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Les avantages de l’implication active des enfants à la recherche sont également documentés ailleurs (voir notamment Ergler, 2017 ; Flutter, 2006 ; Porter et al., 2010). À travers son investissement, l’enfant acquiert et améliore des compétences individuelles et/ou collaboratives, notam-ment l’estime de soi, le développenotam-ment d’un esprit critique, la commu-nication et le travail en équipe, l’écoute et la compréhension d’un point de vue opposé au sien ou complémentaire (Morrisette et Desgagné, 2009). Par ailleurs, les enfants peuvent développer des compétences scientifiques, comme développer des hypothèses, formuler des pistes d’analyse et d’interprétation ou émettre des recommandations. Lorsque l’accompagnement est adéquat – l’espace sécurisant et stimulant, la voix facilitée et valorisée et le public à l’écoute – et le temps à disposition suffisant, les enfants sont capables de développer des concepts et des idées à partir de certaines données, de les traiter de manière critique et d’en tirer des conclusions.

À partir des notes personnelles des co-chercheuses et co-chercheurs inscrites dans leurs carnets de bord, nous constatons que les enfants ont aimé tenir ce rôle qui leur a permis de développer ou d’affiner certaines compétences. Plusieurs ont mis en évidence que, par leur participation à ce projet de recherche, ils et elles ont renforcé des com-pétences sociales, comme se sentir plus à l’aise et s’exprimer devant les autres. Élise, 12 ans, écrit qu’elle a trouvé très intéressant de « chercher et partager avec mes amis des idées ». Au fil des séances, l’équipe de recherche a aussi pu observer une progression dans la capacité d’écoute des autres. Si, lors de la première rencontre, les dix enfants ne portaient pas toujours une attention soutenue aux éléments exposés par les autres enfants, lors des troisième et quatrième séances, de l’intérêt pour la

parole des camarades et une plus grande aisance à prendre une posture différente des interprétations proposées par d’autres ont pu être notés.

De même, le travail collaboratif a permis aux enfants de comprendre, même si cela n’a pas été toujours facile, que des enfants peuvent avoir des idées différentes des leurs dans d’autres contextes. Martin (12 ans) le résume bien : « suivant où les gens habitent, ils ont d’autres avis ».

L’équipe a néanmoins été confrontée à un important défi, qui réside dans le décalage plus ou moins marqué entre une posture d’expertise dite « scientifique » et une forme d’expertise « profane » ou « expérien-tielle ». En effet, nous attendions des co-chercheuses et co-chercheurs qu’ils et elles développent, progressivement du moins, un discours général à propos des expériences enfantines le long du chemin de l’école. Nous avons cependant constaté qu’à certains moments, surtout lors de la comparaison entre les données et l’élaboration des recom-mandations finales, les enfants ont rencontré des difficultés à s’extraire de leur propre vécu et à réfléchir de manière plus générale. Cette expé-rience est confirmée par plusieurs études qui montrent que les enfants, en particulier les plus jeunes, peinent parfois à développer une pensée au-delà de leurs propres points de vue et de leurs expériences immé-diates :

Children’s level of engagement with and contribution to research processes is impacted inevitably by their limited literacy and numeracy skills as well as the fact that many children of that age find it difficult to think beyond their own immediate experience (Lundy et al., 2011, p. 731)

Ces éléments nous plongent dans le paradoxe productif de la recherche collaborative avec les enfants. D’une part, les bénéfices pour les enfants eux-mêmes, relevés par la littérature et notre expérience, soulignent le fait qu’ils et elles, en s’engageant activement comme co-chercheuses et co-chercheurs, entrent par là même dans un processus d’apprentissage, qui les éloigne progressivement de leur expertise « expérientielle ». À l’inverse, nous observons que cette évolution n’est pas linéaire et qu’elle prend du temps ; plaçant parfois les adultes dans une posture particu-lière, celle de devoir ramener une perspective critique ou nuancer les productions des co-chercheuses et co-chercheurs.

Si ce délicat équilibre semble constituer le cœur de la recherche col-laborative, il soulève la question de savoir dans quelle mesure les

représentantes et représentants d’une expertise « scientifique » ne sou-haitent-ils et elles pas que les co-chercheuses et co-chercheurs main-tiennent une forme d’expertise bien distincte pour leur accès privilégié à « l’authenticité » ou à « la véracité » de l’objet étudié. Dans le cas qui nous occupe, plusieurs pistes mélioratives sont envisagées pour per-mettre aux enfants de gagner en distance critique, tout en maintenant un apport prédominant de leur expertise expérientielle et informée par et au fil du processus de recherche. La première piste serait de faire participer les enfants également à la phase de collecte de données et pas seulement aux phases pré- et post-collecte, ce qui permettrait aux enfants d’être concrètement confrontés à d’autres expériences que les leurs. La deuxième serait d’employer des formulations plus générales dans les phases d’analyses – telles que « tout le monde », « plusieurs enfants », etc. – pour soutenir les enfants dans une réflexion non cen-trée sur les circonstances immédiates ou sur les expériences particu-lières. En dernier lieu, il serait intéressant d’envisager la participation d’enfants dont les expériences sont très différentes du contexte exploré.

