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L’EVOLUTION DU DISPOSITIF D’INDEMNISATION

1. Le dispositif initial d’indemnisation des victimes des essais nucléaires mis en œuvre jusqu’à la fin de l’année 2016 a conduit à un nombre d’indemnisations réduit.

La loi Morin

Le dispositif d’indemnisation des victimes d’essais nucléaires actuellement en vigueur résulte de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010, dite « loi Morin », modifiée par la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, dite

« Loi EROM ».

La loi Morin a posé le principe de la reconnaissance des victimes d’essais nucléaires français et de leur droit à indemnisation et prévoit notamment que « toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit » (art. 1).

Le bénéfice de l’indemnisation est accordé aux personnes ayant résidé ou séjourné dans la partie du Sahara algérien concerné et de la Polynésie française pendant les périodes d’essais. Les personnes concernées sont les personnes souffrant de maladies radio-induites résultant d’une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires réalisés par la France entre 1960 et 1966 au Sahara algérien et entre 1966 et 1996 en Polynésie française quel que soit leur statut, civils ou militaires, travailleurs sur les sites d’expérimentation et populations civiles, ayants droit des victimes.

Les demandes d’indemnisation doivent être soumises au comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), autorité administrative indépendante. Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable.

La loi du 18 décembre 2013

La loi de finance du 18 décembre 2013 a modifié une première fois la loi de 2010 principalement sur deux points :

- le bénéfice a été étendu à toute personne ayant résidé en Polynésie française. Elle ne touchait auparavant que certaines zones beaucoup moins étendues.

- le CIVEN est devenu une autorité administrative indépendante (AAI) bien distincte du ministère des armées. Il se prononce désormais en toute indépendance sur les demandes d’indemnisation alors qu’auparavant il ne faisait qu’adresser une recommandation au ministre qui prenait la décision.

La loi Morin n’a cependant pas atteint ses objectifs. Jusqu’en 2017, la méthodologie retenue par le CIVEN sur le fondement de la loi n’a pas permis d’indemniser un nombre significatif de personnes. Un rapport du Sénat de 2013 soulignait « une application poussive de la loi, loin des objectifs assignés ».

Seules 42 personnes avaient été indemnisées par le comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) au 31 décembre 2016 dont 13 en Polynésie-française.

Le principal motif de rejet des demandes était la notion de « risque négligeable » instituée par l’article 4-II de la loi Morin. Les décisions du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) s’appuyaient, en application de cette disposition, sur l’utilisation d’une méthode permettant le calcul de la probabilité du lien entre la maladie et l’exposition, la probabilité étant considérée comme négligeable si le calcul donnait un résultat inférieur à 1 %, cette probabilité étant obtenue par application d’un logiciel intégrant une pluralité de facteurs tels que l’âge, le sexe du demandeur, le délai d’apparition de la maladie, les doses de rayonnements reçues, l’existence d’autres facteurs de risques pour le demandeur tels que le tabagisme etc...

2. La loi Egalité Réelle Outre-Mer du 27 février 2017

La suppression du risque négligeable.

La référence au risque négligeable a été supprimée par la loi EROM du 27 février 2017.En l’état actuel du droit, toute personne souffrant d’une des 21 pathologies radio-induites et ayant résidé ou séjourné entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française peut obtenir réparation intégrale de son préjudice en bénéficiant d’une présomption de causalité, sans que la loi mentionne des modalités de renversement de cette présomption. Par ailleurs, La loi EROM prévoit le délai d’un an pour les victimes elles-mêmes, qui contestent une décision antérieure négative et prévoit que le CIVEN réexamine les rejets des demandes d’indemnisation. C’est donc un nombre de dossiers assez substantiel que le CIVEN est conduit à réexaminer (101 demandes pour la seule période du 1er mars au 31 décembre 2017).

Il est nécessaire de rappeler que selon l’article 54 I de la Loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 (loi de programmation militaire 2014-2019), « les ayants droit des personnes mentionnées à l’article 1er de la loi n° 2010-2 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires décédées avant la promulgation de la présente loi peuvent saisir le CIVEN dans un délai de cinq ans à compter de cette promulgation. »

La commission de l’article 113 de la loi EROM.

La loi EROM a institué une commission chargée de proposer au Gouvernement des mesures destinées à « réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires ».

La commission de l’article 113 de la loi Egalité Réelle Outre-Mer du 28 février 2017 est chargée de proposer les mesures destinées à réserver l’indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires.

La commission créée par le décret n°2017-1592 du 21 novembre 2017 se compose de six parlementaires -trois députés et trois sénateurs- et de six personnalités qualifiées dont deux au titre des ministères des solidarités de la santé, deux au titre du ministère des armées, une au titre du ministère de la justice et une au titre du ministère des outre-mer. La commission a été installée le 28 mai 2018, placée sous la présidence de Madame Lana TETUANUI, sénatrice de la Polynésie française.

La commission peut proposer des modifications législatives et réglementaires. Elle formule des recommandations à l’attention du Gouvernement.

Les échanges au sein de la commission composée d’élus, de hauts fonctionnaires et de scientifiques, ont eu pour but de rechercher un consensus cohérent entre les aspects scientifiques et la recherche d’un accord politique.

La commission a toujours considéré qu’elle devait rester dans son domaine de compétence et se concentrer sur le sujet dont elle avait été investie : la réparation des dommages causés aux seules victimes des essais nucléaires.

