« L’extimité consiste sur internet, et tout particulièrement sur les réseaux
sociaux numériques (RSN) du web 2.0, en l’extériorisation de l’intimité des
internautes à des fins de validation de l’image de soi. Ainsi l’extimité apparaît
comme une pratique d’exposition et de dévoilement de soi destinée à consolider
et à s’approprier son image, ainsi qu’à augmenter son capital social. »
88A une époque où Facebook règne sur les réseaux sociaux, où chacun expose certains éléments de sa vie privée afin de se montrer et combler la curiosité de ses « amis » spectateurs, les maisons d'édition ont compris qu'elles devaient en faire de même.
Habituellement, ce sont plus les auteurs que leurs éditeurs qui sont en contact avec les lecteurs. Mais la tendance est en train de changer. Bien qu'appréciés par les ouvrages qu'ils proposent, donc pour leur travail, ils sont également aimés et suivis pour leur personnalité. A défaut de pouvoir être « ami Facebook » avec tous les lecteurs ou followers, certaines maisons se sont mises à proposer du nouveau contenu sur les réseaux, inspirés de celui du public YA.
En effet, l'éditeur a toujours été le travailleur de l'ombre dans la chaîne du livre. L'auteur est celui dont on veut la dédicace sur son roman, pour laquelle nous sommes prêts à faire des heures de queue. Tandis que le libraire est la personne que nous voyons à chaque visite en librairie, qui nous donne des conseils quand nous sommes un peu perdus, mais quand voit-on l'éditeur ? Jamais. Nous avons généralement le visage de nos auteurs préférés en tête, celui de notre libraire également, mais saurions-nous reconnaître notre éditeur préféré et son équipe ? Peu de chance.
a. Du côté de Robert Laffont
Dans le post présenté ci-dessous, Fabien Le Roy (bras droit de Glenn Tavennec, directeur de la collection R) prend la pose sous l'objectif, allongé tranquillement, en pleine lecture. Cela lui donne une apparence de personne posée, sérieuse, mais à la fois décalée. Plutôt que de prendre une photo du stand de la collection à la foire de Bologne – choix plus traditionnel - c'est ainsi que l'équipe a voulu informer de leur présence à cet événement.
Pour suivre depuis plusieurs mois le compte Instragram de la collection R, je peux clairement affirmer que le choix de ne pas se prendre au sérieux a été adopté par l'équipe quant aux posts qu'elle partage. Ne pas se prendre au sérieux, tout en l'étant : voilà le challenge réussi pour la collection YA de Robert Laffont. L'autre objectif atteint est le suivant : si demain je venais (en tant qu'abonnée lambda de leur compte Instagram) à croiser Fabien Le Roy dans la rue, je saurais le reconnaître. Chose impossible il y a encore quelques mois alors qu'il occupe son poste depuis un moment déjà.
b. Du côté d'Albin Michel
Albin Michel est un autre éditeur qui a décidé de s'ouvrir un peu plus aux lecteurs via le compte Instagram de la maison. Toutefois, la manière de faire est différente. Pour beaucoup, le monde de l'édition reste un milieu assez inconnu. Albin Michel a donc voulu faire découvrir les différents métiers, tout en présentant son équipe.
Ci-dessous (page suivante) un récapitulatif de certaines photos postées. Leurs publications étaient étalées sur plusieurs semaines. Les différents membres de l'équipe sont pris en photo à leur poste, dans leur élément. Les photos font plutôt sérieuses mais tous offrent un air amical. Chacune est accompagnée d'un rapide descriptif du poste. Une vraie ignorance des métiers de l'édition existe dans notre société.
Au final, un visage et un nom sont enfin donnés à ces travailleurs de l'ombre. L'éditeur et ses collaborateurs ne sont plus des inconnus. Ils sont devenus des personnalités que les lecteurs apprécient de suivre sur les réseaux.
Les lecteurs adhérent en masse à ce genre de contenu, il suffit de lire les commentaires pour le comprendre. Voici la retranscription de certains (sans les émoticônes) :
« Moi aussi je veux faire pareil » « Merci Audrey pour votre précieux travail !
Bravo @editionsalbinmichel de partager les coulisses de l'aventure
livresque ! Passionnant ! » « Quel beau métier, j'en rêve Audrey » « ça serait mega top une rencontre avec vous,
avec le monde de l'édition... ça serait trop bien ! »
« Bonjour Audrey ! Quel magnifique travail ! »
L'utilisation des smileys dans les commentaires (très facilement repérables à droite) prouve que ces jeunes oublient qu'ils écrivent à des professionnels du monde de l'édition. Ils commentent en comme s'ils écrivaient à leurs amis : smileys, écriture abrégée, ajout de lettres pour exprimer la joie/l'envie (« je veuxxxx! »).
Le fait de s'adresser directement à la personne présentée est également preuve d'un sentiment de proximité. Beaucoup des jeunes reprennent le prénom de la relectrice, un peu comme s'ils la connaissaient au final.
Cette comparaison rapide permet d'établir un constat net : les éditeurs et leurs équipes deviennent des personnes appréciées au même titre que les auteurs. S'exposer ainsi permet de créer un lien avec les lecteurs. Les éditeurs français commencent à prendre conscience de la demande du lectorat YA. A chaque éditeur ensuite de créer sa propre technique, à son image.
Dans les deux cas : exposer le travail éditorial
Qu'importe comment est présentée l'équipe éditoriale, le travail éditorial reste généralement le même d'une maison d'édition à une autre, et lui aussi est souvent mis en avant.
Ci-dessous deux posts de deux maisons d'édition différentes : Hachette qui présente la couverture finale fraîchement imprimée d'une de leurs nouveautés, et Pocket Jeunesse qui immortalise l'étape de la relecture auteur.
A travers ce dernier post, les lecteurs apprennent donc qu'un nouveau livre de l'auteur Marissa Meyer va paraître aux éditions Pocket Jeunesse. Or, nous l'avons déjà évoqué précédemment, les internautes suivent les maisons d'édition sur les réseaux afin d'obtenir des exclusivités, des informations en avant-première et des bons plans quand il y en a.
Lors du mois d'aout, les abonnés ont pu découvrir une des sorties prévues pour le mois de septembre 2017. En insta-story Fabien Le Roy a posé le 3 aout avec le manuscrit papier. La photo était donc disponible seulement 24 heures avec comme texte : « Fabien après avoir travaillé 59 heures sur notre nouvelle pépite. » Puis, le 7, une autre insta-story a été postée, cette fois-ci il s'agissait du livre achevé, avec la découverte en avant-première de la couverture choisie. Un post a finalement été publié le 22 aout sur le compte, en faisant découvrir l'ouvrage, son résumé et sa date de sortie, pour tous ceux qui n'avaient pas suivi les exclusivités limitées dans le temps.
Voici ci-dessous le tout premier post officiel concernant le livre L'empire de sable, près d'un mois après la première diffusion des coulisses de son édition.
Les éditeurs d'aujourd'hui, YA ou non, doivent apprendre à gérer leur social media planning en plus de leur rétro-planning éditorial. Diffuser au bon moment des exclusivités, afin de susciter la curiosité et l'envie chez les abonnés, qui sont avant tout des clients potentiels.