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lui-même, dont l’entretien requiert une certaine proportion de l’énergie dépensée par l’organisme, et dont le coût par

unité de volume (en théorie du moins) peut être mesuré en calories ou en ergs par jour », [Thompson, d’Arcy (Sir), 1917, 1961, 1994], p. 144. Voir encadré.

1 Voir [Murray, C. D., 1926], p. 835. Nous reprenons ici la reformulation simplifiée de [Lubashevski, I.A. et Gafiychuk,

V.V., 2002], p. 3.

2

[Murray, C. D., 1926], p. 838.

différentiant cette somme et en ayant recours au principe du travail virtuel élaboré par Lagrange, on obtient une expression du type1 :

θ

1 1

cos

a

+

a

2

cosθ

2= (1 + )

a

0

θ

1 1

sin

a

-

a

2

sinθ

2= ’

a

0

θ

1 et

θ

2 sont les angles que font les deux vaisseaux « fils » par rapport à l’axe du rameau « père » ; et ’ (inférieurs à 0.1 en valeur absolue) représentent les déviations possibles par rapport à l’optimalité2.

Cette relation est également vérifiée empiriquement mais de façon beaucoup moins précise et stable que celle qui porte sur les sections ou rayons des vaisseaux. Tout au moins observe-t-on une conformité tendancielle ou qualitative : « quand un vaisseau de sang parent subit une bifurcation, la branche la plus large fait un angle plus petit avec la direction du parent que n’en fait la branche la plus étroite » 3.

« Modèle » inexpliqué ou « loi » fondée sur une « foi »4 en l’optimalité de la nature ?

Le fait que la vascularisation que l’on observe semble effectivement obéir à un principe d’optimalité du type « loi de Murray » peut être interprété d’au moins deux façons différentes du point de vue du « mécanisme » sous-jacent. On peut considérer tout d’abord que cette optimisation du travail s’exerce à chaque fois actuellement avec la mise en place d’une nouvelle ramification. Dans ce cas, cette morphogenèse biologique particulière qu’est la ramification semble pouvoir être totalement expliquée par l’hydromécanique. Cette interprétation ne semble pas avoir été répandue et déjà Murray semble pencher pour la seconde bien que les premiers textes de 1926 et 1927 ne soient pas dépourvus d’ambiguïté. En effet, l’analyse mathématique paraît trop grossière pour indiquer que c’est réellement ce jeu de forces qui à chaque fois opère. Suite à une critique véhémente du physicien Paul S. Bauer, du Fatigue Laboratory d’Harvard, Murray fut d’ailleurs sommé de préciser son point de vue. Dans son court article de 1930, entièrement à charge, Bauer répute nul et non avenu le recours de Murray à un « principe physiologique d’optimalité » au motif que l’on n’a pas là affaire à un système physique conservatif (non-ouvert du point de vue énergétique) et qu’en conséquence aucun principe de moindre action ne peut y être a

priori appliqué5. Murray se voit donc dans l’obligation de répondre en levant l’ambiguïté des premiers articles. Dans sa réponse, il choisit de nier tout appui sur un quelconque principe issu de la physique6. En dernière analyse, cédant aux arguments assez forts du physicien, il fait reposer la

1 Voir [Murray, C. D., 1926], p. 837 et [Zamir, M., 1976], p. 218. Intuitivement, on trouve l’angle qui minimise la distance

entre un point hors du vaisseau parent et ce vaisseau parent en minimisant les forces de frottement sur les parois, forces dues à la viscosité, donc notamment en minimisant la longueur de ces parois. Voir également [Thompson, d’Arcy (Sir), 1917, 1961, 1994], p. 141.

2

[Lubashevski, I.A. et Gafiychuk, V.V., 2002], p. 5.

3 [Zamir, M., 1976], p. 220. Notre traduction. Voir [Murray, C. D., 1926], p. 838. À cette occasion, Murray précise que

c’est Roux qui avait, en son temps, rappelé cette loi qualitative.

