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III. Les espaces du développement

1- L’espace utérin

Dans l’enceinte utérine, le fœtus est porté par le liquide amniotique. On note que l’alimentation du bébé se fait de façon continue via le cordon ombilical. Le fœtus est déjà très sensible aux afférences sensorielles. Cependant, le liquide amniotique étant de den- sité comparable au fœtus, celui-ci ne ressent pas les pressions exercées par les forces de gravité.

Les flux sensoriels qui lui parviennent entraînent des modifications toniques qui se manifestent par des mouvements d’extension. Ces mouvements créent un contact du foetus contre la paroi de l’enceinte. Celle-ci limite l’extension, ce qui replace le foetus en positon d’enroulement. Les mouvements d’extension du foetus sont contenus.

De cette façon s’instaure un dialogue à la fois tonique et tactile entre le foetus et son enceinte. Plusieurs auteurs ont mis en évidence l’importance de ce dialogue qui nourrit

Un tableau présentant le développement des différents espaces corporels se trouve en annexe II, p80

les premiers liens d’attachement. De plus, nous savons que certaines activités orales telles que l’exploration, la succion et la déglutition sont déjà présentes in utero.

2- L’espace de la pesanteur

L’espace de la pesanteur est le fruit de la coordination entre signaux sensoriels, no- tamment vestibulaire et tactile, et les signaux de la sensibilité profonde : contraintes mus- culaires, tendineuses et osseuses. Cette coordination permet la mise en place d’appuis corporels et sous-tend la verticalisation.

Le liquide amniotique ne portant plus le bébé, celui-ci peut ressentir les pressions exercées par les forces de gravité. Installé dans une posture où il trouve ses appuis, le bébé peut engager des mouvements d’orientation à partir des informations ( auditive, vi- suelle… ) qu’il perçoit et mobiliser ses fonctions sensori-motrices.

Un défaut de cette coordination peut entrainer un désordre postural du fait de l’im- possibilité pour le bébé à trouver des appuis corporels. A. Bullinger souligne que les en- fants porteurs d’un trouble envahissant du développement, malgré des fonctions sensori- motrices fonctionnelles peuvent présenter un défaut de cette coordination. Il constate que placer l’enfant sur un plancher en bois mince offre une réponse sonore et tactile plus intense à ses mouvements. La coordination serait plus aisée à mettre en place et se tra- duirait par une baisse importante du tonus : les mouvements incessant des segments corporels, traduisant l’instabilité posturale, diminuent.

Ces mouvements désorganisés peuvent être une tentative d’appui venant du bébé. Cependant on peut également observer l’effet inverse; des bébés plus calmes, comme plaqués au sol, peut-être dans une recherche d’appui sous forme d’agrippement.

Par ailleurs, Bullinger insiste sur l’importance de la contenance auprès de ces bébés qui présentent une instabilité posturale, par l’intermédiaire par exemple d’un portage en « petit paquet », comme il l’appelle, ou que nous pouvons nommer en « bouddha ». La tête est bien en appui et le corps en flexion contre le buste du porteur ce qui assure un arrière fond. Les mouvements d’extension sont limités et on peut observer une diminution de l’agitation.

Durant nos séance nous remarquerons que Lena oscille entre ces deux états, entre des gestes très désorganisés et un plaquage au sol évident.

L’arrivée du bébé dans l’espace de pesanteur va entrainer de nombreux change- ments corporels. Contraint par les forces de gravité son architecture osseuse et muscu- laire va se développer et lutter afin d’aboutir au redressement du corps. Les coordinations qu’il devra mettre en place entre les informations issues du milieu et ses fonctions senso- ri-motrices sont essentielles afin que le bébé puisse trouver un équilibre postural. A. Bul- linger nomme « creuser postural » le point d’équilibre autour duquel la vie sensorielle du bébé s’organise. Les stimulations de l’environnement peuvent tendre à écarter le bébé de cet état d’équilibre, et ce dernier aura besoin de se couper de son milieu afin de retrouver son « creuser postural » de base. L’équilibre postural est donc une acquisition essentielle qui permet au bébé d’être présent au monde. De plus la création d’appui et les conduites de redressement sont les pré-requis à partir desquels les moyens sensori-moteurs et les activités instrumentales peuvent se mettre en place.

