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L’entourage extérieur, un impact sur l’allaitement en lieu public ?

Dans le document Pudeur et allaitement (Page 56-58)

A. Limites et biais de l’étude

3. L’entourage extérieur, un impact sur l’allaitement en lieu public ?

En premier lieu, il serait simple de dire que l’entourage extérieur n’a pas d’impact sur l’allaitement maternel. En effet, pour quatre des neuf femmes rencontrées, aucune gêne n’a été ressentie lors de leur allaitement en lieu public.

Toutefois il ne s’agit pas du cas de l’ensemble des femmes interrogées, et encore moins de la vision des femmes en général. Même si la vision de l’allaitement semble évoluer avec le temps, des moments de gêne, voire de crainte, peuvent se faire ressentir. Cet inconfort peut motiver certaines femmes, comme Camille ou Léa, à s’organiser de façon à ne pas allaiter à l’extérieur, où à ne pas mettre l’enfant au sein dans certains lieux.

Bien que la majorité des femmes soient motivées par leur volonté d’allaiter ou par le soutien de l’entourage extérieur, des peurs peuvent subsister : la peur du regard, entre autres, lié à la crainte d’être jugée, de choquer et de se confronter à de probables remarques sur leur pratique.

Cela impacte autant leur pudeur physique que leur pudeur morale. Certaines se cachent, se mettent à l’écart, à l’abri des regards. Ou inversement, elles n’ont pas besoin de le faire : certaines comme Lalie ont été confrontées à des situations d’exclusion ou d’isolement dans certains lieux publics.

Ce « manque de pudeur » de la part de l’entourage extérieur, selon Lalie, génère une certaine frustration sur l’instant même, qui induit par la suite un doute, voire un sentiment de honte sur leur façon de faire. Beaucoup ont du mal à se justifier concernant leur allaitement, et finissent même par se lasser de devoir expliquer les choses. Il s’agit de leur choix, qu’importe le regard que l’on peut porter sur elles. Mais ce poids du regard extérieur n’est pas toujours facile à porter pour les femmes allaitantes.

Qu’en est-il vraiment concernant l’allaitement à l’extérieur ? Aucune loi aujourd’hui n’interdit la pratique de l’allaitement maternel dans les lieux publics, et des vêtements spécifiques pour l’allaitement permettent de mettre l’enfant au sein sans exposer entièrement la poitrine.

Mais au final, voit-on vraiment quelque chose, ou est-ce la pratique en elle-même qui choque ? C’est la question que se sont posées Soledad, Lucela et Magalie. Selon elles, les personnes extérieures ne voient pas forcément, et cette peur du regard serait surtout basé sur les croyances des femmes, ainsi que sur la peur du jugement.

54 Concernant l’allaitement à l’extérieur, dans une étude sur le vécu des femmes concernant leur allaitement menée en 2009, Corinne Delamaire a brièvement parlé de pudeur et de gêne lors de la mise au sein en lieu public. Elle y parle notamment de l’influence de la situation socio-économique des femmes :

« Le sentiment de bien-être dans différentes situations a été testé dans cette étude. Ainsi, 68 % des femmes ayant déjà allaité et 55 % n’ayant pas allaité déclarent se sentir « tout à fait à l’aise » face à une femme allaitant son enfant à la télévision ou sur une affiche ; voir une femme allaiter dans un lieu public met tout à fait à l’aise 59 % des femmes ayant déjà allaité et 42 % des femmes qui n’ont jamais allaité ; 36 % des femmes qui ont déjà allaité sont tout à fait à l’aise à le faire en dehors de chez elles. Dans ces trois situations, les femmes disposant des plus faibles revenus ont tendance à être les plus nombreuses à exprimer un sentiment de malaise. » [18]

Un article publié en 2014 par Marlène Duretz relate de l’étude lancé par « Le Monde » après qu’une femme britannique ait été invitée à se couvrir pendant qu’elle donnait le sein en public. Cet article résume très bien les propos et les ressenti évoqués par les femmes sur l’allaitement à l’extérieur. Le mot « discrétion » y revient très souvent, tout comme dans les entretiens menés ici. « Allaiter n'a rien d'un attentat à la pudeur », mentionnent la majorité des femmes qui allaitent -ou ont allaité-, mais elles ressentent toutefois la nécessité de se mettre à l’abri des regards. [19]

De même, les femmes parlent de leur volonté de ne pas choquer les autres en utilisant des hauts adaptés à l’allaitement. Comme c’est le cas pour les femmes interrogées, l’étude de l’article fait ressortir que même s’ils existent, les regards malveillants restent marginaux.

Cependant ils restent tout de même présent, même si, dans notre étude, seule Lalie a eu affaire à des difficultés du genre. Il est donc nécessaire de pouvoir donner les informations nécessaires afin d’armer les femmes face à ce genre de situation. C’est ce que fait déjà la Leche League concernant l’allaitement et le droit pénal sur la licéité de l’allaitement en public.

« La France est un pays privilégié quant à sa perception et sa manière de régir la pudeur. Aucune disposition générale et nationale ne prohibe l’allaitement dit « en public ». Aucune affaire retentissante n’a jamais eu lieu, contrairement à ce que l’on a pu rencontrer dans des pays comme l’Australie ou les Etats-Unis. Cependant, des mères font parfois l’objet de remarques ou injonctions lorsqu’elles allaitent dans des lieux publics.

Faute de disposition traitant spécifiquement de ce sujet, il est parfois opposé aux mères qu’elles commettraient un « attentat à la pudeur ». Disons d’emblée que cette notion a disparu de notre système juridique depuis 1994 ! L’a remplacée une qualification pénale plus étroite : l’exhibition sexuelle (…). Le fait qu’elle soit plus étroite est déterminant pour ce qui concerne l’allaitement. Attenter à la pudeur pouvait couvrir des situations comme remonter de la plage en maillot de bain et allaiter. En revanche, l’exhibition sexuelle suppose d’exposer autrui à la vue d’un acte obscène à caractère sexuel. Il va de soi que cela ne s’applique absolument pas à l’allaitement. » [31]

Martine Herzog-Evans, « Droit pénal et allaitement : la licéité de l’allaitement dit en public », 2006

55 Enfin, il sera noté que cette sensation de gêne, chez la majorité des femmes, régresse avec le temps et l’habitude. Beaucoup de femmes décrivent cette évolution du fait du côté « naturel » de l’allaitement et de la prise de confiance à long terme.

Anne Fournand décrit justement ce phénomène : « Lorsque les mamans sont à l’aise

avec l’allaitement, elles apprivoisent des lieux de plus en plus ouverts pour le pratiquer : elles passent progressivement des espaces privés aux espaces privés des autres (chez des amis) puis aux espaces communs (cafés, centres commerciaux, salles d’attente) et enfin aux espaces publics de la rue ou des parcs. Chaque séance est une rupture des limites corps-espace qui nécessite un « agencement corpospatial ». » [32]

Après tout, comme il en sera parlé sur la vision sociétale de l’allaitement, sortir le sein n’est rien d’un acte anodin. Il s’agit d’exposer brièvement une partie de son corps, le temps de mettre l’enfant au sein. Et c’est ce moment, en combinaison avec la peur du regard, qui peut bloquer certaines femmes à allaiter à l’extérieur.

« Le sein est un organe particulièrement ambigu : du nourrisson qui tète à l’homme qui caresse et à la femme qui se regarde ; maternité, érotisme et narcissisme se rencontrent dans un même jardin et se nourrissent du même fruit » [33]

Gros, 1987

Dans le document Pudeur et allaitement (Page 56-58)