4 [Thompson, d’Arcy (Sir), 1917, 1961, 1994], p. 140. 5

[Bauer, P. S., 1930], p. 617: “This work, in addition to being formally an error by neglecting the gravitational effect on Poiseuille’s law of capillary flow, has an inherent fallacy which arises from an improper use of reasoning by analogy”.

validité de son principe sur une simple « consistance » phénoménologique avec les observations courantes. En aucun cas, ce principe ne peut être conçu pour lui comme une continuation des principes de moindre action valant en physique. C’est donc dans ce dernier travail que nous avons de lui que Murray renonce à tout appui direct sur une hypothèse physicaliste et réductionniste. Mais il ne poursuivra pas davantage ses recherches car il décédera prématurément en 1935.

La plupart des auteurs qui se sont servi de la « loi de Murray » ont considéré par la suite qu’ils ne disposaient pas par là d’une véritable théorie de la ramification vasculaire et végétale. Contre l’approche que d’Arcy Thompson aurait voulu voir adopter, ils se sont massivement accoutumés à penser que c’est plutôt à travers la sélection naturelle que ce travail d’optimisation s’est à la longue effectué en rendant préférentiellement viables les types de ramifications déterminées génétiquement de façon optimale d’un point de vue hydraulique et mécanique au détriment des autres. En quel cas, cette « loi » pourra être davantage conçue comme un « modèle »1 mathématique puisqu’elle ne prétend pas rendre compte directement, et de façon semblablement reproductrice, du processus actuel de mise en place de la ramification dans l’ontogenèse. C’est ce terme de « modèle » que les chercheurs adoptèrent par la suite quand ils s’inscrivirent préférentiellement dans cette seconde interprétation, même s’ils parlent encore aujourd’hui de « loi de Murray » pour se référer à l’origine historique du modèle. Si bien que devant ce cas d’évolution terminologique, nous avons un moyen de comprendre précisément comment il arrive qu’on en passe de la notion de « loi » à la notion de « modèle » pour désigner le même objet théorique. En effet, alors même qu’il est exprimé identiquement, le statut explicatif du « modèle » mathématique est compris bien différemment. Au contraire de la « loi », il ne prétend plus décrire les événements causaux effectifs et agissant actuellement dans le phénomène « expliqué ». Le modèle mathématique propose un scénario plausible mais ne prétendant pas aller au cœur ou au fond des causalités qui s’expriment en dernière analyse dans le phénomène global modélisé. Il sert toutefois à rejoindre la physiologie expérimentale et médicale dans la mesure où il permet de prédire et de retrouver les mesures faites sur le terrain.

Significativement, d’Arcy Thompson lui-même, malgré son aversion pour la réduction de l’explication morphologique à la théorie de l’évolution, penche également pour cette seconde interprétation2. À notre avis, c’est notamment parce qu’il ne peut plus recourir ici à son « diagramme des forces ». Devant la réussite de Murray, du point de vue de la calibration de sa loi, dont il veut rendre compte et qu’il produit aux yeux de ses lecteurs comme pour appuyer encore son épistémologie de l’homologie mécaniste, il est en fait beaucoup moins à l’aise. Dans ce cas de figure en effet, il est bien plus difficile de se donner à voir comment les forces subtilement réparties de l’hydrodynamique, cette science d’ingénieur plus que de mécanicien, pourraient directement infléchir et conformer les vaisseaux aussi parfaitement que cela était possible en revanche dans les diagrammes d’équilibre de forces mécaniques simples. D’autant plus qu’il faut déjà un flux, donc un vaisseau, pour qu’il y ait une force de frottement due au flux3.

C’est bien là que l’on sent combien le mécanicisme homologique de d’Arcy Thompson, en guerre contre la modélisation statistique et déracinée, ne peut déjà plus réellement valoir et cède

1 C’est la terminologie actuellement consacrée. Voir [Lubashevski, I.A. et Gafiychuk, V.V., 2002], p. 3 : “The idea of

Murray’s model is reduced to the assumption that physiological vascular networks, subject through evolution to natural

selection, must have achieved an optimum arrangement corresponding to the least possible biological work needed for maintaining the blood flow through it at a required level.” C’est nous qui soulignons.

2

« En résumé, la circulation sanguine est avant tout un processus de transport de l’oxygène, et il semble qu’un mode de transport efficace ait été établi par approximations successives », [Thompson, d’Arcy (Sir), 1917, 1961, 1994], p. 141.

