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L’esquisse d’une restructuration juridique du Port Autonome de Strasbourg

Dans le document Le port autonome de Strasbourg (Page 79-85)

Partie III. Les perspectives d’évolution du Port Autonome de Strasbourg

Section 1. Les mutations tangibles au sein du Port Autonome de Strasbourg

B) L’esquisse d’une restructuration juridique du Port Autonome de Strasbourg

Alors que l’idée d’une restructuration globale des ports intérieurs d’Alsace trottait déjà dans la tête des élus alsaciens depuis quelques années, ceux-ci ont saisi le secrétaire d’Etat aux transports en 2010 aux fins d’entreprendre une réflexion sur la question. Celui-ci a sollicité en janvier 2011 du Préfet de la Région Alsace qu’il mène une étude, avec les partenaires concernés, sur l’évolution de la gouvernance des ports rhénans français. Le calendrier n’a pas été choisi au hasard, puisque le modèle de gestion dominant au sein des ports intérieurs est celui de la concession. Or, outre les critiques qu’elles peuvent susciter du fait du gel des investissements en fin de concession, beaucoup d’entre elles ont été signées dans les années 1960 et arrivent à échéance entre 2015 et 2020. Un comité de pilotage s’est donc créé sous la direction du Préfet de la Région Alsace et, à l’appui d’un cabinet d’avocats, a orienté sa réflexion vers deux schémas organisationnels. L’un est calqué sur le modèle des ports rhénans allemands, et l’autre sur les sociétés aéroportuaires françaises. Une troisième solution a été envisagée, prenant la forme d’un Grand Port d’Alsace et regroupant tous les ports de la rive française, mais cette idée n’a pas vraiment été plébiscitée dans la région. Les développements qui vont suivre tenteront de synthétiser au mieux sans dénaturer les deux

propositions retenues par la mission interministérielle sur l’évolution de la gouvernance des ports intérieurs89.

1) Le modèle de la société portuaire fluviale

En matière de gestion portuaire, une multiplicité de statuts existe à ce jour au niveau du Rhin Supérieur. Les principales divergences portent sur l’autorité assurant la gestion portuaire, la propriété du foncier, la nature des capitaux, les prérogatives de puissance publique et la gestion des opérations de manutentions.

Le modèle rhénan semble avoir acquis la préférence des élus alsaciens. Il se matérialiserait par la création législative d’une société portuaire fluviale (SPF) ad hoc, qui serait proche d’une société anonyme soumise au Code de commerce et au droit de la concurrence mais dotée de prérogatives de puissance publique. Au niveau du PAS, il est souhaité que la SPF maintienne la pleine propriété de ses terres et ait un réel rôle de « landlord port », à l’instar des ports allemands. Ces derniers, gérés par des sociétés de droit privé, sont un modèle jugé pertinent par le PAS. Leurs capitaux sont entièrement publics et sont administrés par un actionnaire unique, généralement par le Land comme pour le Port de Mannheim, ou par la commune comme à Karlsruhe. Par ce biais, les ports allemands peuvent garder un contrôle total sur les activités techniques tout en les filialisant et en se concentrant sur le développement portuaire. Cette démarche ne va pas sans rappeler la transition législative de 2008, qui a donné aux grands ports maritimes les avantages de gestion propres aux sociétés de droit privé, où réactivité, adaptabilité et flexibilité sont les maîtres-mots. Plus encore, l’instrument juridique de la SPF permettrait surtout de gagner en crédibilité et en fiabilité au niveau international, puisqu’il lèverait le scepticisme des ports allemands quant à la forme de gestion portuaire française, extrêmement variée et peu lisible. Les accords de participation au capital, qu’ils soient croisés ou non, deviendraient possibles. La SPF constituerait ainsi non seulement un outil de gestion plus efficace, mais aussi une stratégie de coopération internationale.

89 Rapport de la mission interministérielle du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et du Ministère de l’économie, du redressement productif et du numérique, « Evolution de la gouvernance des ports intérieurs », Juillet 2014.

Toutefois, le modèle d’une SPF présente de lourds risques juridiques. Doter une société anonyme de prérogatives de puissance publique – dont notamment le pouvoir d’expropriation – alors que son principal fonds de commerce réside dans le foncier est tout-à-fait inopportun au regard des règles de droit de la concurrence.

