inférieure à ce qu’elle aurait dû être et un provisionnement pour pertes insuffisant.

D’un point de vue théorique et malgré ces résultats, plusieurs limites peuvent néanmoins être retenues. La première est celle relative à la prise en compte de la demande de crédit. Bien qu’elle soit présente dans les raisonnements, celle-ci n’est pas modélisée explicitement, les modèles présentés restant essentiellement des modèles explicatifs de l’offre de crédit. Or, sa prise en compte serait de nature à modifier les résultats obtenus et à en affiner la portée empirique : en effet et sauf à supposer qu’elle soit affectée de la myopie au désastre avec une même ampleur, la demande de crédit peut être, par exemple, un facteur de « ralentissement » des effets induits sur l’équilibre par l’offre de crédit. C’est d’ailleurs ce que suggèrent les résultats de Keeton [1999] lorsqu’il expose sa deuxième conclusion (p. 32).

61

Enfin, il faut noter que l’approche développée dans ce chapitre n’implique pas uniquement un comportement bancaire particulier mais aussi – et c’est lié – un déroulement du cycle économique spécifique. Plus précisément, cette approche suppose et repose essentiellement sur le fait, comme l’a supposé Minsky [1982], sur le fait que le risque de défaut s’accumule en période d’expansion. Les résultats économétriques mis en avant ainsi que d’autres contributions (celles de la B.R.I [2001] par exemple) semblent plaider pour cette vision. Toutefois, le déroulement du cycle économique en lien avec l’évolution du risque de crédit peut être tout à fait différent : en effet, en situation d’incertitude radicale, il y a une relation positive entre le cycle économique et l’accumulation du risque de défaut. Dès lors qu’une autre hypothèse peut être faite sur le contexte d’information dans lequel est évalué ce risque, le lien supposé entre cycle économique et risque est modifié.

C’est notamment ce que montre l’approche des asymétries d’information présentée dans le chapitre suivant, qui a donné lieu à la théorie de l’accélérateur financier. Contrairement aux travaux qui ignorent les liens entre ces deux approches, nous faisons le choix de les présenter d’une manière successive et complémentaire. Ce choix permet une compréhension plus complète du lien entre l’équilibre du marché du crédit et le cycle économique et nous permettra ensuite de mieux en cerner les limites communes des approches en incertitude radicale et en asymétrie d’information.

62

CHAPITRE II : COMPORTEMENT BANCAIRE ET CYCLE

ECONOMIQUE EN ASYMETRIES D’INFORMATION : LA

THEORIE DE L’ACCELERATEUR FINANCIER

Chapitre d'équation 2 Section 1

Nous présentons dans ce chapitre la théorie de l’accélérateur financier. Fondée sur l’hypothèse d’asymétrie d’information entre les prêteurs et les emprunteurs, elle nous permet d’examiner le lien entre l’équilibre du marché du crédit et le cycle économique dans ce cadre et donc de compléter logiquement la présentation de ce lien commencée avec le chapitre I.

Usuellement, cette théorie et ses applications empiriques est présentée soit d’un point de vue microéconomique (Mottet [2000], Direr [2000] par exemple), soit à une fin de proposer une extension de ses principaux mécanismes (Callonec [2005] et Bouvatier [2007] par exemple). Parce qu’elle a une visée essentiellement macroéconomique et critique, notre présentation sera différente et elle ne reviendra pas systématiquement sur les modélisations proposées dans les premières sections et dont la visée est essentiellement microéconomique.

Après avoir considéré les premiers modèles décrivant le fonctionnement du marché du crédit en asymétrie d’informations (section I), nous présentons le cadre de « Coûts de Vérification des Résultats » dit CVR (section II). Celui-ci constitue le cadre de référence à partir duquel l’étude du fonctionnement du marché du crédit en asymétries d’information est privilégiée. Ainsi, il est à la base des modèles ayant une portée macroéconomique et plus particulièrement ceux qui définissent la problématique de l’accélérateur financier. Cette problématique est ensuite présentée à partir de ces deux modélisations de référence. La première, en équilibre partiel est celle de Bernanke et Gertler [1989]. La seconde revient sur les premiers résultats obtenus et se propose de les étendre cette fois-ci dans un équilibre général en proposant une modélisation macroéconomique complète (Bernanke,

63

Gertler et Gilchrist [1999]). C’est principalement à partir de cette dernière que sont désormais considérées les extensions contemporaines.

SECTION I : ASYMETRIES D’INFORMATION ET MARCHE DU CREDIT : LES

Documents relatifs