3

On retrouve ici le vieil argument vitaliste qu’Aristote opposait aux physiologues mécanistes dans les Parties des

animaux, Livre I : dans la genèse de la forme du nez, on ne peut imaginer que les narines soient creusées par le

inévitablement du terrain devant les raisons de la nouvelle approche par modèles : dans les années 1920, les sciences appliquées comme l’hydrodynamique, nées de considérations expérimentales et techniques, se révèlent déjà de bonnes candidates auprès de la morphologie pour relayer efficacement la mécanique analytique dans sa fonction de médiation avec les mathématiques. Mais il est justement très instructif de voir que, pour d’Arcy Thompson, la conformité de la nature à la loi de Murray n’est finalement rien de plus qu’un signe supplémentaire de « la perfection des réalisations de la nature » en laquelle il faut avoir « foi ». C’est pour lui une preuve de plus que l’hypothèse de l’optimalité doit tout de même jouer un rôle heuristique constant chez le morphologiste du vivant comme chez le physiologiste. Mais il ne s’attarde nullement sur le fait qu’il a fallu pour cela sacrifier à la pureté de l’analyse mécanique. En fait, ce que le spéculatif d’Arcy Thompson considérait comme un « postulat » servant de « méthode de découverte »1, les physiologistes appliqués le considérèrent plus tard comme un « modèle », quantifiable utile pour le diagnostic mais il est vrai non réellement expliqué ni expliquant. La « loi de Murray » restera donc assez longtemps une loi phénoménologique connue et reconnue mais sans réelle utilisation dans la mesure où elle ne s’inscrit pas dans un scénario réellement explicatif et faisant lien avec d’autres faits expérimentaux. Née dans un contexte où le principe d’optimalité pouvait paraître homogène, dans son transfert de la physique à la biologie, et passait pour une légitimation de l’approche théorico-mathématique, cette loi put d’abord semblée parfaitement construite et fondée, aux yeux de certains. Mais confrontée à la légèreté de cet argument du transfert de l’optimalité, son statut épistémique dérivera par la suite vers celui d’un simple modèle descriptif.

Quant à l’approche mathématico-mécaniste de d’Arcy Thompson, si elle ne peut plus être valablement défendue comme alternative théorique au modèle et à son déracinement (cette première forme de résistance échoue donc), elle va cependant être très vite relayée par une autre forme de résistance physicaliste qui aura son heure de gloire dans la biologie théorique américaine des années 1940 et 1950. Autour de la personne de Rashevsky, une partie de la biophysique va en effet poursuivre la croisade contre les modèles mais en partant d’une idée cette fois-ci plus riche et mieux informée de ce que la physique peut proposer à la biologie comme idéal de mathématisation.

CHAPITRE 5 – La « biophysique » de Nicholas Rashevsky (1931-1954)

Nicholas Rashevsky est ukrainien d’origine. Il naît à Chernikov en 1899. En 1917, à 18 ans, il rejoint la marine de l’armée des russes blancs qui se sont ligués contre la révolution bolchevique. En 1920, avec Emily, celle qui deviendra plus tard sa femme, il s’enfuit à Constantinople. Pendant un an, il y suit des cours dans un Collège américain. En 1921, à Prague, il suit des cours en physique théorique et il travaille plus particulièrement sur la théorie de la relativité. C’est donc là, à Prague, qu’il complète ses études de physique avant d’émigrer en 1924 aux Etats-Unis, après un bref passage à Paris. À partir de 1927, à l’Université de Pittsburgh puis, à partir de 1934, au Département de Physiologie de l’Université de Chicago, il conçoit progressivement le projet de bâtir une « biophysique mathématique » sur le modèle et dans le prolongement de la physique mathématique. C’est en 19341 qu’il propose de reprendre le terme de « biophysique » alors qu’il a déjà longuement réfléchi à la fois sur l’œuvre de d’Arcy Thompson, sur celle de Lotka comme sur celle du mathématicien italien Vito Volterra (1860-1940)2. À cette date, il a déjà publié un certain nombre de travaux sur la mécanique de la cellule en division. Cette même année, il reçoit une bourse de la fondation Rockefeller qui récompense et encourage ainsi ces premiers travaux. Conforté dans son approche, son projet devient ambitieux : il s’agit d’amorcer un développement véritablement systématique et tous azimuts de la biologie mathématique3. En fondant le

