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L’engagement des gouvernements face à la culture, au Canada

Dans le document Etudes Canadiennes N°61, décembre 2006 (Page 73-76)

Depuis de nombreuses années, le gouvernement canadien et le gouvernement québécois assument une responsabilité incontournable. Sans cet appui, la culture québécoise, par exemple, n’aurait pas la vitalité que nous lui connaissons. Cet appui a pris la forme d’institutions et de politiques culturelles, telles, à l’instar de nombreux pays, la création en 1960, du ministère des Affaires culturelles du Québec. À ce jour, les États-Unis sont le seul pays développé à ne pas avoir de ministère de la Culture. Mais le lobbying des grandes firmes américaines exerce un poids politique considérable dans le domaine culturel, notamment dans l’industrie cinématographique qui, à l’OMC, fait partie du dossier de l’audiovisuel.

Au sein du ministère des Affaires culturelles, en 1992, l’action du gouvernement du Québec s’est traduite par une Politique culturelle affirmant quelques grands principes :

- la dimension culturelle constitue un des trois piliers de la vie en société, au même titre que le social et l’économique ;

- tout comme l’éducation, la culture est un droit pour tous les citoyens du Québec.

Sur la base de cette politique culturelle du Québec, l’appui financier du gouvernement du Québec se concrétise aujourd’hui dans des institutions à vocation culturelle. C’est le cas, entre autres, du Conseil des arts et des lettres du Québec, de la Société de développement des entreprises culturelles et de la Place des Arts, pour lesquels le financement annuel s’élève à environ 450 millions de dollars par année.

Les Québécois bénéficient également des services d’une quinzaine d’organismes et sociétés d’État qui relèvent du gouvernement fédéral, par exemple, la société Radio Canada, le Conseil des Arts, l’ONF et Téléfilm Canada qui, avec le concours de Patrimoine canadien, ont des lois spéciales soutenant la culture. Les budgets de ces organismes représentent approximativement trois milliards de dollars par année.

L’appui de nos gouvernements à la culture s’exprime aussi par un large éventail de politiques, de programmes et de mesures qui s’inscrivent en accompagnement des initiatives et des actions des créateurs et des milieux culturels. Pensons, entre autres, aux programmes d’aide à l’industrie du livre et du cinéma ; ou encore aux mesures telles que les quotas de contenu canadien ou francophone autorisés en vertu de la Loi canadienne sur la radiodiffusion. Il est certain que si nos gouvernements ne disposaient plus de la latitude essentielle pour adopter des politiques et des mesures de soutien à la culture, la vitalité culturelle serait menacée. Ce risque est particulièrement aigu à l’ère de la mondialisation et de l’explosion des possibilités technologiques. Le défi qui nous est posé est de profiter des bienfaits de ces changements tout en évitant l’appauvrissement des cultures.

Imaginons le tollé s’il fallait éliminer Télé Québec ou la Société Radio Canada, sous prétexte qu’elles sont en concurrence déloyale avec les chaînes de télévision américaines, étant donné que ces sociétés reçoivent des subventions de l’État ! C’est dans cette perspective que le Québec s’est mobilisé depuis plusieurs années pour défendre le principe et les moyens d’assurer la diversité des expressions culturelles.

Cet engagement n’est pas incompatible avec l’ouverture des Canadiens à la libéralisation du commerce. En effet, le Québec a été, notamment, à l’avant-garde de la libéralisation des échanges en Amérique du Nord. Le Canada et le Québec sont résolument en faveur du libre-échange, pour une plus grande ouverture des marchés et pour des effets bénéfiques sur leur économie et sur leur mieux-être collectif. Dans le cas précis du Québec, par exemple, l’économie est largement tributaire des marchés extérieurs : 60% de la production de biens et de services du PIB, est destiné à l’exportation et 86 % des exportations se font vers les États-Unis. La motivation à l’égard de la protection de la diversité des expressions culturelles se concilie avec la volonté d’ouverture au commerce international.

La position du Québec, quant à la nécessité d’assurer un traitement particulier à la culture et à l’importance de protéger ce qu’on appelle la diversité des expressions culturelles, trouve son origine dans les années 1980.

