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I. Le territoire : trois sphères en interaction

I.1 L’espace objet et la dimension matérielle

153. La première dimension que nous présentons ici est matérielle et s’appuie sur l’espace objet qui correspond à ce que les auteurs nomment l’espace géographique (Lévy et Lussault, 2003 ; Moine, 2006). Il est défini comme « l’étendue terrestre

utilisée et aménagée par les sociétés en vue de leur reproduction, non seulement pour se nourrir et s’abriter, mais dans toute la complexité des actes sociaux » (Brunet et al.,

1993). En d’autres termes, cet espace géographique correspond au milieu physique, à l’environnement, au support du projet (Glon et Pecqueur, 2006). Il tient le rôle d’objet dans le sens où il est l’élément que se représente l’homme et sur lequel il va agir. Au- delà de cette définition, les auteurs mettent en avant les trois attributs de l’espace, que sont (i) l’échelle c’est-à-dire la taille de l’espace, les étendues, les aires, (ii) la substance c’est à dire l’ensemble des objets présents au sein de l’espace et enfin (iii) la métrique, c’est-à-dire les distances entre les objets. Ces trois attributs peuvent être considérés comme des conditions de l’espace : ils peuvent influencer l’action et la perception qu’en ont les acteurs.

154.

I.1.1 L’échelle: la dimension d’un phénomène

155. La notion d’échelle peut faire référence à deux éléments distincts, d’une part l’échelle cartographique et de l’autre l’échelle géographique. La première échelle, employée par la cartographie traduit un rapport entre une mesure sur la carte et celle sur le terrain ; elle permet la transcription d’un espace sur une carte (Ferras, 1995). Pour ce qui est de l’échelle géographique, Ferras la considère comme « un niveau de

prise en compte d’un phénomène » ; elle correspond à un niveau d’organisation

particulier. L’attribut « échelle » qui fait référence à la taille de l’espace est important à prendre en compte car c’est lui qui permet de délimiter l’espace et de définir ce qui fait partie ou non de ce dernier. Au sein de ses travaux, Ferras (1995) définit les quatre principaux niveaux de l’espace géographique ainsi que les échelles qui y sont associées : (i) l’échelle mondiale ou internationale qui correspond au niveau géographique supranational, celui de la planète et du monde, (ii) l’échelle nationale, qui fait référence au pays au sein duquel l’individu est intégré, (iii) l’échelle régionale, considérée comme un échelon intermédiaire mais auquel on accorde de plus en plus d’importance au moins du point de vue administratif, et enfin (iv) l’échelle locale qui rend compte du niveau géographique propre à la vie quotidienne de l’individu au travers de son quartier, sa commune […], ses déplacements réguliers. Ce qu’il faut comprendre de ce découpage, c’est que selon l’échelle que l’on va choisir, les détails et les informations prises en compte seront différents. C’est ce que traduisent Racine et al. (1980) en écrivant, « l’échelle apparaît comme un filtre qui appauvrit la réalité

mais qui préserve ce qui est pertinent par rapport à une situation donnée ». L’analyse

de la démarche collective nécessite donc de définir au préalable l’échelle de l’action, afin de délimiter l’espace dans lequel vont avoir lieu les interactions entre cet objet et le territoire.

156.

I.1.2 La substance du territoire : les ressources

157. Le territoire peut être considéré comme une « source de ressources » (Muchnik et al., 2008). Ces ressources donnent une substance à l’espace, à l’échelle duquel s’analyse l’action collective. En effet, elles correspondent aux «moyens dont

dispose un individu ou un groupe pour mener à bien une action et/ou pour créer de la richesse » (Glon et Pecqueur, 2006). Selon Brunet et Dollfus (1990), une ressource est

ce qui ressurgit, au départ latente, cette dernière doit être révélée. Quatre caractéristiques fondamentales sont attribuées à cet objet (Gumuchian et Pecqueur, 2007 ; Hadjou, 2009): (i) sa position au sein du territoire, c'est-à-dire où est-elle localisée, (ii) sa constructibilité, comment a-t-elle été construite par les acteurs, (iii) sa complexité systémique comprise comme la façon dont elle se combine avec d’autres ressources et enfin (iv) son sens et sa temporalité, pouvant être traduit par sa nature et son cycle de vie.

