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Partie II – Travaux de recherche

2. L’expression de la performance

2.1. Caractéristiques

Trois postulats caractérisent la performance industrielle de nos jours. Initialement taylorienne, la performance est synonyme d’efficience, soit de rendement des équipements et de productivité de la Main d’Oeuvre Directe (MOD) [Taylor, 1911], [Cosmetatos, 1983], [Kanigel, 2005], [Pouget, 1998], [Le Moal, 1979]. L’indicateur fétiche est alors le ROI (Return On Investment) au sommet de la pyramide de Dupont, conçue au début du siècle dernier [Johnson, 1975], [Chandler, 1977]. Aujourd’hui néo-taylorienne, la performance se décline non seulement en fonction de l’efficience des moyens de production mais aussi de l’efficacité et de l’effectivité4 (ou pertinence) des processus mis en œuvre [Jacot, 1996], [Le Moigne, 1990], [Bullock, 2006], [ECOSIP, 1990] (figure 1). L’efficacité en appelle à la qualité dans l’atteinte des objectifs. Selon J.L. Le Moigne, l'efficacité correspond au rapport quantifié entre les résultats ou les effets produits et les moyens consommés par une action. L'efficience correspond à l'optimisation de ce rapport : faire autant avec moins ou plus avec les mêmes moyens et in fine viser à faire plus avec moins. Plus récente, la notion d’effectivité en appelle à l’adéquation entre les objectifs fixés et les moyens utilisés dans ce sens. Davantage qualitative, l'effectivité consiste à rapporter le résultat d'une action à l'intention qui la fonde. A ce critère correspond non pas la question « combien ça coûte ? », mais la question de savoir si l'acteur a fait effectivement ce qu'il avait en projet de faire [Le Moigne, 1990]. Un système industriel est performant s’il est efficace, efficient et effectif. Partant de ce modèle économique, le deuxième postulat, corollaire du premier, relève de l’aspect multicritère de la performance. Dans la logique taylorienne, la performance est financière, pour progressivement intégrer - avec l’évolution, de la relation de l’offre à la demande, des systèmes industriels et de leur environnement -, les critères techniques de qualité et de délai [Jacot, 1990], [Ron, 1995], [Hronec, 1995], [Lebas, 1995], [Berrah, 1997], [Rolstadås, 1995], [Bescos, 2000], [ECOSIP, 1990], [ISO 9000 00, 2001]. Aujourd’hui, d’autres critères

4 « Efficacité/Effectivité : « Définition usuelle. Bien que le mot « effectivité » apparaisse dans le dictionnaire français

avec la mention « rare » : « caractère de ce qui est effectif » ou en logique mathématique, caractérisant « un procédé effectif », il n'est pas encore complètement entré dans l'usage pour traduire, fort correctement, l'anglais “effectiveness”. Sans doute parce que les dictionnaires français-anglais ont longtemps traduit “effectiveness” par efficacité ! Traduction qui a suscité et qui suscite encore bien des confusions car le mot efficacité traduit aussi un autre mot anglais, au sens sensiblement différent : “efficiency” (que l'on traduit parfois par « efficience » en précisant qu'il est alors synonyme d'efficacité !). Il vaut mieux actuellement demander à l'étymologie plutôt qu'à l'usage, des repères stables pour définir ces deux mots qui expriment deux dimensions différentes de l'évaluation du comportement d'un système :

Effectivité : exprime la qualité de l'adéquation entre ce que l'on fait effectivement et ce que l'on voulait faire : l'effet est

rapporté à la finalité (interprétation téléologique).