Cela permettrait aux enfants d’être confrontés à des situations nou-velles, suscitant des questionnements qui ne trouvent pas de réponse dans leurs propres expériences.

4. conclusIon

L’analyse et la compréhension du chemin de l’école comme tiers lieu gagnent en pertinence épistémologique et méthodologique lorsque les enfants ne sont pas pris comme simples objets d’étude, mais comme des actrices et acteurs, non seulement concernés par la problématique, mais aussi informés de première main et expertes et experts en la matière.

Outre les développements théoriques du projet présenté ici, le statut de co-chercheuse et co-chercheur confié aux enfants lui donne une dimen-sion nouvelle et exploratoire, qui produit des résultats de recherche tout à fait probants. Le processus de co-production de connaissances et d’analyses mis en place est désormais verbalisé et documenté sur les plans méthodologique et éthique dans et par une démarche réflexive.

Nous retiendrons quelques leçons pour les prochaines expériences de recherche collaborative, en particulier pour le cas d’un projet conduit par les enfants, dans lequel les enjeux présentés ci-dessus se rejoueraient

différemment. La question du temps à disposition pour permettre aux enfants de pleinement entrer dans le rôle de co-chercheuse ou co-cher-cheur est cruciale, puisqu’elle a des conséquences aussi bien sur la qua-lité des apports que sur les bénéfices que les enfants eux-mêmes peuvent retirer du processus. Le deuxième élément à relever est qu’il est essen-tiel de faciliter la participation des co-chercheuses et co-chercheurs avec des activités intéressantes, sensées, variées et adaptées, c’est-à-dire conçues dans une perspective pédagogique. Finalement, il importe tout particulièrement de définir clairement en amont l’apport effectif visé par toutes les parties en présence, autrement dit comment se construit la « co-expertise ». Cette définition, qui devrait être faite en présence de toutes et tous, est une condition nécessaire pour assurer une « influence effective » de chacune et chacun et ne pas tomber dans une réappropria-tion des apports, sans prise en compte de leurs caractéristiques propres.

Au-delà des quelques nuances apportées et des défis à relever pour une participation effective, cette expérience de recherche collaborative est résolument positive. Elle représente même une avancée certaine – voire révolutionnaire – dans les réflexions et les pratiques de la recherche transdisciplinaire. Celle-ci est en effet encore majoritairement orientée hors du domaine de l’enfance, qui est perçu comme quantité ou espace négligeable et ostentatoirement négligé lorsque l’enfant reste défini-e avec persistance comme une ou un adulte en miniature, immature et dénué de toute expertise académique. Fortement inspirée par les droits de l’enfant à l’expression de son point de vue, en l’occurrence un droit à la recherche, cette nouvelle voie transdisciplinaire permet d’ouvrir un double questionnement à développer dans un futur proche. En quoi consiste réellement la notion d’expertise, peut-elle être réservée à une communauté scientifique qui en fait un principe purement discipli-naire, sacré, autonome, décontextualisé et non partageable ? Faut-il reprendre cette notion, la déconstruire et la redéfinir dans une pers-pective ouverte et transdisciplinaire, fondée sur le respect de la diver-sité des formes d’expertise interne/externe, scientifique/profane et mue par des valeurs de partage, de tolérance et de collaboration ? Dans le même esprit, l’idée de participation, si chère aux droits de l’enfant, ne devrait-elle pas également être revisitée afin de sortir des discours et des pratiques qui se contentent de répéter le concept sans mettre effec-tivement les enfants aux commandes des enjeux et des processus qui les concernent directement ?

faits saiLLants

1. Lorsque les adultes mettent à disposition des enfants un espace favorable à l’expression individuelle ou de groupe et des outils facilitant la parole sous différentes formes, ils et elles peuvent prendre part à toutes les étapes du processus de recherche. Ils et elles ne sont pas que des sujets de recherche, ils et elles deviennent de vrais co-créateurs et co-créatrices d’analyses et d’interprétations.

2. Les outils proposés ont permis de rééquilibrer les rôles entre l’équipe de recherche et les enfants qui ont pris une place plus centrale dans les étapes entourant la collecte des données. Le fait que plusieurs enfants ont aimé le déroulement des séances et ont aimé travailler avec le matériel et se sont sentis à l’aise nous permet d’envisager que le dispositif élaboré était approprié.

3. Enfin, avoir valorisé et rendu publique la participation des enfants dans la recherche, en plus de leur avoir offert une récompense, semble avoir permis de clore l’expérience en cohérence avec une éthique de la recherche sur et avec les enfants.

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