158. Pour appréhender les différents types de ressources, nous proposons de faire appel à la notion de capital, considéré comme un ensemble de ressources accumulées :

159. ▪ Un capital naturel constitué des ressources biologiques (faune, flore..) et les ressources physiques (eau, terre, climat, relief, sol …), qui peuvent être exploitées par l’homme pour constituer les ressources naturelles suivantes : les forêts, les pâturages, les pêcheries par exemple. Au sein de ces ressources, certaines sont non renouvelables, c'est-à-dire qu’elles constituent un stock épuisable, tandis que d’autres sont dites renouvelables, pouvant alors être exploitées sans épuisement à condition de les gérer de façon durable ;

160. ▪ Un capital physique qui correspond à un bien construit et utilisé comme moyen de production tels que les ressources matérielles : les outils, les bâtiments et encore les équipements (machines et matériels…) ;

161. ▪ Un capital humain constitué par l’ensemble des individus qui appartiennent à l’espace et plus principalement à leurs capacités de production ;

162. ▪ Un capital social constitué « des connaissances partagées, des normes, des

règles, des attentes concernant le mode d’interaction, qu’un groupe d’individus, construisent pour une activité récurrente » (Meinzen-Dick et al., 2004 ; Megyesi et al.,

2010). L’ensemble des relations, de confiance, de réciprocité et d’échanges constituent également le capital social, à la fois au sein du groupe mais également entre groupes ; 163.

164. ▪ Un capital financier et économique qui peut être défini comme l’ensemble des sommes d’argent disponibles pour le développement d’une activité mais également comme l’ensemble des activités présentes au sein de l’espace ;

165. ▪ Un capital institutionnel et politique qui correspond à l’ensemble des lois, des règles qui cadrent l’action de l’homme ;

166. ▪ Un capital culturel et technique c'est-à-dire les savoir-faire, les techniques, l’ingénierie ou encore l’information par exemple.

167. En plus de leur nature, les ressources peuvent être différenciées selon leur rigidité de localisation (François et al., 2006 ; Colletis et Pecqueur, 1993 ; Colletis et Pecqueur, 2004). On retrouve d’une part les ressources génériques, transférables selon une valeur d’échange fixée par le marché en fonction de l’offre et la demande et d’autre part, les ressources spécifiques, qui n’existent qu’à l’état virtuel et ne peuvent être transférées. Ce n’est que par la mise en œuvre d’opérations successives, tout d’abord de découverte, d’émergence puis de construction par la société, qu’une ressource spécifique latente est révélée et obtient une valeur d’usage. C’est au travers de son appropriation par les acteurs que la ressource devient une réalité ; on peut alors dire que le processus d’émergence est fortement lié aux capacités à

découvrir et innover des acteurs (François et al., 2006). C’est ce qu’écrivent Kebir et Crevoisier (2004) : « ce qui fait ou fera ressource dépendra non seulement de la

dotation initiale et future mais aussi des intentions et perceptions des acteurs ».

168. Pour différencier durablement leur territoire, les acteurs d’une société devront donc construire des ressources territoriales, c'est-à-dire des « ressources spécifiques

révélées par un processus intentionnel qui engage une dynamique collective d’appropriation par les acteurs du territoire » (François et al., 2006) (p. 696) et qui

participent à la production et l’identité de ce dernier (Roux et al., 2006). Ainsi, les ressources sont primordiales pour produire le territoire mais seules, elles ne peuvent exister. En effet, c’est à travers l’action de l’homme qu’elles se construisent et se révèlent être nécessaires pour fabriquer et différencier le territoire. La révélation des ressources territoriales passe par un processus collectif construit en deux temps, celui de la patrimonialisation : (i) la sélection de la ressource et la justification de son usage puis (ii) la conservation, la mise en exposition voire la valorisation de cette dernière. Ce processus est, comme son nom l’indique, générateur de patrimoine, défini comme « ce qui est censé mériter d’être transmis du passé, pour trouver une valeur dans le

présent » (Lévy et Lussault, 2003) (p. 39). Cette construction patrimoniale est

toujours l’œuvre de plusieurs catégories d’acteurs qui, ensemble, peuvent reconstruire et rendre compte des traditions associées à un objet. À travers les différentes phases de la patrimonialisation, c'est-à-dire « connaître, reconnaître et

faire connaître l’objet » (Prévost, 2004), les acteurs en présence doivent développer

différentes capacités. D’une part, ils doivent innover, c'est-à-dire « acquérir un

nouveau regard et voir de la valeur là où on ne la voyait pas » (François et al., 2006)

et d’autre part s’approprier les ressources, par une « reconnaissance commune de la

part des groupes sociaux que les objets, les lieux sont leur bien propre, au cœur de la construction de leur identité sociale » [(Rautenberg, 2003) cité dans (Bérard et al.,

2005)].