Efficacité : exprime la qualité de l'adéquation entre ce que l'on a fait ou produit (le résultat) et ce que l'on a consommé ou

utilisé pour le faire (la ressource). L'effet du moyen est ici rapporté à sa cause (interprétation mécaniciste ou causaliste), sans égard aux finalités du système considéré. Rendement, productivité, rentabilité, efficience, sont les modalités usuelles de description de l'efficacité selon les domaines : ingénierie, gestion, finance, économie... Les deux définitions sont en quelque sorte « orthogonales » » : l'effectivité évalue l'action par rapport à ses buts ; évaluation qui sera souvent qualitative ; alors que l'efficacité évalue le résultat de l'action par rapport à l'économie de l'action elle-même, évaluation qui pourra généralement être quantitative. Ainsi on pourra simultanément manifester une grande efficacité (consommer 5 litres au cent lors d'un déplacement en automobile) et une piètre effectivité (se retrouver à Reims alors qu'on voulait aller à Rouen !). Le risque, on le voit, est de croire que l'on évalue une performance globale (effectivité) en ne mesurant que l'efficacité. »

viennent compléter ce triptyque, rattachés à l’innovation, au design, à l’équité, à la durabilité… [Mévellec, 1994], [Wholey, 1996], [WCED, 1987], [Sidkar, 2003], [ISO 26000, 2008], [ISO 14000, 2009], [GRI, 2011], [Brunel, 2009].

R ésultats O bjectifs M oyens Effectivité Pourquoi ? Quoi ? Efficacité Pourquoi ? Efficience

Figure 1 : Efficacité / Efficience / Effectivité (inspiré de [Jacot, 1996, p .24])

Tandis que les deux postulats précédents concernent le concept de la performance, le troisième postulat concerne son mode de pilotage. L’aspect multicritère de la performance engendre en effet une problématique d’arbitrage entre les différentes actions à mener, de par les contraintes temporelles et de ressources à prendre en compte. Ainsi, alors que la productivité taylorienne s’optimise par la maximisation continue de l’utilisation des ressources [Kanigel, 2005], la performance aujourd’hui ne peut qu’être améliorée [Deming, 1982], [Imai, 1992], car la diversité des critères impliqués dans sa définition se répercute sur les actions mises en œuvre pour l’atteindre et en fait un tout dont les éléments sont en interaction. Le pilotage de la performance est passé d’un modèle additif dans lequel la performance globale est la somme de performances locales et indépendantes [Johnson, 1975], [Chandler, 1977], à un modèle plus complexe où la performance globale ne peut être souvent qu’un compromis entre des performances locales et dépendantes [Lorino, 1996b], [Epstein, 1998], [Clivillé, 2004], [Babic, 1998], [Behzadian, 2010]. Par ailleurs, outil de calcul économique mis au point à la fin du XIXème siècle, le contrôle de gestion [Gervais, 2009], [Demeestère, 2004] a pour mission de vérifier les performances atteintes, celles-ci étant liées à des grandeurs physiques, et les seules actions possibles étant rattachées aux équipements de production mis en œuvre. En effet, outil stratégique, « le contrôle de gestion

est le processus par lequel les managers s’assurent que les ressources sont obtenues et utilisées, avec efficience et efficacement, pour atteindre les objectifs de l’organisation »

[Anthony, 1965]. Le pilotage post-taylorien [Pujo, 2002a], [Berrah, 2002a], [Pujo, 2002b] complète la mission du contrôle de gestion par la recherche d’une amélioration des performances à atteindre [Giraud, 2008] [Kaplan, 1983]. Ce qui nécessite une anticipation et une réactivité aux dérives, sur la base d’un assez grand potentiel d’actions [Trentesaux, 1996], [Raviart, 2000], [Kaplan, 1998], [Jonsson, 1999], [Wiseman, 1988], [Glavan, 2013]. De synonyme d’optimisation, la performance devient synonyme d’amélioration.