Depuis son installation, la commission a auditionné les personnalités compétentes ainsi que les représentants des associations de soutien aux victimes des essais nucléaires. Les échanges avec le président et les membres du Comité d’Indemnisation des Victimes des Essais Nucléaires (CIVEN) ont été déterminants afin de proposer de soutenir la méthodologie employée par cette autorité administrative indépendante. Les membres de la commission ont aussi pu accéder, pour la première fois, aux informations et aux archives du Département de Suivi des Centres d’Expérimentations Nucléaires du ministère des Armées.

La présidente de la commission a également souhaité que la commission puisse évaluer directement en Polynésie française, les futures recommandations à proposer au gouvernement au titre de l’amélioration des mesures d’indemnisation des personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Dans le cadre de cette mission, les membres de la commission ont pu rencontrer l’ensemble des responsables politiques, administratifs, scientifiques concernés de la Polynésie française ainsi que les élus et les populations des atolls directement concernées par les expérimentations notamment sur l’atoll de Moruroa et auprès des populations de Rikitea (Gambier) et de Tureia.

Les entretiens conduits avec les associations représentatives des victimes des essais (Moruroa e Tatou, Tamarii Moruroa, 193) ont été constructifs.

Les échanges avec la Déléguée au Suivi des Conséquences des Essais Nucléaires (DSCEN), service placé auprès du président du Pays, ont permis de consolider les propositions de coordinations des services souhaités par la commission. Il en va de même pour le responsable du Centre médical de Suivi des Victimes des Essais (CMS) qui relève du Ministère de la Santé de la Polynésie française, et au fonctionnement duquel l’Etat participe depuis 2007 par la mise à disposition de personnels : médecins, secrétaire, infirmier.

La démarche voulue par les membres de la commission loi EROM, avec ses interlocuteurs, s’inscrit dans le cadre de l’Accord de l’Elysée signé le 17 mars 2017, lequel formalise les ambitions partagées par l’Etat et la collectivité pour le développement économique, social, culturel et environnemental de la Polynésie française. Dans le respect des dispositions du statut d’autonomie, l’accord reconnaît la contribution de la Polynésie française à la constitution de sa force nucléaire et le fait que les expérimentations ont eu des impacts et des conséquences qu’il importe de prendre en compte et de réparer le cas échéant.

3. L’évolution du fonctionnement du CIVEN.

Le CIVEN, malgré un début d’année 2017 perturbé par la démission de six de ses neuf membres à la suite de la suppression du risque négligeable, a repris ses activités en fin d’année 2017 au fur et à mesure du renouvellement de ses membres, tous renommés par décret du 2 mars 2018, le mandat de ceux qui avaient été nommés en 2015 étant venus à échéance.

Le CIVEN auquel il a été reproché de ne pas examiner suffisamment vite les demandes d’indemnisation, en particulier celles provenant de personnes résidentes de Polynésie française, a

donc dû mettre en œuvre les nouvelles dispositions légales éclairé par l’avis du Conseil d’Etat, sans attendre les travaux de la commission EROM. Sur le fondement de la loi Morin modifiée et de l’avis du Conseil d’Etat du 28 juin 2017, le CIVEN a mis en œuvre une nouvelle méthodologie, adoptée le 14 mai 2018 par une délibération publiée au Journal officiel.

Le CIVEN s’est appuyé sur l’avis contentieux du Conseil d’Etat précisant que, même en l’absence de nouveaux critères d’attribution des indemnisations issus des travaux de la commission, le CIVEN devait instruire les demandes. Le Conseil d’Etat a également jugé, dans cet avis, que la présomption n’était pas irréfragable mais qu’elle ne pouvait être renversée que si « la pathologie de l’intéressé résulte exclusivement d’une cause étrangère à l’exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu’il n’a subi aucune exposition à de tels rayonnements ».

S’inspirant de l’article R. 1333-11 du code de la santé publique prévoyant, (R. 1333-8 dans sa rédaction antérieure au décret du 4 juin 2018), que « la somme des doses efficaces reçues par toute personne n'appartenant pas aux catégories mentionnées à l'article R. 1333-9, du fait des activités nucléaires, ne doit pas dépasser 1 mSv par an », le CIVEN considère que la présomption de causalité prévue par la loi ne s’applique que si ce seuil de 1 mSv est dépassé.

Ce faisant, le seuil pris en compte n’est pas conçu comme représentant une dose au-delà de laquelle la causalité avec les maladies radio-induites est probable, puisque la loi a supprimé la notion de probabilité.

S’il a décidé de prendre en compte la dose de 1 millisievert (mSv) par an fixée à l’article R.1333-11 du code de la santé publique comme limite de dose efficace pouvant être reçue par le public, celle-ci ne devient pas, comme la probabilité issue des calculs pouvant aboutir au risque négligeable, un critère automatique de décision du CIVEN, qui examine chaque cas particulier au regard de toutes ses spécificités. Si cette limite de dose annuelle a été dépassée, par exposition externe ou contamination interne, l’imputabilité est retenue. Si elle n’est pas atteinte, d’autres facteurs, comme le poste de travail occupé sur les sites, peuvent conduire à la même conclusion.

Les résultats du CIVEN depuis lors sont considérés, en particulier en Polynésie française, comme une véritable avancée. Entre janvier et octobre 2018, le CIVEN a admis 115 dossiers d’indemnisation dont 48 au titre des résidents en Polynésie. De plus, le montant des indemnisations moyennes versées a été augmenté, multipliant par trois le montant des indemnités versées en 2016. Le barème des indemnisations a également été revu à la hausse. La tendance pour la fin de l’année 2018 se confirme et s’accentue même.

Les statistiques du CIVEN :