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L’enjeu de la maîtrise des outils d’autonomie conviviaux est le partage de ce savoir pour

que nous redevenions tous acteurs de la

fabrication de notre habitat.

C’est cette idée, la démocratisation des outils, que prônaient les auteurs du Whole Earth Catalog dès 1968. Avec son sous-titre emblématique Access To Tools, ce cata- logue fut l’un des symboles de la contre-culture américaine

de l’époque qui voulait inventer de nouvelles manières de vivre et de faire plus autonomes, créatives et auto-suffisantes. Il partageait des connaissances liées à l’autonomie et vendait indirectement par correspondance - en mettant en relation les consommateurs et les producteurs - des produits allant dans ce sens, comme des outils, des livres ou des vêtements8.

Mise à feu du Dragon, Actlab, Atelier de l’association Bellastock,

Île St Denis, 08/05/2015 © Marc Boinet

Première coulée d’aluminium extrait de canette, Actlab, Atelier de

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La première édition de 1968 était divisée en sept sections:

Comprendre les systèmes d’ensemble, Abris et utilisation du terrain, Industrie et artisanat, Communications, Nomades et Apprentissage9. On peut ainsi dire que le Whole Earth Catalog était en lui-même un outil convivial car il accompagnait les projets de ceux qui voulaient activement prendre part à la fabrication de leur habitat et réduire leurs dépendances.

C’est dans le même mouvement que de nom- breuses expériences eurent lieu, aux États-Unis notamment, en se positionnant contre le monopole industriel, la société de consommation et la tendance se généralisant de standardi- sation des habitats et des modes de vie. Les expérimentations que Michael Reynolds commença à la même époque avec ses Earthships en sont un très bon exemple. Médiatisées à travers le film plusieurs fois primé de Oliver Hodge Garbage Warrior10 - visionnable illégalement sur youtube11-, il s’agit de maisons bioclimatiques expérimentales réalisées à partir de matériaux de récupération, tels que des pneus usagés, des bouteilles de verre et de plastique, de canettes en aluminium et de boites de conserves; et de matériaux naturels tels que la terre et le bois. Pour compléter ce processus d’autono- misation Michael Reynolds adjoint à ses architectures des systèmes générateurs d’énergie tels que des panneaux solaires ou des éoliennes, des systèmes de chauffage, d’assainissement et de traitement des eaux usées. Explorant les principes de l’architecture bioclimatique, ses Earthships utilisent l’énergie solaire passive en étant toujours orientées vers le sud (dans l’hémisphère Nord) avec une importante surface vitrée qui exploite l’effet de serre pour chauffer un mur Trombe12. Celui-ci agit alors comme une batterie thermique en resti- tuant la chaleur accumulée lors de son déphasage. Michael Reynolds utilise aussi l’espace entre la surface vitrée et le mur capteur comme d’une serre pour cultiver de manière auto- nome des fruits et des légumes, faisant tendre alors l’habitat vers l’autosuffisance alimentaire. Ici c’est donc l’architecture qui devient outil convivial, dans le sens qu’elle contribue lar- gement à l’autonomie des personnes qu’elle abrite tout en les faisant participer à son fonctionnement. Cela ne peut se passer sans que les futurs habitants eux-même n’apprennent à manier cet outil en œuvrant activement à sa réalisation,

1. Albert Camus, Prométhée aux enfers, l’Eté, Paris, Gallimard, Folio 4388, 1959 (2010), p.60

2. ibid

3. Vidéo du collectif Studio Swine consultable sur le site internet http://www.studioswine.com/film/

4. ibid

5. Vidéos open source de Barnabé Chaillot consultables sur youtube https://www.youtube.com/channel/UCg7HRuQ93hl9v8dTSt_ XDHA

6. Pascal Burnet, Rocket Stoves - Feux de bois et poêles de masse, 2012, St Germain de Marencennes, Pascal Burnet

7. Effet Peltier, consulté sur Wikipédia, source:

Maurice Gerl, Jean-Paul Issi, Physique des matériaux, presses poly- techniques, 1997

8. Whole Earth Catalog, Access to tools, Automne 1968 9. ibid

10. Oliver Hodge, Garbage Warrior, Open Eye Media UK, ITVS International & Sundance Channel, 2007

11. Vidéo consultable sur youtube

https://www.youtube.com/watch?v=Jnkv_qj1xUc

12. Système révélé par le professeur Félix Trombe et l’architecte Jacques Michel dans les années 50

et c’est pour cela que les chantiers conduits par Michael Reynolds sont réalisés sur un mode participatif.

Ainsi et plus généralement c’est tout l’habitat, en tant qu’ensemble des espaces qui offre les conditions néces- saires au développement d’une personne, qui devient convi- vial.

Ces projets d’outils conviviaux intégrés à l’habi- tat nécessitent, comme le soulignent les chapitres du Whole

Earth Catalog de 1968, la compréhension des systèmes d’en-

semble, les moyens d’utilisation du terrain, l’apprentissage des techniques industrielles et artisanales, et la communica- tion qui est la clé de la démocratisation du savoir. Ensemble regroupées ces informations sont le feu et la liberté que les nouveaux Prométhée volent aux Dieux pour aider les hommes à s’émanciper.

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Dans ce mémoire je n’ai pas vraiment parlé d’architecture dans le sens qu’on lui donne ordinairement, celui «d’art de concevoir, de combiner et de disposer, par les

techniques appropriées, des éléments […] destinés à constituer les volumes protecteurs qui mettent l’homme […] à l’abri de toutes les nuisances naturelles et artificielles.»1 Mais, à y regar- der de plus près, on pourrait dire aussi que je n’ai parlé que d’architecture car elle fait partie de ces choses qui reportent, débordent et dépassent tout tentative d’enfermement, de définition. Ainsi peut être que «la recherche du sens de l’archi-

tecture, c’est-à-dire la poursuite infinie de sa définition, n’est pas différente du souci de « la chose même », c’est-à-dire du sort de notre monde, au sens le plus concret et le plus vif de cette expression.»2 Je pense que nous questionnons perpétuelle- ment le sens de l’architecture car nous questionnons comme Heidegger la manière dont nous «habitons le monde»3. Notre rapport à lui, à nous même et aux autres se reflète dans les espaces que nous créons, les objets que nous érigeons, dans la manière dont nous les bâtissons et dans les usages que nous en faisons. Ainsi en questionnant nos rapports aux ressources, notre responsabilité politique, nos dépendances, notre autonomie ou plus largement le rôle des outils dans notre société, j’ai voulu questionner certaines conditions qui fondent notre rapport au monde et donc la manière dont nous faisons architecture.

Ainsi les ressources naturelles donnent à l’archi- tecture sa matérialité, son épaisseur, des qualités tant spa- tiales que protectrices. Depuis plus de 50 000 ans l’homme a besoin de ces ressources pour construire, et ses besoins n’ont jamais été aussi grands qu’aujourd’hui. Comme l’a souligné Jared Diamond, l’épuisement des ressources naturelles et la manière dont nous faisons face à cette situation questionne

Pour un habitat convivial, du droit à se déterminer