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L’Etat-providence, diversité de traitement des « aptes et inaptes au travail »

Chapitre 1. Le RMI, une politique publique de proximité dans une société salariale 25

1.2. L’Etat-providence, diversité de traitement des « aptes et inaptes au travail »

Les inégalités socio-économiques, culturelles et politiques constituent autant de modalités différentes de production et d’expression de la pauvreté et de l’exclusion. Elles appellent donc diverses conceptions de la mise en jeu de la responsabilité des pouvoirs publics.

1.2.1. Typologie de l’Etat-providence

François-Xavier Merrien (1996) distingue trois formes d’Etat-providence, selon les Nations, liées à la conception du rôle de la collectivité face aux individus exclus « d’un processus central de la société ».

1. « L’Etat bismarckien assurantiel » pose le principe du paiement des actifs pour les inactifs. Ce n’est pas un système redistributif, les prestations étant proportionnelles aux revenus antérieurs. Cette conception de l’Etat prédominante en Allemagne et en France repose sur un système d’assurances sociales qui fonde le droit à diverses prestations.

Elle organise la question sociale autour du salariat et aux risques liés à l’incapacité à percevoir des revenus pouvant aller jusqu’à l’inaptitude. La puissance publique instaure

« un système complet de protection sociale de tous les citoyens, assurant à une minorité le minimum vital et aux autres le maintien du statut social dans le cadre d’une solidarité horizontale, conformément aux idéaux d’une société méritocratique » (Ibid : 418).

2. Le Danemark, la Suède ou la Norvège ont forgé un modèle d’ « Etat universaliste » à visée « égalitariste ». Son principe d’organisation est fondé sur les besoins des citoyens.

L’Etat fournit un certain nombre de « services universels » gratuits financés par l’impôt dans le cadre d’un dispositif de redistribution de revenus. Toute catégorie d’individus est assurée d’un droit à des services et des prestations hors de toutes cotisations salariales.

3. « L’Etat-providence résiduel » que l’on retrouve aux Etats-Unis s’appuie prioritairement sur les lois du marché qui gèrent les ressources en fonction des contributions individuelles. L’intervention de l’Etat ne se fait qu’en dernière instance. Si l’individu ne peut subvenir à ses besoins, les solidarités communautaires ou privées doivent d’abord y pourvoir. C’est un système fondé sur l’individu qui entraîne la stigmatisation des plus pauvres considérés comme suspects d’installation volontaire dans l’assistance.

Ces trois modèles d’Etat-providence, fondés sur trois conceptions idéologiques différentes ont profondément modelé les politiques sociales mises en œuvre dans les pays occidentaux.

Gosta Esping-Andersen (1990) propose une typologie bien connue en fonction de trois variables principales : la qualité des droits sociaux (universalistes, minimalistes / assistanciels, assurantiels) ; les effets de la redistribution en termes de stratification sociale ; et, enfin, la manière dont Etat, le marché et la famille sont articulés pour produire de la protection sociale. Pour chaque système, l’auteur évalue la plus ou moins importante marge de liberté que détiennent les acteurs sociaux vis-à-vis de la nécessité de vendre leur force de travail sur le marché pour accéder à des conditions de vie acceptables – processus dit de « décommodification ».

Au-delà de la polarisation habituelle entre modèles bismarckien et beveridgien, Gosta Esping-Andersen (1990) distingue trois régimes de protection sociale :

(i) social-démocrate / universaliste ; (ii) conservateur-catholique / corporatiste ;

(iii) libéral / résiduel.

Le premier correspond aux pays d’Europe du Nord (surtout à la Suède), le deuxième non seulement à l’Allemagne mais aussi à l’Autriche, la Belgique, l’Italie ou la France, et le dernier plutôt aux Etats-Unis, au Canada, à l’Australie et, depuis les « années Thatcher », au Royaume-Uni.

Dans le cadre de la mondialisation et face aux difficultés à résorber le chômage auxquels les gouvernants sont confrontés, les idéologies qui sous-tendent l’action de l’Etat-social évoluent et chaque modèle national fait face à des pressions ou enjeux qui, partiellement, sont similaires.