2.2. Performance, plans d’action et objectifs

Autre héritage taylorien, la performance qui se décrit à travers le résultat obtenu au regard d’un objectif fixé au préalable. C’est donc une expression qui renvoie une image de l’objectif, une fois le plan d’action associé exécuté. Or, l’ensemble des évolutions précédentes a également impacté le mode d’expression de la performance. La performance lue dans les ratios financiers et les documents traditionnels du contrôle de gestion ne suffit plus. De plus, sa vocation est non seulement le contrôle des résultats atteints mais aussi leur anticipation, au travers de l’évaluation de l’impact des actions mises en oeuvre. C’est pourquoi J. Wholey

[Wholey, 1995] précise : “An action or operation has inputs to initiate it and outputs that

announce its conclusion; it has a number of different outcomes that can be categorised as different sorts of performance:

 performance-in-progress (intermediate outcomes),  unexpected-performance (unintended outcomes),  consolidated-performance (net impacts),

 and the performance result (end outcomes)”.

Pour piloter un plan d’action, deux types d’expression sont requis [Lorino, 1996a], [AFGI, 1992] :

 les expressions a posteriori, exprimées à l’issue de l’exécution du plan d’action associé à l’objectif ; de telles expressions affichent les scores atteints et permettent de vérifier et d’expliquer l’atteinte de l’objectif ;

 les expressions a priori ; exprimées avant la fin de l’exécution du plan d’action ; de telles expressions répondent aux besoins de réactivité et permettent de réagir pour mieux atteindre l’objectif.

La distinction « a priori, a posteriori » permet d’identifier la problématique actuelle du pilotage industriel. En effet, si toutes les relations cause-effet liées à l’atteinte d’un objectif étaient identifiées et quantifiées, le système considéré serait contrôlable et son pilotage serait analogue à la commande automatique. Mais, dans le cas général des procédés industriels, le système physique est complexe, dans la mesure où seule une partie de ces relations est identifiée. Dans ce cas, le système de pilotage génère un ou plusieurs plans d’action pour atteindre les objectifs5. Il faut alors prendre des décisions (choisir, trier, classer parmi un ensemble de solutions [Pomerol, 1993]) selon un processus « de décision », que H. Simon structure en quatre étapes (figure 2).

Information Conception Choix Evaluation

Figure 2 : Le processus de décision selon [Simon, 1977]

La complexité des plans d’action est liée à celle des objectifs, de par les variables et les niveaux décisionnels impliqués [Wilenski, 1983], [Clivillé, 2004]. Le système physique est décomposé en parties plus simples à piloter, conformément aux préceptes systémiques. Les plans d’action définis portent alors sur un faible nombre de variables, dont l’impact est plus facilement mesurable. En revanche, les actions définies à tous les niveaux et sur toutes les entités doivent être cohérentes. Reflet de cette décomposition, la « décomposition » des objectifs se fait de l’objectif le plus global, qui concerne tout le système, au plus local, soit l’entité identifiée et contrôlable [Mélèse, 1991], [Lorino, 1996a]. C’est dans ce sens que

5 Rappelons qu’un plan d’action est défini comme étant : “steps that must be taken, or activities that must be performed

well, for a strategy to succeed. An action plan has three major elements:

 Specific tasks: what will be done and by whom.  Time horizon: when will it be done.

 Resource Allocation: what specific funds are available for specific activities”.

M. Lebas va jusqu’à considérer, dans son analyse des fonctions de mesure et de management :

“Performance is about deploying and managing well the components of the causal model(s) that lead to the timely attainment of stated objectives within constraints specific to the firm and to the situation” [Lebas, 1995].

De ce fait, nous pouvons comprendre que le plan d’action associé à un objectif se déploie tant que les actions qui en découlent peuvent être décomplexifiées, pour avoir un sens opérationnel du point de vue considéré. En d’autres termes, le plan d’action est déployé jusqu’à ce que les actions obtenues soient simples [AFGI, 1992], i.e. aussi bien leur enclenchement que l’évaluation de leur impact peuvent être directs et immédiats [Bullock, 2006], [Grabisch, 2006a]. Pour les besoins de réactivité et de suivi, chaque étape du déploiement du plan d’action induit une étape de décomposition de l’objectif. Le déploiement du plan d’action et la décomposition de l’objectif seront deux opérations équivalentes, effectuées sur des univers de discours différents.