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L’exemple de Buenaventura

Dans le document LES BACRIM (Page 66-70)

Titre I. Impact sur la société colombienne

Paragraphe 2. L’exemple de Buenaventura

Aujourd’hui, le problème des déplacements forcés en Colombie se manifestent avec une plus grande intensité à Buenaventura, où se trouve le port maritime le plus important du pays, sur la côte Pacifique où la population est majoritairement afro- colombienne. Depuis trois ans, Buenaventura est la ville colombienne avec le plus grand nombre de personnes obligées de fuir leur habitation. En 2013, plus de 13.000 habitants de Buenaventura ont été déplacés.

61 Rapport 2013 d’Amnesty International, La situation des droits humains dans le monde. 62

Un grand nombre de personnes sont victimes de disparitions forcées et d’assassinats commis par des bacrim à Buenaventura. Mais ces crimes ne sont pas beaucoup dénoncés, par peur des représailles. Les autorités n’ont pas protégé la population face aux groupes qui ont succédé aux paramilitaires. Les résidents de la ville indiquent que la police est peu présente dans leurs quartiers, alors que les bacrim exercent un fort pouvoir. Plus inquiétant encore, plusieurs personnes signalent avoir vu des policiers se réunir avec ces groupes. Il existe une méfiance généralisée à l’égard des autorités et une sensation de vulnérabilité face aux abus que commettent de manière constante ces groupes.

Les autorités n’apportent pas le soutien adapté aux victimes de déplacement forcé qui ont dû abandonner leur domicile. Les mesures officielles de protection de ces personnes, exigées par la loi colombienne, se distinguent par des hébergements insalubres, une longue attente pour obtenir de l’aide humanitaire et un manque de protection des propriétés abandonnées. Pourtant, le gouvernement connait cette désastreuse situation. En 2009, la Cour Constitutionnelle de Colombie a affirmé que les droits fondamentaux de la population afro-colombienne déplacée dans le pays étaient massivement et continuellement violés, et a signalé Buenaventura comme un cas emblématique. En novembre 2013, après que des bacrim aient déplacé plusieurs milliers de résidents de la ville en une semaine, le Défenseur du Peuple s’est installé à Buenaventura avec des représentants de l’ONU et a indiqué que la ville traversait une « crise humanitaire ». Nombre de résidents de Buenaventura déplacés entre 2006 et 2013, et position nationale de la ville quant au nombre de déplacements forcés. En 2011, 2012 et 2013, c’était la ville avec le plus grand nombre de personnes déplacées en Colombie : un triste record.

Le 13 septembre 2013, des centaines d’habitants de Buenaventura ont participé à une marche pour la paix. La marche est passée par de nombreux quartiers et s’est finie dans un terrain de football, où les participants ont prié pour que cesse la violence. Le lendemain, a été retrouvée sur ce terrain la tête d’un jeune homme de 23 ans, les restes de son corps découpés avaient été dispersés dans différents quartiers. A cause des menaces de mort qu’ont reçues les membres de sa famille lorsqu’ils ont essayé d’obtenir justice pour ce crime, ils ont dû abandonner la ville, s’ajoutant à la longue liste des déplacés de Buenaventura.

Les bacrim sont présentes dans tout le centre urbain de Buenaventura, où elles sont responsables de la grande majorité des attaques qui se commettent contre la population. Ces groupes ont commis 45 disparitions dans trois quartiers de la ville dans un laps de temps d’à peine deux mois début 2013. Des corps découpés en morceaux sont régulièrement retrouvés sur les plages, et les périphéries de la ville. Cela démontre la barbarie de laquelle peuvent faire preuve les bacrim pour faire régner la terreur. Plusieurs témoins affirment avoir entendu des cris, leur faisant penser que les victimes étaient découpées vivantes.

