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L’exemple de la sûreté nucléaire, l’Andra

Si nous voulons parler de papier permanent en France, alors il faut s’intéresser au domaine du nucléaire qui est le seul réel utilisateur assumé du papier permanent et développeur d’une réelle stratégie, au moins dans le privé, de conservation sur le très long terme1. En effet, l’Andra, l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs, a développé une politique unique en France de conservation et communication de ses données et ce sont les seuls à avoir réfléchi sur ce sujet.

Parlons d’abord de leur politique de conservation et la place qu’occupe le papier permanent dans celle-ci. Comment l’Andra utilise-t-elle le papier permanent ? Voilà ce qui en est dit sur leur mémoire de synthèse pour les générations futures concernant le Centre de stockage de déchets radioactifs de la Manche (50), situé sur la commune de Digulleville :

« Les mémoires de synthèse (version stabilisée et détaillée) imprimées sur du papier permanent sont l’ultime rempart contre l’oubli du Centre de stockage de la Manche.

Ces impressions sur papier permanent sont donc destinées à des générations futures lointaines (pas avant de nombreuses décennies, voire plusieurs siècles, donc sans doute pas avant les années 2100 et plus). Leur consultation prématurée, notamment par curiosité, alors que les mêmes informations sont disponibles sous une autre forme (documents sources, fichiers numériques …), conduirait à en réduire leur durée de vie, donc à porter atteinte à l’objectif visé.

Durant les premières décennies de surveillance, il faut donc faire appel à l’archivage courant (sur papier normal) et aux fichiers numériques des documents pour toute recherche sur le passé du Centre.2 ».

Nous avons donc une utilisation mesurée et calculée du papier permanent qui s’inscrit dans une politique générale d’archivage à très long terme. Les documents écrits sur ce type de papier sont également des copies de documents originaux sur papier normal.

Tous les documents ne sont-ils pas destinés à connaître une réimpression sur papier permanent ? En effet, seuls ceux impliquant des enjeux reconnus par l’Andra y sont destinés. Par exemple, les inventaires détaillés de déchets radioactifs sont un impératif à respecter pour l’organisme 3. Quelle est la volumétrie de papier concernée par cette impression ? Les archivistes de l’organisme l’estiment à plus d’un million de feuilles : « il faut en effet une page (parfois deux) pour imprimer toutes les données relatives à un seul colis de déchets radioactifs … et il y a 920 033 colis stockés sur le Centre de stockage de la Manche …4 ».

1 Voir annexe 2

2 Andra, Mémoire de synthèse pour les générations futures, Andra, 2008, version intermédiaire du 29/02/2008, p.

4 (https://www.andra.fr/download/site-

principal/document/CSM_memoire_de_synthese_pour_les_generations_futures.pdf consulté le 20/06/2016)

3 Andra, Mémoire de synthèse pour les générations futures, op. cit., p. 117 (https://www.andra.fr/download/site-

principal/document/CSM_memoire_de_synthese_pour_les_generations_futures.pdf consulté le 20/06/2016)

Pour en arriver à la conclusion d’un besoin en papier permanent, l’Andra a enclenché une réflexion profonde sur la pérennité et ses enjeux comme nous l’avons vu plus haut1. Ainsi, des groupes d’étude ont été créés afin de penser cette pérennité à très long terme dont ils ont besoin pour transmettre aux générations futures, le temps que mettent les déchets radioactifs à perdre en intensité. Des groupes de réflexions locaux regroupant des parties prenantes se sont donc mis en action dans l’Aube, la Manche, la Meuse-Haute-Marne afin de :

- capitaliser la mémoire des anciens salariés et riverains, - répertorier ce qui doit être exposé comme mémoire du passé, - présenter ce que fut l’exploitation industrielle,

- Imaginer un « rite » annuel qui aurait lieu sur le site, organisé par les riverains pour les riverains,

- Mettre en place sur la couverture des objets artistiques ou non qui interpelleraient les visiteurs,

- Mettre en place sur la couverture des « stèles-mémoire » explicatives, - Sélectionner puis conserver les articles de presse les plus marquants, - Créer une maquette évolutive du site en matériaux durables,

- programmer des rencontres intergénérationnelles2.

En plus des groupes de réflexions locaux organisés par l’Andra, un projet international a vu le jour, concrétisé par un colloque international nommé « Construire la Mémoire ». Organisé par l’OCDE/AEN (Agence d’Énergie Nucléaire) avec le soutien de l’Andra, il s’est déroulé à Verdun du 15 au 17 septembre 2014 pour discuter précisément de ces problèmes. Ce colloque portait sur la préservation des Documents, des Connaissances et de la Mémoire (DC&M) des déchets radioactifs de génération en génération3. Rassemblant 16 participants issus de 12 États membres et de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), il avait pour principe de communiquer cette problématique au public et la faire connaître. Cet effort international montre bien que cet effort occupant l’Andra n’est pas isolé et que le processus de réflexion sur la pérennité peut mener à des considérations étatiques. Le papier permanent en est la mesure physique la plus concrète. Aussi, des informations pouvaient être trouvées sur la page du site internet de l’AEN concernant le projet4.

Actuellement, d’autres solutions sont étudiées pour conserver l’information pour des millénaires. Nous pouvons donner l’exemple du disque de saphir (20 cm de diamètre, 1,4 mm d’épaisseur et 180 g) pouvant contenir jusqu’à 40 000 pages d’information en basse résolution. Transparent, extrêmement dur et ultrapur, cette alternative pourra contenir des fichiers informatiques en langage naturel sans codage. Cependant, cette technologie est encore à l’essai et le recul est loin d’être suffisant5. Encore faut-il que l’environnement informatique reste le même.

Pour résumer, l’Andra utilise deux types de papier. Le premier qu’ils appellent « normal » et l’autre « permanent » en fonction des normes ISO décrites plus haut. Ils ont deux utilisations différentes selon la politique d’archivage de

1 cf pp. 21-22

2 ANDRA, 43ème réunion du GT PNGMDR, op. cit., p. 13

3 Ibid., pp. 14-15

4 AEN, projet DC&M : http://www.oecd-nea.org/rwm/rkm/

l’organisme. L’un pour l’utilisation courante et l’autre pour le long terme, historique. L’archivage électronique est également présent mais ne concerne que l’utilisation courante et intermédiaire.

Après cet exemple emblématique du marché du papier permanent en France, il nous faut nous intéresser aux limites de celui-ci puis étudier son éventuel avenir pour les différents corps de métier.

A

VENIR ET LIMITES DU PAPIER PERMANENT

Le papier permanent a-t-il un avenir en France ? Quelles sont ses limites ? Nous tenterons de répondre à ces questions au cours de cette sous-partie.