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L’enrichissement isotopique en deutérium dans le milieu interstellaire

5.1.1 Le deutérium et les échanges isotopiques

Le deutérium est l’isotope lourd de l’hydrogène. Comme l’hydrogène et l’hélium, il provient de la nucléosynthèse primordiale lors du Big-Bang. Aucune autre réaction de

nucléosynthèse ne peut en produire. Dans les étoiles il est brûlé pour donner de l’3He. Comme

il ne peut être produit, les processus d’enrichissement ne font intervenir que des échanges isotopiques. Ces processus réalisent un pompage du D pour le concentrer dans les molécules

10-5 alors que les molécules organiques interstellaires peuvent avoir des D/H de 10-2. Les processus d’enrichissement isotopique en D sont donc très efficaces dans le milieu interstellaire car ils engendrent un enrichissement de 3 à 4 ordres de grandeur.

A ce niveau il est important de remarquer que le D/H estimé de la nébuleuse protosolaire est plus élevé que le D/H actuel du milieu interstellaire (Robert et Newton, 1996). En effet le deutérium est détruit avec le temps dans les étoiles, le stock se réduit donc avec le temps. Mais il est important de noter que cette réduction n’est pas due aux processus qui séquestrent le D dans les molécules organiques. En effet le réservoir que constitue le gaz interstellaire est tellement grand qu’il ne varie pas avec les échanges isotopiques. Quand on considère les échanges de D entre le gaz et les molécules organiques, le gaz est supposé avoir une composition fixe au cours du temps.

Pour simplifier, les compositions isotopiques peuvent varier suite à plusieurs processus : soit à cause d’un effet de source (la composition isotopique est le résultat du mélange entre plusieurs sources), soit à cause d’échanges à l’équilibre et hors équilibre. On parle dans ces deux cas de fractionnements isotopiques. Un exemple de fractionnement hors équilibre est donné par le D/H dans la glace et la neige sur Terre ; il dépend des précipitations d’une eau avec une composition isotopique initiale qui s’appauvrit entre la zone d’évaporation (équateur) et les zones de précipitations.

Nous allons voir dans la suite que le rapport D/H dans l’espace est établi par un fractionnement isotopique à l’équilibre entre les gaz et les molécules.

5.1.2 Le fractionnement isotopique à l’équilibre dans les milieux extraterrestres

Dans l’espace, le réservoir principal de D est le gaz H2. Il faut à ce niveau distinguer

deux environnements : la nébuleuse protosolaire et le milieu interstellaire. La première est dense et opaque aux rayonnements notamment aux UV par rapport au second. Dans la

nébuleuse protosolaire, l’échange se fait entre deux gaz : le méthane et H2, le méthane se

polymérisant ensuite en molécules organiques plus grosses. La réaction peut s’écrire suivant la réaction 5-1 :

HD + CH4 ⎯→←⎯ CH3D + H2 (5-1)

2 4 ) ( ) ( H CH H D H D = ) Τ ( α

Le calcul montre que cette réaction produit des fractionnements importants pour des températures inférieures à 100 K (Geiss et Reeves, 1981 ; Robert et al., 2000). La figure 5-1 montre l’évolution du D/H du méthane en fonction de la température pour cette réaction. Sur la même figure est reporté l’enrichissement de l’eau suivant une réaction très proche de la réaction 5-1. Pour les températures supposées de la nébuleuse protosolaire, les facteurs d’enrichissement (égaux à α) sont trop faibles (de l’ordre de 4) pour rendre compte des facteurs détectés pour les molécules organiques des météorites ou du milieu interstellaire (de 10 à 2500).

Figure 5-1 : D/H en fonction de la température rapportés pour plusieurs objets extraterrestres et pour l’eau terrestre. Les lignes pleines représentent les compositions calculées pour un fractionnement à l’équilibre dans la nébuleuse protosolaire, les lignes pointillées représentent les compositions calculées pour un fractionnement à l’équilibre par réactions ion/molécules dans le milieu interstellaire. D’après (Geiss et Reeves, 1981), ORI A est une région du nuage d’Orion.