Le gouvernement de Robert Bourassa avait insisté pour que les industries culturelles soient exclues de la portée de l’Accord de libre échange (ALÉ) entre le Canada et les États-Unis. La préoccupation du temps, dite de « l’exception culturelle », a été exprimée plus tard, notamment lors de la négociation de l’ALÉNA, entré en vigueur en 1994, où le Mexique s’est joint au Canada et aux États-Unis dans cet accord. Ensuite on a assisté à l’adhésion du Canada à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), composée des 34 pays membres de l’OÉA.

La question fondamentale demeure : le Canada et les autres pays de la ZLÉA pourront-ils conserver leurs politiques culturelles dans le nouvel accord de la ZLÉA ? Au Sommet de Québec, en 2001, les chefs d’États et de gouvernements des Amériques avaient salué cet accord, mais avaient voulu soustraire les biens culturels de la ZLÉA, à l’insistance de la société civile.

Toutes ces institutions culturelles risqueraient d’être annulées si elles étaient soumises aux règles des accords de commerce international de l’OMC.

La protection culturelle s’est toutefois avérée difficile à soutenir à long terme dans le cadre de litiges mettant en jeu des dossiers culturels. Par exemple, l’affaire Sports Illustrated a servi d’électrochoc. Les magazines américains, vendus au Canada, doivent avoir un certain contenu canadien. Au milieu des années 1990, cette publication américaine a contourné les règles en matière de publicité et sollicité des annonceurs canadiens. Le Canada a répliqué en établissant des mesures de protection. Le gouvernement américain les a contestées en 1996, et l’OMC lui a donné raison. À la suite de plusieurs défaites à l’OMC, le Canada a compris qu’il fallait une convention traitant la culture autrement que du seul point de vue commercial.

Autre exemple pour illustrer la stratégie américaine, la plainte d’UPS (United Postal Service) une entreprise de messagerie américaine, contre Postes Canada. UPS se plaint de la concurrence déloyale ou monopolistique de la Société des Postes du Canada avec ses 60 000 boîtes aux lettres.

Au Canada, les industries culturelles locales, en français et en anglais, sont exposées à une forte concurrence étrangère de la part des États-Unis.

Seulement 5% des films présentés au pays sont canadiens. Ce chiffre baisse à 3% si on exclut le Québec. Par contre, la performance du Québec est jugée excellente puisque 13% des films présentés en 2004 étaient des productions canadiennes. Dans le domaine de l’édition, les Québécois contrôlent environ 45% de leur marché ; dans celui du disque, autour de 25%. Pour remédier à cette situation, en juin 1999, le gouvernement de Lucien Bouchard, au Québec, a été le premier gouvernement à se déclarer officiellement en faveur d’un

instrument international qui reconnaisse le droit des États et des gouvernements à soutenir la culture. Ce premier engagement a conduit à l’adoption, par le Conseil des ministres du gouvernement de Jean Charest, le 3 septembre 2003, de la position gouvernementale sur la diversité culturelle.

Mais qu’arrive-t-il si la Convention sur la diversité des expressions culturelles est en contradiction avec les ententes de l’OMC ? Les Américains veulent que ce soit cet accord qui prime. Cela se comprend, ils ont 85% du marché du film canadien. Ils en voudraient 90 ou 95%. Ils ont 87% du marché du film australien. Ils en voudraient plus !

La culture est un enjeu géopolitique et économique majeur pour les États-Unis. Depuis cinq ans, le divertissement figure au premier rang des exportations des États-Unis – plus de 80 milliards de dollars américains – devançant même l’industrie aéronautique et de l’armement au chapitre des contributions à la balance commerciale. Au Québec, la culture représente 4%

du PIB; elle se place bien avant l’agriculture, comme source d’enrichissement collectif.

L’engagement du Québec en faveur de la culture l’a conduit à prendre une part active dans la recherche d’une solution à long terme, pour préserver la capacité des États et gouvernements à mettre en œuvre des politiques culturelles, et ce, malgré la forte pression qu’exerce la mondialisation en faveur de la libéralisation des biens et services. Cette solution à long terme s’est donc traduite par un changement de discours politique : on est passé du discours défensif de « l’exception culturelle » (du temps de Robert Bourassa), à un discours positif : le droit à la diversité culturelle, « un droit fondamental de l’humanité ». Ensuite, on a parlé « d’instrument international » (du temps du premier ministre Lucien Bouchard) puis, de « Convention » depuis novembre 2005 à l’Unesco.

Dans le document Etudes Canadiennes N°61, décembre 2006 (Page 73-76)