Committee on Mathematical Biology (d’abord informel en 1934 puis officiel à partir de 1947), il

s’entoure d’un certain nombre d’assistants et d’élèves comme Alston S. Householder, Herbert D. Landahl, John M. Reiner, Alvin Weinberg et Gale Young4. Ces derniers, comme lui-même, vont d’abord publier de façon séparée et dispersée dans des revues comme Growth, Biological Review,

Acta Biotheoretica, Psychometrika ou même Physics. En fait, dès 1938, Rashevsky fonde sa

propre revue : le Bulletin of Mathematical Biophysics. Cette revue est d’abord publiée au titre de supplément du journal Psychometrika avant de devenir indépendante. Elle édite essentiellement des essais de théories physico-mathématiques pour la biologie. Elle refuse par principe les travaux purement statistiques ou ne proposant que des équations obtenues empiriquement5. À partir de cette date donc, ses assistants comme ses proches collègues vont publier en quelque sorte sous sa direction. Cette « direction » de recherche est d’ailleurs matérialisée d’une autre façon la même

1

Pour cette date approximative, voir [Rashevsky, N., 1934a], p. 176 et [Rashevsky, N., 1960a], p. 141.

2

Pour une analyse épistémologique des travaux de Volterra, nous renvoyons à [Israel, G., 1996], pp. 17-74. L’historien des sciences Giorgio Israel y montre que Volterrra a été un des premiers à développer consciemment une attitude modéliste en dynamique des populations. Pour l’auteur, le « modélisme » serait à définir comme une manière de mathématiser directement un problème biologique en usant d’une analogie purement mathématique, sans se fonder sur un substrat intermédiaire. Volterra serait ainsi plus modéliste que Lotka qui, pour sa part, s’appuie encore sur une analogie chimique pour mathématiser la dynamique des populations biologiques. Voir ibid., pp. 70-72. Pour notre part, nous ne sommes pas tout à fait convaincu et pensons qu’il reste chez Volterra une tendance au mécanisme dont sa définition, étroite car précisément mécaniste, des modèles témoigne. La dynamique des populations est le lieu de naissance de « modèles » qui restent théoriques en ce qu’ils sont constructibles par analogie entre des molécules et des individus vivants. Du reste, Israel nous montre en fait que les derniers écrits de Volterra témoignent de ce scrupule. Voir

ibid., p. 73.

3

Sur ce désir de recherche « systématique », voir les propos de [Rashevsky, N., 1965], p. 36.

4

[Rashevsky, N., 1938, 1948], p. xvi.

année : par la publication d’un ouvrage de synthèse collectif mais largement « réécrit » par Rashevsky et intitulé Mathematical Biophysics.

Rashevsky est un personnage important à situer et à comprendre de notre point de vue pour plusieurs raisons1. D’une part, il a très tôt fédéré tout un ensemble de recherches en biologie mathématique. De ses travaux, comme de ceux de ses collègues qu’il a publiés, sont sorties un assez grand nombre de suggestions qui auront un certain poids dans l’avenir, comme nous le verrons. D’autre part, Rashevsky nous a gardé les traces de ses réflexions épistémologiques aussi bien dans la revue Philosophy of Science, fondée en 1934 par ses collègues philosophes de l’Université de Chicago, que dans les articles qu’il a publiés ensuite dans sa propre revue ou dans son ouvrage synthétique de 1938. Il l’a d’ailleurs refondu et réédité une première fois en 1948 puis de nouveau en 1960. Enfin, à la différence des physiciens et mathématiciens qui mathématisaient la biologie à l’échelle des populations, Rashevsky s’est particulièrement penché sur les problèmes de croissance de l’individu. Nous évoquerons donc cet acteur de la biologie mathématique en nous limitant toutefois et naturellement, pour certains détails, aux travaux sur la mathématisation de la forme et de la croissance.