Par ailleurs, le PAS devrait se conformer à la jurisprudence constante du Conseil d’Etat en matière de mise en concurrence et de procédure d’appels d’offres car il serait difficilement envisageable qu’une convention d’occupation temporaire (COT) du domaine public fluvial n’ait pas pour objet de satisfaire aux intérêts publics d’aménagement du territoire et d’exploitation du service public fluvial, seule exception au principe de mise en concurrence envisagée par la Haute Cour Administrative90.

La mission rappelle également la jurisprudence européenne La Poste en date du 3 avril 201491, qui enjoint à une société à capitaux publics de ne pas créer

de confusion chez ses cocontractants en leur donnant l’illusion d’une garantie de passif implicite et illimitée de l’Etat en sa faveur. Or, le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), dont bénéficie La Poste, est assimilé par la Cour de Justice de l’Union européenne à une telle garantie de passif, ce qui soulève une incertitude juridique d’ensemble sur l’avenir de ces établissements. Toujours en matière d’aides indirectes et de conditions de concurrence, la mission garde à l’esprit l’arrêt Air France du Conseil d’Etat, en date du 26 juillet 201192, qui définit les aides locales comme des aides d’Etat et

condamne ces aides indirectes. Il faudra donc veiller scrupuleusement à ce que les futures SPF, qui devront être des sociétés commerciales et concurrentielles, ne bénéficient pas d’aides de la part de l’Etat ou des collectivités territoriales de manière privilégiée, mais encore faut-il pouvoir apprécier clairement les contours de cette obligation.

90 CE, Section du Contentieux, 3 déc. 2010, n° 338272, AJDA 2010. 2343 et 2011. 18, étude Nicinski S. et Glaser E. ; RDI 2011. 162, obs. Braconnier S. et Noguellou R. ; AJCT 2011. 37, obs. Dreyfus J.-D. ; Contrats Marchés publ. 2011, comm. 25, note Eckert G. ; JCP 2010, n° 1246, note Sorbara J.-G. ; RLC 2011, n° 1737, note Clamou G. 91 CJUE, 3 avril 2014, aff. C-559/12 P, République française c/ Commission, Lombard M., « Fin de partie pour le statut d’EPIC appliqué aux entreprises ? », AJDA 2014, p. 1242 ; Eckert G., « De la garantie implicite à la mise en cause explicite des EPIC », JCP A 2014, 2160 ; RLC 2014/40, n° 2584, note Cheynel B., « Épique EPIC et...

colégram ».

92 CE, 2e et 7e SSR, 26 juillet 2011, nos 329818 et 340540, Sté Air France et a., RJEP oct. 2011, p. 12, concl. Botteghi D. ; AJDA 2011, p. 1884, note Glaser E. ; Rec. CE 2012, p. 734, 830 et 1176.

2) Le modèle aéroportuaire

Depuis la loi n°2005-357 du 20 avril 2005, l’Etat peut autoriser la création d’une société soumise au Code du commerce dont la gestion s’apparente aux sociétés aéroportuaires, avec apport en foncier de la part des collectivités territoriales. Cette nouvelle catégorie d’établissement public bénéficie d’une structure de capital ouverte puisque non fixée par voie législative, et permet donc l’entrée au capital aussi bien des collectivités territoriales que des sociétés privées, par voie de privatisation. Ce modèle favorise également le dynamisme de gestion, mais surtout, il permet de ne pas tomber sous le coup de la jurisprudence La Poste. Il ne serait pas réellement envisageable toutefois pour les ports de plus faible importance et dont la rentabilité n’est pas satisfaisante ou améliorable de façon crédible et sérieuse. Si certains ports alsaciens ne pourraient pas opter pour ce modèle seuls, cette option pourrait néanmoins fédérer plusieurs ports et s’étendre à l’échelle de tout le bassin rhénan français, regroupant ainsi tous les ports alsaciens, ou elle pourrait seulement rassembler quelques ports. La mission a donné le nom de « Société de gestion régionale des ports intérieurs » (SoGerPI) à cette fédération de ports. Le modèle aéroportuaire aurait plutôt tendance à s’appliquer aux ports bénéficiant à ce jour de concessions, puisque les collectivités pourraient alors opter pour un apport de concession ou pour une cession de terrain selon leur volonté de continuer à contribuer ou non à la société portuaire. Le PAS ne peut donc manifester qu’un intérêt modéré pour cette forme de gestion qui de surcroît, et contrairement au modèle rhénan, n’a pas encore fait ses preuves.