Les Urabeños contrôlent la circulation des résidents entre les différents quartiers de la ville. Les groupes surveillent de près les personnes qui passent dans la rue, qui vont d’un quartier à l’autre. Si une personne inconnue par la bacrim entre dans un quartier, elle s’expose à un fort risque de disparition ou d’assassinat, car elle est présumée ennemie. Les Urabeños ont limité les mouvements et activités des résidents dans les quartiers où ils maintiennent une présence sans faille. Des horaires spécifiques sont fixés, pendant lesquelles les personnes peuvent entrer et sortir du quartier. Après une certaine heure, il est fortement recommandé de rester chez soi. Les résidents doivent obtenir une autorisation pour pouvoir se réunir, pour jouer une partie de football par exemple.

Les bacrim sont les principales responsables des déplacements forcés massifs à Buenaventura. Plus de 6.200 résidents de Buenaventura déplacés entre janvier et octobre 2013 ont indiqué avoir été obligés à quitter leur domicile par des bacrim. En 2012, ils étaient 5.635 selon l’Unité des Victimes. Mais les chiffres sont certainement plus élevés. En effet, les victimes ne dénoncent pas les coupables de ces crimes, par peur des représailles, et car avant juin 2013, cela ne leur apportait aucun avantage. Désormais, la Cour Constitutionnelle leur reconnait le statut de victimes du conflit armé (cf. Chapitre II). Les déplacés décrivent la profonde sensation de terreur, d’insécurité que provoque la présence puissante des groupes, et les attaques réitérées, sensation atteignant un point de non-retour les forçant à partir lorsque les affrontements permanents entre bandes rivales se répercutent sur les portes de leur maison.

Les bacrim pratiquent à Buenaventura des recrutements forcés, incluant des enfants. En 2013, 35 plaintes ont été déposées pour des tentatives de recrutement forcé qui

affectaient majoritairement des victimes entre 17 et 25 ans. Les mineurs de 14 ans sont là pour alerter de la venue de personnes non désirées, alors que les jeunes de 14 ans et plus sont utilisés comme combattants.

Les victimes et témoins ne parlent pas, par peur des représailles. Les autorités qui ont la responsabilité de la sécurité de la population de Buenaventura ne protègent pas la ville. Certains résidents affirment que dans leur quartier, la présence de la police est très peu fréquente. Pourtant, la Police Nationale indique qu’elle maintient à Buenaventura une présence suffisamment large pour protéger la population. Ce n’est pas l’avis du Défenseur du Peuple, qui constate l’absence totale des forces de l’ordre dans certaines zones de la ville. Et lorsque ces forces sont présentes, elles sont parfois aperçues avec les membres des bacrim, partageant une bière par exemple, la corruption n’épargnant pas Buenaventura.

Lorsque des membres des bacrim sont arrêtés pour les crimes commis à Buenaventura, l’impunité est la règle. Les peines prononcées sont rarement exécutées. Le ministère public – la Fiscalia – est en charge de 840 informations en cours pour des présumées disparitions commises à Buenaventura. Mais en janvier 2014, aucun de ces cas n’avait abouti à une condamnation. Sur les 1.300 informations en cours pour déplacements forcés à Buenaventura, en janvier 2014, aucune condamnation n’avait été prononcée. Une des raisons de cette impunité est l’énorme quantité de cas dont est en charge la section de la Fiscalia chargée d’enquêter sur les disparitions et déplacements forcés à Buenaventura. Une Unité Nationale contre les Délits de Disparition et Déplacement Forcés (UNCDES) a été créée en 2010 pour réduire l’impunité face à ces crimes, avec un nombre de cas plus réduits à sa charge. Cependant, en janvier 2014, aucune personne n’avait été mise en examen dans les 44 cas desquels l’UNCDES est en charge pour la ville de Buenaventura63.

La situation désastreuse que connait Buenaventura est une dramatique illustration de la violence perpétrée par les bacrim. Ces entités criminelles instaurent un climat de terreur par les imprévisibles barbaries dont elles sont capables. Ce sont des structures nouvelles, que les forces publiques ont du mal à appréhender. Cependant, l’Etat a l’obligation de protéger ses citoyens. Il faut donc s’interroger sur les réactions étatiques face aux bacrim, les solutions qui sont proposées pour combattre ce phénomène criminel particulièrement violent envers les civils.

Dans le document LES BACRIM (Page 66-70)

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