Avant tout, il nous faut noter que ses essais de théorisations mathématiques n’ont pas toujours été animés d’une même approche de principe à l’égard de l’origine, de la nature et de l’usage des mathématiques qu’on devait y faire paraître. Il est effectivement très instructif de voir combien la position de Rashevsky a évolué sur la question précise du rapport entre la physique et la biologie mathématique. Cette évolution épistémologique, tout au moins à ses débuts, n’est pas sans rapport avec les résultats de ses propres travaux scientifiques. Au regard de l’évolution qui transparaît dans ses publications et en simplifiant ce qui a dû se manifester sous la forme d’une prise de conscience et d’une évolution lentes, nous pouvons dire que ses positions épistémologiques successives furent en effet au nombre de deux. Nous nous occuperons d’abord ici de la première période (1931-1954) dans la mesure où elle prolonge et complexifie les intuitions de d’Arcy Thompson et Murray tout en permettant un dialogue cette fois-ci assez fécond entre la biologie mathématique, ou ce qui aspirait à le devenir, et la biologie quantifiée qu’était la biométrie. Cette première épistémologie rashevskyenne a en effet permis des rencontres inédites avec les biologistes expérimentateurs. De plus, des travaux d’importance vont en résulter en physiologie physique. Par la suite, sous l’effet de plusieurs facteurs (mais aussi de travaux tout à la fois concurrents et inspirateurs) que nous essaierons de déterminer, Rashevsky a semblé séduit par le recours à la topologie, c’est-à-dire à des mathématisations d’un autre type, significativement plus directes car ne passant pas nécessairement par la médiation de la physique

Le premier Rashevsky (1931-1948) et le projet de la « biophysique » : un réductionnisme

L’idée de travailler à concevoir une nouvelle partie de la biologie que l’on pourrait qualifier de « biophysique » était d’abord venue à Rashevsky de l’admiration, mêlée d’une certaine insatisfaction, face aux travaux de d’Arcy Thompson (1917). Dans sa préface de 1938, il précise que le livre de d’Arcy Thompson lui paraît en effet « remarquable »2 mais, que dans le fond, il ne lui semble pas avoir donné la véritable impulsion nécessaire à la naissance d’une biologie mathématique. Son auteur a donc au mieux exprimé en des termes séduisants une authentique

1 Dans un ouvrage récent, l’épistémologue américaine Evely Fox Keller, sans entrer dans le détail de son épistémologie

ni de ses travaux, a rapporté certains des épisodes de la vie intellectuelle et académique de Rashevsky. Voir [Keller, E. F., 2002, 2003], pp. 82-89.

attente des milieux scientifiques en ces matières, c’est-à-dire le désir de recourir à des mathématiques non plus pour de simples applications occasionnelles (ce qui lui semble déjà très fréquent en 1938 dans le cadre de ce qu’il appelle la « biologie quantifiée ») mais pour « l’édification d’une biologie mathématique systématique »1, c’est-à-dire présentant une fondation mathématique rigoureuse et unifiante. Ce sentiment d’insuffisance et de flou face aux travaux de d’Arcy Thompson est assez généralement partagé à l’époque, notamment par le botaniste anglais Claude Wilson Wardlaw (né en 1901)2.

Selon Rashevsky, il en est tout autrement des travaux de Lotka comme de Volterra sur « l’interaction entre espèces biologiques dans une population d’organismes »3. Il les juge pour sa part déjà réellement « fondamentaux » en leur domaine et il déplore même qu’une certaine prévention chez les biologistes ait empêché qu’ils soient davantage reconnus. Cette prévention, il l’attribue au fait qu’à son époque, le biologiste considère souvent les mathématiques au mieux comme un ingénieur le fait : pour des raisons purement utilitaires4. Un biologiste ne s’intéresse aux mathématiques que s’ils peuvent lui donner immédiatement une formule utilisable. C’est contre cet esprit qu’il juge étroit qu’il lutte. Il prend alors comme exemple le développement récent de la physique théorique : il n’y aurait pas eu de théorie de la relativité sans les études mathématiques antérieures de Riemann et si ces dernières ne s’étaient d’abord émancipées du souci de coller immédiatement à la réalité empirique5. Il ne faut donc pas craindre de se proposer d’abord l’étude de « structures abstraites »6. Pourtant et très significativement, Rashevsky ne veut pas non plus s’inscrire dans la lignée de Lotka et Volterra, car il a une autre idée en tête. C’est là que sa première épistémologie s’exprime sans ambiguïté. Dans la suite, nous allons tâcher de la saisir en acte et plus particulièrement dans un travail de mathématisation de la forme des plantes que Rashevsky publiera dès 1948. Mais précisons dans un premier temps ce que la biophysique de