Dans le milieu interstellaire, les rayonnements sont suffisamment intenses pour ioniser les molécules (Geiss et Reeves, 1981 ; Robert et al., 2000 ; Sandford et al., 2001). Les réactions entre les ions et les molécules neutres sont très rapides, même aux très basses températures qui caractérisent ces milieux (50 à 150 K). Dans ce cas les réactions mises en jeux sont les suivantes :

HD + XH+ → XD+ + H2 (5-2)

XD+ + R ⎯→

←⎯ RD+ + X (5-3)

XH+ + R ⎯→

←⎯ RH+ + X (5-4)

Les espèces R, RD+ et RH+ représentant des espèces organiques, les espèces ionisées

sont par la suite stabilisées par des réactions électroniques qui n’induisent aucun fractionnement du D. La réaction qui contrôle les échanges est la réaction 5-2, ce qui donne pour α l’équation : ) exp( ) ( ) ( 2 kT E H D H D H R = −∆ = ) Τ ( α

Sur la figure 5-1 sont reportées les valeurs de D/H pour des molécules organiques par des réactions de type ion/molécule, calculées en utilisant cette équation. Il apparaît que pour des températures très basses, les D/H vont atteindre les valeurs mesurées dans les molécules organiques extraterrestres. Seules les réactions ion/molécule dans des environnements de type interstellaire (irradiés et à basse température) peuvent donner des coefficients de fractionnement compatibles avec les observations.

5.1.3 Autres processus possibles pour l’enrichissement en deutérium

Il existe d’autres processus qui peuvent conduire à l’enrichissement isotopique en deutérium par incorporation de ce dernier (Sandford et al., 2001 ; Sandford, 2002). Ces mécanismes sont la photolyse de glaces riches en D et molécules organiques par irradiation UV, la photodissociation dans la phase gazeuse et les réactions gaz-grain à basse température (voir Figures 5-2, 5-3, 5-4). Contrairement aux réactions ion/molécule, ces processus peuvent aboutir à une modification des molécules organiques initiales.

Les réactions d’irradiation de glaces s’accompagnent d’oxydations des molécules organiques (Bernstein et al., 1999a ; Bernstein et al., 2002a) et peuvent entraîner la formation

de molécules précurseurs de composés d’intérêt biologique (Bernstein et al., 2002b). Sous l’effet des basses températures, les molécules organiques simples ainsi que l’eau forment des manteaux glacés autour des grains de silicates. Ces manteaux glacés vont, sous l’effet des radiations UV, être le siège de réactions chimiques. Au cours de ces réactions, des liaisons C-H sont créées, avec un D/H élevé (car les molécules élémentaires sont elles-mêmes enrichies).

Figure 5-2 : exemple d’effets isotopiques prédits suite à l’irradiation UV de manteaux glacés (Sandford et al., 2001).

Les réactions de photodissociation en phase gazeuse aboutissent à un enrichissement en deutérium des HAPs les plus petits par perte sélective des H par rapport aux D lors de l’excitation des molécules irradiées par les UV (Figure 5-3)

Figure 5-3 : enrichissement des petites unités aromatiques par rapport aux grosses par photodissociation en phase gazeuse sous irradiation UV (Sandford et al., 2001).

Enfin dans les réactions gaz-grain, un gaz riche en D provoque un enrichissement en D des molécules organiques insaturées piégées dans les glaces par hydrogénation à basse température. Si le gaz est suffisamment riche en D, les molécules saturées formées seront enrichies en D. Ce processus représente une hydrogénation des HAPs (Figure 5-4).

Figure 5-4 : les réactions gaz-grain aboutissent à l’hydrogénation des HAPs gelés. Lors de cette hydrogénation une grande quantité de D peut être incorporée (Sandford et al., 2001).

Ces processus alternatifs sont des modèles proposés à partir de HAPs, qui sont les plus gros composés organiques libres détectés dans l’espace. Ces hypothèses sont donc trop réductrices pour pouvoir s’appliquer directement à la matière organique des météorites, mais apportent d’autres solutions pour expliquer les forts rapports D/H mesurés dans les molécules organiques extraterrestres.

5.2 L’enrichissement isotopique dans les molécules organiques des