169.

I.1.3 La métrique du territoire : la proximité géographique

170. La métrique correspond à la distance entre les éléments constitutifs d’un espace. Dans de nombreux travaux, la notion de distance est abordée à travers le prisme de l’économie de la proximité5 qui permet d’appréhender le territoire en

termes de coordination. Nous nous intéresserons plus particulièrement à la proximité géographique, correspondant à la distance spatiale existante entre deux entités

5 « À la confluence de l’économie industrielle et de l’économie spatiale, les analyses en termes de « proximités

» ont apporté, à partir du milieu des années 1990, un renouvellement certain des réflexions dans le champ de l’économie régionale ou spatiale. Dédiées à des questions telles que les coopérations interentreprises, les localisations d’activités, les processus d’innovation, la constitution de clusters, les gouvernances locales, ces travaux ont tenté d’apporter de nouveaux modes d’analyse. Leur grille de lecture, originale, se fonde principalement sur le diptyque proximité géographique / proximité organisée » TORRE A., ZUINDEAU B. 2009.- "Les apports de l'économie de la proximité aux approches environnementales: inventaire et perspectives". in

présentes sur l’espace terrestre, partagé et aménagé par les hommes (Bouba-Olga et Grossetti, 2008). On parlera de distance entre objets mais également entre acteurs et activités au sein de l’espace. Cette proximité est relative à divers éléments que Torre et Beuret (2012) identifient comme : (i) les caractéristiques morphologiques des espaces à traverser, en effet le déplacement sera différent entre une surface plane et des reliefs ; (ii) la disponibilité d’infrastructures pour le transport et leur rapidité d’acheminement, comme par exemple la présence ou non du métro ou du tramway dans une ville ; (iii) la richesse des individus qui limite ou favorise l’accès au transport et la capacité de mobilité ; (iv) la perception par l’individu de la distance qui le sépare du lieu qu’il convoite, cela revient à l’idée d’être « près de » ou « loin de » quelque chose.

171. Cette proximité géographique est au départ considérée comme neutre (Torre, 2009), dans le sens où les individus peuvent se trouver en situation de proximité géographique sans pour autant la mobiliser. L’activation de ce potentiel de proximité géographique passe alors par l’activité de l’homme, suivant ses perceptions et ses stratégies. En effet, la proximité géographique ne génère pas dans tous les cas des avantages, elle peut même devenir un inconvénient voire une source de conflit. Selon les cas, les auteurs parlent de proximité géographique subie ou recherchée (Torre et Beuret, 2012). La proximité géographique est dite recherchée quand l’acteur tente par divers moyens de satisfaire une plus grande proximité de manière permanente en changeant de localisation ou bien temporaire en favorisant des déplacements et en se rendant mobile. Néanmoins, dans certaines situations, les individus ne peuvent avoir recours à des déplacements et doivent alors subir la proximité géographique existante entre eux et un autre élément (individu, activité, lieu).

172. À l’heure actuelle, la proximité géographique est de plus en plus facilitée grâce au développement des infrastructures de transport et de communication, qui favorisent la mobilité et l’ubiquité (Torre, 2009). Avec les nouvelles techniques d’information et de communication, les individus peuvent développer des relations simultanément avec l’ici et l’ailleurs, avec des personnes proches ou au contraire très éloignées géographiquement. Comme l’écrit Torre (2009), les innovations techniques aident « à construire les relations, les maintenir et les réactiver » (p.9) ; à condition que les individus y ait accès.

173. La dimension matérielle du territoire repose donc sur les ressources et leurs proximités, variables selon l’échelle d’analyse. Sans l’action de l’homme, ces deux éléments restent à l’état passif tel de la matière première (Raffestin, 1982). Ces deux conditions territoriales sont perçues et pratiquées par les individus (Lévy et Lussault, 2003), selon l’espace des représentations.

174.

I.2 L’espace des représentations et la dimension idéelle

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