3- L’espace oral

L’espace oral est celui où les premières fonctions instrumentales se manifestent. Nous avons vu que, in-utéro, des mouvements de succion et déglutition étaient déjà pré- sents. La grande différence est que le foetus alimenté « par perfusion » devient un bébé dont l’alimentation se fait par la bouche et de façon fractionnée. L’activité orale assure une nouvelle fonction alimentaire.

La maîtrise de l’espace oral nécessite la bonne coordination des conduites de cap- ture et d’exploration orale :

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L’activité orale d’exploration est elle-même le fruit d’une coordination entre sensibilité profonde et sensations tactiles : la proprioception de la zone orale se met en place. On distingue deux systèmes de traitement de l’information tactile. Le système archaïque traite l’aspect qualitatif et entraine une réponse tonique à travers une modification pos- turale. Le système récent traite l’aspect spatial et entraine un ajustement de la zone orale aux propriétés spatiales de l’objet.

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L’activité orale de capture est déclenchée à la fois par la sensation de faim et par les signaux sensoriels provenant de son milieu (le bruit de sa maman qui prépare le bibe- ron). Ces sensations entrainent des modifications toniques permettant au bébé de s’orienter et de « capturer » le sein ou la tétine.

Ainsi les modulations entre faim et satiété entrainent des modifications toniques chez le bébé qu’il est important de verbaliser afin qu’il puisse mettre du sens à cette suc- cession d’évènements qu’est le repas. A. Bullinger parle « d’aspect narratif du repas ».

Un déséquilibre dans la coordination de ces deux conduites orales peut entrainer d’importantes désorganisations. Si la conduite de capture prédomine, alors l’objet est mis dans la bouche dans le seul but de remplir, il n’y a aucune attitude d’exploration. Cepen- dant si c’est la conduite d’exploration qui occupe tout l’espace, la finalité de la fonction alimentaire grâce à la déglutition ne se réalise pas et entraine d’importants troubles de l’alimentation.

L’espace oral offre donc un point de départ à l’instrumentation et les premières sen- sations d’existence.

4- L’espace du buste

In-utéro les mouvements d’extension du foetus étaient immédiatement contenus par la paroi utérine, assurant ainsi un équilibre entre extension et flexion. Après sa naissance le bébé doit retrouver cet équilibre grâce à l’aide de son milieu. Les variations de flux sensoriels peuvent entrainer des conduites d’extension du buste chez le bébé. Son milieu est chargé de contenir ces conduites, grâce à un portage adapté par exemple, offrant un soutien à l’enroulement, déficitaire chez le nouveau-né.

Dans cette recherche d’équilibre, A. Bullinger décrit l’apparition d’un « tonus pneu- matique  ». Ce dernier permet de rigidifier le buste en bloquant sa respiration. Le bébé peut ainsi de se redresser et interagir avec son milieu, le temps d’une apnée. Cette conduite doit rester transitoire puisqu’elle limite les mouvements de rotations.

Aux alentours de quatre mois, le bébé assis découvre sa musculature antérieure ; il expérimente son équilibre avant/arrière, flexion/extension. Il s’agit d’une étape importante dans le développement tonico-postural.

Un déséquilibre entre flexion et extension peut entrainer des difficultés de déglutition (extension de la nuque), des difficultés posturales aux moments des repas et des limita- tions de la coopération bi-manuelle : les bras ne se rencontrent pas sur le plan médian et se place de part et d’autre du buste en chandelier.

Des mises en forme, en posture symétrique notamment, offrant un appui dos et une flexion de la nuque, permettent de soutenir l’acquisition de cet espace. Ce dernier permet au bébé d’engager ses mains dans l’exploration du milieu et d’enrichir ses interactions. Ainsi les coordinations gauche-droite peuvent se mettre en place.

5- L’espace du torse

Le répertoire postural du bébé comprend les postures symétriques et les postures asymétriques. Les postures asymétriques, décrites par P. Casaer ( 1979 ) se caractérisent par une certaine répartition tonique : le corps est plus tonique du côté où la tête est tour- née, l’appui du bassin est opposé à l’orientation de la tête, et la courbure de la colonne amorcent l’enroulement du buste. Ces postures gauche et droite constituent un état d’équilibre pour le bébé. Le passage d’une posture à l’autre est très difficile à mettre en place et transite au départ par la zone orale lors du passage du plan médian. A ce mo- ment, les espaces droite, gauche et médian sont distincts. Lorsque le bébé est capable de réaliser un passage fluide entre une posture asymétrique et son inverse, on observe une coordination des trois espaces. Ainsi apparaissent l’espace de préhension et le début d’une constitution de l’axe corporel décrit par J. De Ajuriaguerra.

