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L’enseignement comme moment de la vie éthique

Dans le document Penser la pédagogie avec Hegel (Page 47-51)

Concernant l’usage du terme de « Bildung » précisons que Hegel l’emploi « dans des sens variés »83 . Il désigne la formation culturelle tout aussi bien pratique que

théorique des individus, par opposition au sens du mot allemand « Kultur », qui désigne la civilisation et renvoi donc à l’identité culturelle telle qu’elle s’exprime dans la langue ou la littérature par exemple, plutôt qu’à la formation de l’individu. Seulement, « Bildung » tout comme « Erziehung » désigne la formation des individus comme culture, entendu au sens de l’éducation de ces mêmes individus, mais aussi désigne l’éducation au sens d’enseignement. L’enseignement s’articule donc à la formation culturelle de l’individu, car il rejoint les mêmes enjeux sociaux et politiques que la Bildung ; la pédagogie de l’enseignement de Hegel, dans son caractère organique, comme système de relations se fondant par opposition à la forme d’un savoir abstrait, formel, où les choses sont présentées dans leurs immédiateté et leur unilatéralité, séparées de toutes relations essentielles. Or, c’est dans cette même organicité que l’inscrit le rapport entre pédagogie et Bildung.

Seulement, pour pouvoir déterminer comment l’éducation et donc l’enseignement prend place au sein de la Bildung il nous faut tacher de replacer l’enseignement au sein de la formation culturelle de l’individu, pour pouvoir déterminer le rapport entre celui-ci et celui-là. Or, la question de l’éducation au sens de l’enseignement n’apparait pas, dans l’œuvre de Hegel, comme un moment spécifique de la formation de l’individu, contrairement à l’art ou la religion, qui sont des domaines étudiés dans la Phénoménologie de l’Esprit et

83 « Ce concept s’étend donc, en passant par les processus de maturation éthique et spirituelle, de

l’impulsion naturelle organique jusqu’aux formes spirituelles les plus hautes de la religion, de l’art et de la science où se manifeste l’esprit d’un individu d’un peuple ou l’humanité. » Jürgen-Eckardt Pleines, Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, vol XXIII, numéro 3-4, 1993, p657-668

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L’encyclopédie (1827-1830). Plus spécifiquement, on pourrait s’attendre à ce que la question de l’enseignement fasse l’objet d’un traitement dans Les principes de la philosophie du droit, dont l’objet est la question sociale et politique, dans le prolongement du traitement de la famille et de l’éducation des enfants, ce qui n’est pourtant pas le cas ; elle n’est abordée directement que dans les écrits pédagogiques ce qui somme toute, comme nous allons le voir, n’est pas un obstacle à la compréhension de l’aspect social et politique contenu dans la notion d’enseignement.

En effet, contrairement aux apparences et à ce qu’affirme Jürgen-Eckardt Pleines, l’aspect totalisant de la Bildung ne relativise ni ne rend superflu la mission de l’éducation (Erziehung), ici pris au sens de l’enseignement84 ; cet

aspect se comprend dans la formation (Bildung) de l’individu car, l’enseignement n’est pas quelque chose qui doit venir se juxtaposer à la formation culturelle, entendu ici comme l’intégration des mœurs et de la conduite morale (sittl)85.

L’école selon les mots de Hegel « se situe, en effet, entre la famille et le monde effectif, et comme le moyen terme, assurant la liaison, du passage de celle-là en celui-ci. »86 C’est pourquoi, « (…) l’école a aussi une relation immédiate avec la

culture visant à former le caractère éthique (…)87.