Face à l’affaiblissement du pacte social fondé sur le compromis fordiste qui avait favorisé leur mise en œuvre, chaque système national de protection sociale est soumis à une nécessaire mutation pour répondre à l’évolution de la question sociale. « En matière sociale, le concept central est aujourd’hui beaucoup plus celui de la précarité ou de la vulnérabilité, que celui de risque » (Rosenvallon, 1995 : 29).

1.2.2. Evolution des modèles de l’Etat-providence

Gosta Esping-Andersen (1990), à partir d’idéaux types, analyse les capacités d’évolution de l’Etat social vers de nouvelles configurations.

Les pays scandinaves abandonnent peu à peu la logique universaliste, que permettaient le plein emploi et le développement des emplois de services publics souvent fortement féminisés, pour se replier sur une certaine forme de « bismarckisation » de leur régime auquel s’ajoutent des coupes budgétaires, une décentralisation et une privatisation des services. Les pays néolibéraux (Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni et à un moindre degré Canada et Australie), en dérégulant les salaires se sont engagés dans le développement d’emplois précaires, faiblement protégés, au risque d’un accroissement considérable des inégalités et des problèmes de pauvreté. Les pays d’Europe continentale, privilégient le maintien des acquis, la défense corporative des insiders avec une fragilisation de certaines catégories de main d’œuvre, féminine et juvénile, exposées à des situations de dépendance durables.

De ces différents scénarios d’évolution des régimes de protection sociale, Esping-Andersen semble toujours privilégier la formule scandinave sociale-démocrate et espérer son sursaut, tout en s’inquiétant des effets de la rapide dérégulation néolibérale dont le point de fracture réside dans l’accroissement de la pauvreté des travailleurs faiblement qualifiés.

L’analyse d’Alain Marchand (1998) fait part de l’émergence d’un modèle « social-libéral » face au déficit d’intégration des institutions traditionnelles, selon une typologie comparable à celle de Gosta Esping-Andersen basée sur trois formes d’Etat-providence : (i) le modèle « bismarckien ou stato-corporatiste » d’assurance contre les risques ; (ii) le modèle beveridgien d’assistance et de solidarité au niveau local ; (iii) le modèle social-démocrate qui s’inspire de l’Etat keynésien.

En tout état de cause, se fait jour une profonde transformation de la question sociale : - Le chômage et l’exclusion deviennent des états durables qui suscitent de la part des

gouvernants une logique d’activation des politiques sociales.

- Dans les différents pays occidentaux, ces politiques sociales évoluent sous l’emprise d’un double mouvement d’individualisation et de contractualisation.

Encadré 1. Intégration : concept et processus

Le concept d’intégration s’appuie sur une représentation collective de l’appartenance à une société et privilégie le salariat comme moyen de cette intégration. La stabilité apportée par un travail permanent permet de se projeter dans l’avenir. « Dans la société salariale, l’anticipation d’un avenir meilleur est inscrite dans la structure du présent » (Castel, 1995). La croissance économique est censée être accompagnée d’un progrès social dont la finalité est la réduction des inégalités. L’objectif de l’Etat social est donc d’agir sur les règles du marché, productrices d’inégalités. La puissance publique est garante du progrès et véhicule des valeurs d’égalité des droits et d’ascension sociale pour les générations suivantes. Ces promesses sont incarnées par des institutions comme l’école et la protection sociale. La construction de l’identité individuelle et collective est appuyée par l’accès au salariat et la non-intégration constitue une déviance qui concerne seulement un « bloc périphérique ou résiduel » (Castel, 1995).

L’accent mis sur la conduite d’une trajectoire singulière, l’autoréalisation et le souci d’autonomisation tendent à s’inscrire désormais dans des procédures contractuelles individualisantes. Ces procédures se distinguent, voire s’opposent, aux approches classiques des rapports sociaux basés sur les solidarités organique et mécanique du modèle durkheimien. Le concept d’insertion tend à remplacer celui d’intégration (Encadré 1) et participe ainsi de la volonté d’individualisation des politiques publiques. La notion de lutte contre l’exclusion se substitue partiellement à celle de lutte contre les inégalités (Autès, 2000). Ce glissement sémantique témoigne de la transformation de l’action publique envers les plus démunis.

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