« Cette coordination gauche-droite étant amorcée, le rôle de la bouche comme lieu de transit et d’exploration diminue » . De nouveaux comportements pourront alors faire 9

leur apparition comme par exemple une meilleure station assise soutenue par la dissocia- tion des ceintures, le pointage qui dérive de la constitution de l’axe corporel, ou encore l’investissement de jeux vocaux, prémisses du langage.

Bullinger. A. (2017), p32

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Cette conduite était très présente chez Lena au début de la prise en charge. Cela rendait dif- ficile l’utilisation de ses membres supérieurs qui ont mis du temps à se mouvoir avec l’en- semble du corps dans ses expériences motrices. Nous détaillerons par la suite comment un travail d’enroulement a permis le rassemblement des bras autour de l’axe.

Lorsque le bébé peine à mettre en place cette coordination des espaces, on ob- serve une indépendance des deux hémicorps qui peut aller jusqu’à des différences to- niques. Les explorations manuelles sont limitées et la bouche conserve son rôle de transit et d’explorateur. Ces difficultés, si elles perdurent, peuvent entraîner un clivage gauche- droite décrits par G. Haag.

Les progrès dans le redressement et les rotations vont permettre d’investir le bassin et d’amorcer la liaison entre le haut et le bas du corps.

6- L’espace du corps

La maîtrise de cet espace débute par l’investissement du bassin. L’enfant, couché sur le dos, est capable d’enrouler son bassin et de porter ses pieds à la bouche. Il explore ses membres inférieurs et le pied se découvre une fonction exploratrice : il est capable de s’ajuster toniquement aux propriétés spatiales des objets rencontrés.

Progressivement l’instrumentation du bassin et des jambes se met en place. Les jambes deviennent plus toniques et permettent de lutter contre les forces gravitaires. La marche se met en place grâce à la coordination des fonctions d’exploration et de portage du pied. Le pied explorateur s’ajuste aux propriétés du terrain et le pied porteur supporte le poids du corps et assure le maintien antigravitaire. Ainsi la liaison entre le haut et le bas du corps permet aux jambes de fournir divers signaux qui sont pris en compte par l’en- semble du corps afin d’ajuster la marche.

Cette liaison s’accompagne du début du contrôle sphinctérien. L’enfant s’affirme davantage ; en découle l’apparition du « je ». Un défaut de liaison entre le haut et le bas du corps peut entrainer des difficultés du contrôle sphinctérien, une augmentation de la

Lena semble avoir des difficultés dans la coordination de ses espaces droite et gauche. Nous pouvons observer un contraste évident dans l’utilisation qu’elle fait de ses deux hémicorps ; le droit étant plus investi que le gauche. Dans le cas de Lena la bouche ne semble pas avoir rempli ses fonctions de relais et d’exploration, ce qui pourrait être une hypothèse quant à l’origine de ces difficultés.

laxité de la hanche (l’enfant n’a pas besoin d’enrouler son bassin pour ramener les jambes), et donc un moindre investissement du bas du corps. Un défaut d’investissement cognitif et émotionnel du bas du corps peut engendrer ce que G. Haag décrit comme le « clivage horizontal ». De plus un manque de transmission des informations perçues par le pied explorateur peut entrainer une instabilité posturale lors de la marche ( ce sont souvent des enfants qui trébuchent, qui ont des difficultés à s’adapter au terrain.

Pour conclure, la coordination de ces différents espaces permet progressivement à l’enfant de comprendre que l’espace oral se situe dans son champs de préhension qui lui-même se déplace en même temps que lui. L’appréhension de l’espace se modifie, l’enfant explore davantage et les praxies se développent.

« Cette réification des espaces crée les premières permanences de l’organisme, de ses moyen sensori-moteurs et des objets qui peuplent ces espaces contenants » . 10

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