Par conséquent, la question de l’enseignement et de l’éducation, loin d’être rendue superflue par l’aspect totalisant de la Bildung, trouve sa place dans ce que Hegel appel la vie éthique, (Sittlichkeit), qui elle-même suit, dans les principes de la philosophie du droit la moralité. Cette dernière se traduit sur le plan de la réalité sociale par le passage de la famille à la société civile. La

84 Par contre la question qui se pose est celle de savoir pourquoi, si l’institution scolaire joue un rôle

essentiel dans la formation éthique des individus celle-ci ne fait-elle pas l’objet d’une analyse là où elle devrait se situer, c’est-à-dire dans les principes de la philosophie du droit, dans le passage de la famille à la société civile et à l’Etat ? Nous tenons cela à titre d’interrogation et non pas de problème qui pourrait être résolu, car nous n’estimons pas être en disposition d’assez d’éléments dans l’œuvre de Hegel pour pouvoir y répondre ; une réponse à une telle question serait-même, selon notre propre point de vue suspect, et tiendrait d’une surinterprétation des textes. Elle demeure toutefois comme une interrogation que l’on doit garder à l’esprit, car l’absence de l’institution scolaire dans les principes de la philosophie

du droit est un vide qui n’est pas dépourvu de sens.

85 « (…) et l’on reste à ce niveau quand Willy Moog va jusqu’à demander si le principe plus totalisant

de la Bildung qui a été élaboré presque entièrement par Hegel ne relativiserait pas ou même ne rendrait pas superflu la mission de l’éducation » : Perspectives : revue trimestrielle d’éducation comparée, vol. XXIII, n°3-4,1993, p 657-668

86 Discours du gymnase, 2 septembre 1811, G.W.F, Textes pédagogiques, trad., Bernard Bourgeois, Vrin

p108

87 Discours du gymnase, 14 Septembre 1810, G.W .F Hegel, Textes pédagogiques, trad. Bernard

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question de l’enseignement vient donc compléter et approfondir les analyses des principes de la philosophie du droit, inscrivant le rapport entre Bildung et Erziehung, entre formation culturelle et enseignement, dans le passage de la moralité à la vie éthique, par le dépassement du formalisme moral, qui a lieu lorsque le subjectif et l’objectif s’interpénètrent.

Or, c’est cette interpénétration du subjectif et de l’objectif qui définit la relation organique propre à la vie éthique des individus, car l’enseignement est le « résultat »88 ou » effet indirect » 89de l’éducation des mœurs (sittl), ce qui veut dire

que l’enseignement a un effet sur le caractère et donc sur la conduite pratique et morale des individus. La relation organique et éthique de l’interpénétration du subjectif et de l’objectif nous défend donc de juxtaposer l’institution scolaire aux autres institutions sociales et politiques que sont la famille, la société civile ou l’Etat ; elle nous défend également de relativiser la mission de l’éducation théorique et donc de l’enseignement au sein de la philosophie Hégélienne. En effet, l’enseignement joue un rôle déterminant car il est la « (…) sphère qui forme un degré essentiel dans le développement du caractère éthique total. »90

Ce qui fait de l’école la jonction de la relation entre l’objectif et le subjectif : les individus, en l’occurrence les jeunes individus, qui entrent dans l’institution scolaire sont les mêmes individus déterminés par l’éducation familiale privée, par le sentiment immédiat d’amour et d’obéissance vis-à-vis des parents, que les individus qui entrent dans le monde effectif et commun de la vie et des affaires publiques ; le parcours de l’individu, de la conscience naturelle jusqu’à la substance spirituelle puis à l’effectivité de la culture91.

Ainsi, l’institution scolaire dans le passage de la moralité à la vie éthique a donc affaire à des individus déterminés par l’éducation familiale et morale qu’ils ont reçue, c’est pourquoi l’institution scolaire n’est pas le lieu où l’on éduque les individus à la discipline de la culture des mœurs, car cela relève de la tâche des parents. En effet, des «(…) établissements scolaires, pour une part, sont des

88 Discours du gymnase, 14 Septembre 1810, G.W .F Hegel, Textes pédagogiques, trad. Bernard

Bourgeois, Vrin, p108

89 Ibid., 90 Ibid.,

91 Là-dessus voir les analyses dans les écrits pédagogiques, trad. Bernard Bourgeois,Vrin discours au

gymnase du 2 septembre 1811 ; les analyses des Principes de la philosophie du droit, sur le passage de la famille à la société civile, § 158-256, ainsi que les leçons sur le droit naturel et la science de l’état §69-89

