• Aucun résultat trouvé

4. Les routes migratoires : facteurs, actes de résistance et confinement

4.3 Entrer en Europe

4.3.1 L’Europe des portes fermées : difficultés pour entrer

« Après, à Melilla, il y a un autre problème encore.

Pour arriver à Melilla, quand tu quittes le Maroc, il y a un autre barrage… »

(Ibrahim, 24 ans. Conakry)

Ce barrage, qu’Ibrahim évoque, est une barrière physique, la « valla », dont l’objectif est d’empêcher toute intrusion de migrants en situation « irrégulière » en provenance du Maroc vers Melilla. Mais, il existe aussi à un niveau plus abstrait qui concerne toutes les catégories des migrants qui arrivent à cette frontière : « mineur isolé non accompagné », « demandeur d’asile », etc.

Un des premiers constats que j’ai pu observer sur mon terrain est le non-respect des conventions et lois migratoires signées par l’Espagne et l’Europe, situation que nous retrouvons également dans le

58 contexte migratoire marocain45. En ce qui concerne les Syriens, ce décalage, d’ailleurs évoqué et reconnu par l’ensemble des acteurs que j’ai pu rencontrer, a sa raison d’être principalement sur deux éléments. Le premier se base sur le fait « inattendu » de l’arrivée de cette nouvelle population migrante dont le nombre surpassait celui auquel la ville de Melilla était habituée.

Le deuxième élément se base sur l’impossibilité de faire face à cette situation, dû à la méconnaissance du protocole Dublin. Ainsi la situation n’a pas été gérée correctement. « Les premiers Syriens qui sont

passé par Melilla…on ne les a pas mis sur Eurodac. On était un peu…ça nous est tombé dessus par surprise » a reconnu l’un des responsables du Departamento de Extranjería (Office de la police

d’immigration de Melilla), lors de notre entretien.

Quant aux pratiques des acteurs qui travaillent sur le terrain, il y a l’existence d’un accord informel entre les forces de sécurité espagnoles et marocaines selon lequel chaque jour entre 30 et 50 Syriens sont autorisés à entrer à Melilla, un accord reconnu par des responsables de la police d’immigration espagnole. En conséquence, une partie importante de migrants syriens se retrouvent bloqués au Maroc sans pouvoir exercer leur droit à demander l’asile en Espagne. De plus, cette situation est devenue un terrain propice à la mise en place de systèmes alternatifs de passages, dont les mafias tirent, encore une fois, profit.

« Nous partions à la porte (de la frontière espagnole) à trois heures du matin. Nous y passions toute la nuit. Parfois on dormait même là-bas. Pendant quelques jours on a essayé d’entrer pendant toute la journée. Pas seulement moi…Il y a aussi eu d’autres Syriens qui ont aussi souffert (…) La situation a été difficile. Beaucoup de gens se sont fait voler par la mafia » (Adnan,

43 ans. Syrie)

Les demandeurs d’asile marocains qui recherchent une protection auprès du gouvernement espagnol, sont également confrontés à ces pratiques. Pour rappel, un des accords passés entre l’Espagne et le Maroc, autorise uniquement la population marocaine en provenance de la région de Nador d’accéder à Melilla sans visa. Ainsi, une personne marocaine qui vient d’une autre région du Maroc et veut entrer voire demander l’asile en Espagne devra – s’il n’a pas de visa, franchir « irrégulièrement » la frontière. Comment justifier auprès des autorités policières de leur propre pays qu’ils veulent quitter celui-ci à cause des persécutions qu’ils ont subies sur leur territoire ? Bien que les autorités espagnoles disent ne pas empêcher l’arrivée de ces potentiels demandeurs d’asile, le gouvernement espagnol ne facilite pas l’accès au droit à bénéficier d’une protection.

Une autre difficulté pour les migrants en situation « irrégulière » est liée au fait que les forces de sécurité marocaines veillent à ce que ces populations ne s’approchent pas de Melilla. Ils interdissent également la sortie du territoire marocain vers Ceuta et Melilla. Cette situation, issue des accords relatifs aux « contrôles de l’immigration » entre l’Espagne et le Maroc, se confronte au respect des lois de l’Union européenne qui autorise les demandeurs d’asile à déposer une demande sur son territoire.

45

« En général on peut dire qu’en matière de droits des migrants au Maroc, la pratique semble souvent assez loin de la théorie (comme c’est d’ailleurs le cas dans autres pays du monde). Cette pratique montre une certaine concentration sur les Marocains résidant légalement à l’étranger et sur leurs droits et par une certaine négligence et oubli des droits des immigrés vivant au Maroc et des Marocains qui se trouvent en situation irrégulière à l’étranger » (Elmadmad, 2010 : 4)

59 D’autre part, dans ce contexte, la couleur de la peau devient un symbole de tri dont la police marocaine profite pour identifier ces personnes noires et les refuser. En conséquence, la seule manière que la population noire a pour atteindre cette frontière et la ville de Melilla se borne au passage en cachette, en utilisant d’autres stratégies que l’arrivée à pied.

Ainsi, entre « ce qui devrait se passer » et « ce qui se passe » permet de comprendre la réalité de cette zone frontalière, les conséquences que ces accords ou pratiques policières font peser sur les personnes migrantes du côté marocain. Cette situation modifie, ainsi, leur projet migratoire et freine la continuation de leur route :

« J’ai beaucoup souffert à Beni Ensar. (…) J’y suis resté quatre mois, mais je l’ai eu l’impression d’y avoir vécu quatre ans » (Adnan, 43 ans. Syrie)

Dans les deux parties qui suivent, je vais décrire, tout d’abord, comment ce blocage est vécu par les migrants, et puis détailler la manière dont les migrants développent des stratégies pour faire face à ces obstacles.