3) Le choix fait par le Port Autonome de Strasbourg

Quel que soit le modèle devant être choisi, il apparaissait nécessaire pour le Port de Strasbourg de maintenir son partenariat avec l’Etat, garant d’une vision stratégique du développement de la voie d’eau et de l’efficience des ports fluviaux, et avec les collectivités territoriales, conciliant développement urbain et maintien de l’activité portuaire. Lors de la création de l’entité « Port Autonome de Strasbourg » en 1924, le port et la ville avaient apporté les infrastructures, installations et terrains à ce nouvel établissement public, et l’Etat avait apporté les

capitaux, servant à remettre le port en état après la Première Guerre Mondiale. Cette alliance a toujours donné des résultats très satisfaisants, et c’est pourquoi le partenariat entre la ville, le port et l’Etat devait être maintenu. Un équilibre s’est créé entre ces acteurs, et c’est également un choix politique que de maintenir l’établissement sous sa forme actuelle d’établissement public. Ne sont toutefois pas exclus de ce schéma les partenaires importants que sont le personnel et les associations environnementales, piliers de la politique managériale actuelle du PAS.

Le Port de Strasbourg a donc retenu le modèle de l’établissement public maison mère de deux filiales gérant l’industriel et le commercial. En lui-même, le port maintiendra de gérer le foncier. Le rapport de la mission interministérielle de juillet 2014 a réussi à dégager quelques pistes de réflexion sérieuses, mais il n’a pas su aboutir à une structure claire de société privée applicable sur le site de Strasbourg. Ce rapport tendait plus à donner un modèle qui pourrait être généralisé à d’autres ports intérieurs, même hors de l’Alsace, mais il n’a pas été jugé transposable à la place portuaire strasbourgeoise. Ont notamment posé problème les régimes de domanialité et de fiscalité, qui nécessitent plus d’études. Pour l’instant et sans s’être encore fixé sur ces points, le PAS a choisi de devenir l’actionnaire unique des deux sociétés par actions simplifiées (SAS) créées le 17 décembre 2014, dont il pourra céder des parts ultérieurement s’il le souhaite, même s’il n’en sera plus nécessairement majoritaire. En effet, le PAS considère que ces deux activités cédées ne sont plus des activités principales du port. Ces deux filières, qui étaient jusqu’alors exploitées par le port en régie, seront transférées au 31 décembre 2015 respectivement à Rhine Europe Terminals et à Batorama pour l’exploitation-gestion du terminal et pour le transport de passagers. L’activité de Batorama sortait largement du domaine de compétence du PAS car même si à sa création en 1946, elle servait à montrer le port à partir de l’eau, elle est aujourd’hui la deuxième attraction touristique payante d’Alsace et la huitième de France. Certaines visites allaient bien au-delà du ressort portuaire, et c’est la raison pour laquelle le choix a été fait de la filialiser. Enfin, le PAS a aussi fait le choix de transférer son site multi-vracs, géré en régie, à la société MANUTENTION TRANSPORT SERVICE (MTS) dans laquelle le PAS est entré au capital en mai 2015. MTS a été créée en association avec EUROPORT, filiale du groupe EUROTUNNEL.

Actuellement, le PAS a une comptabilité publique soumise au contrôle de la Cour des Comptes, de l’Inspection des Finances et de la Ville de Strasbourg par son service dédié « Service Contrôle de Gestion ». Un représentant du Contrôle général économique et financier (CGEFI) siège par ailleurs au Conseil d’administration et valide les marchés publics. Le Ministère de l’Ecologie exerce également sa tutelle et peut bloquer des délibérations dans un délai de dix jours après transmission. Le contrôle est donc assez lourd, et la forme choisie se rapproche du modèle rhénan en simplifiant le fonctionnement général de l’établissement. La volonté a été d’abandonner la comptabilité publique et les barèmes approuvés par le Conseil, devant faire l’objet d’un affichage. Au contraire, la négociation de gré à gré avec les clients et la facilitation de partenariats sont considérées comme essentielles par le Port de Strasbourg.

Pour résumer la démarche de restructuration, le PAS a souhaité intégrer une culture financière et managériale à la culture technique des équipes territoriales. La gestion domaniale dynamique exige également une professionnalisation, car l’optimisation du foncier est un véritable métier. Le Port de Strasbourg se dirige vers des horizons prospères, qui iront de pair avec sa volonté de progrès perpétuel et avec l’augmentation du trafic rhénan. Il semblerait cependant que des circonstances extérieures risquent d’estomper les effets de cette modernisation.

Section 2. Les entraves majeures au développement du

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