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institutions d’enseignement, non pas immédiatement d’éducation ; pour une autre part, ils ne commencent pas par les premiers éléments de la culture, ni pour ce qui est de la connaissance, ni pour ce qui est des mœurs. »92 Néanmoins,

cela n’empêche pas l’éducation morale et de la discipline de venir s’ajouter à l’éducation reçue au sein de l’institution scolaire. C’est ce caractère déterminé des individus entrant dans la sphère public, par le biais de l’école, qui fonde l’école dans la totalité de la vie éthique comme moment déterminé et déterminant. En effet, la discipline requise par l’enseignement qui sort l’individu de l’amour dont il bénéficie dans la sphère familiale, se voit compléter par l’acquisition de connaissances, qui elles-mêmes influent sur le caractère de l’individu. C’est entre la moralité des mœurs de l’éducation familiale et la vie éthique du monde commun que s’entremêlent le subjectif et l’objectif, car ces deux sphères forment les individus dans leur vérité qui est totalité. C’est pourquoi le subjectif n’est pas indifférents à l’objectif et inversement, de même pour le particulier et l’universel. L’éducation morale privée et subjective des individus les prédisposent à l’entrée dans la communauté du monde objectif. C’est pourquoi la vie éthique comporte la moralité comme un moment essentiel, puisqu’elle est « l’interpénétration du subjectif et de l’objectif »93 ; la moralité subjective, comme pur devoir formel et

abstrait n’a de vérité, c’est-à-dire d’influence et d’effets, que dans le tout absolu qu’est la vie éthique.

Or, la forme de la vie éthique, comme relation du subjectif et de l’objectif est « précisément cette capacité qui est formée par l’enseignement scientifique94 ;

car celui-ci opère dans l’élévation du singulier au sein de points de vue universel, et, inversement, dans l’application de l’universel au singulier. »95 En effet,

à « l’école l’enfant apprend à déterminer son agir d’après un but et d’après des règles (…) », ce qui veut dire à vivre en communauté et donc à passer de sa subjectivité immédiate à l’objectivité médiate du monde : comme le dit Hegel ce qui « se réalise par l’école, la formation culturelle des individus, c’est la capacité

92 Ibid.,

93 G .W .F Hegel, Leçons sur le droit naturel et la science de l’Etat, trad. Jean-Philippe Deranty, Vrin,

§69, p121

94 Par enseignement scientifique Hegel n’entend pas des disciplines ésotériques, mais l’apprentissage

rigoureux de tous savoirs, c’est-à-dire qui sait mettre en relation l’universel abstrait et du singulier pour faire apparaitre des choses dans leurs effectivités et leurs réalités.

95 Discours du gymnase, 2 Septembre 1811, G.W .F Hegel, Textes pédagogiques, trad. Bernard

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qu’ils ont d’appartenir à la vie publique. La science, les aptitudes qui sont acquises, n’atteignent leur but essentiel que dans l’application extra-scolaire. »96

Ainsi, l’on voit l’importance de la question de l’enseignement et de la pédagogie par sa forme, qui correspond à la vie éthique, degré supérieur de l’agir des individus, puisque l’enseignement, tout comme la vie éthique est la relation réciproque de l’universel et du singulier ; l’enseignement s’ancre directement dans la question politique et sociale.

Au-delà de la relation éthique et organique de l’objectif et du subjectif, du particulier avec l’universel, le « résultat » ou » effet indirect » de l’enseignement sur l’éducation des mœurs (sittl)et inversement, de l’effet que l’enseignement a sur le caractère et donc sur la conduite pratique et morale des individus, apparait une autre relation fondamentale pour comprendre et replacer la pédagogie Hégélienne dans son rapport avec la formation et l’éducation, Bildung, à savoir la relation essentielle entre théorie et pratique.

Dans le document Penser la pédagogie avec Hegel (Page 47-51)

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