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L’endogamie : une spécificité sectorielle

Chapitre 2 L'endogamie des grands patrons dans la sélection des dirigeants

6. Analyses descriptives et développement des hypothèses

6.4.2. L’endogamie : une spécificité sectorielle

Nous définissons trois types d’endogamie (Annexe 3 pour le détail) : l’endogamie large (Endo_large) où le dirigeant entrant a le même profil que le dirigeant sortant et qui concerne 42 % de nos turnovers (Tableau 25), l’endogamie stricte (Endo_strite) où le dirigeant entrant a le même diplôme que le dirigeant sortant, 24 % des turnovers (Tableau 26) et l’endogamie des élites (Endo_élite) où les deux dirigeants qui se succèdent ont un diplôme d’élite, ce qui est le cas de 27,3 % des turnovers (Tableau 27).

Le Tableau 22 présente la fréquence de l’endogamie large en fonction du type de similarité. Dans 24 % des cas, le dirigeant sortant et son successeur ont un profil scientifique. Ces cas de figure concernent les secteurs qui requièrent des

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connaissances spécifiques et qui recrutent essentiellement des profils d’ingénieurs (Tableau 25). Ces secteurs sont par exemple les secteurs de la construction métallurgie où 100 % des dirigeants recensés sont des ingénieurs (8), celui de l’équipement avec 14 dirigeants ingénieurs ou encore le secteur des véhicules et équipement qui compte 17 ingénieurs sur 26, dont 11 polytechniciens. Le

deuxième type de similarité retenue concerne le profil

Commerce/Gestion/Administration et représente 16 % de nos turnovers. Nous notons la forte présence de ces profils dans le secteur de la finance et celui des loisirs (Tableau 24) avec une grosse proportion d’énarques en finance (un tiers des dirigeants du secteur) et de diplômés d’école de commerce pour le secteur des loisirs. Ces remarques donnent une idée plus précise de l’endogamie stricte qui concerne les X dans 15 cas, les ingénieurs dans 9 cas, l’université dans 5 cas, l’ENA dans 4 cas (Tableau 23). Le Tableau 26 confirme la forte endogamie stricte dans les secteurs cités précédemment. Nous avons formulé l’hypothèse suivante :

Hypothèse 8 : L’endogamie dans la sélection des dirigeants est concentrée selon le

type de secteur d’activité.

Endogamie et performance

6.5.

Les caractéristiques démographiques des dirigeants (expérience, âge, diplôme(s), etc.) ont un impact sur leur style managérial et leurs attitudes faces à des questions stratégiques (Bertrand and Schoar, 2003). De plus, les individus qui sont démographiquement similaires ont développé des attitudes comparables et partagent un langage identique du fait de leurs expériences communes et de leur aptitude à faire les mêmes choix (Allen et Cohen, 1969 ; Rhodes, 1983).

Il n’existe pas un parcours dédié pour devenir dirigeant d’entreprise. Si nous regardons le parcours des patrons du CAC 40, nous constatons plusieurs profils possibles, des autodidactes aux polytechniciens ou énarques, en passant par les

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docteurs ou les diplômés d’universités américaines, il n’y a donc pas de raison de constater une continuité de dirigeants issus des mêmes écoles à la direction d’une entreprise si leur recrutement a été fait sur la base d’une sélection prenant en compte l’ensemble des candidats possibles. Etant donné l’implication du dirigeant remplacé dans la sélection du son successeur, nous posons l’hypothèse que si le nouveau dirigeant présente les mêmes caractéristiques que lui et plus précisément en termes de diplôme, alors les chances que le recrutement ait été biaisé par les motivations personnelles du dirigeant sortant sont plus importantes. En effet, la similarité entre deux personnes leur fournit un renfort mutuel et une validation consensuelle, ce qui accroit les interactions personnelles mais produit des biais dans les décisions (Byrne et al., 1966). Les motivations du dirigeant sortant servent souvent dans ce cas à servir la cause de son réseau social. Morgan (1989) définit les réseaux sociaux comme des « organisations non officielles » à l’intérieur desquelles les individus entrent en interaction afin de satisfaire des besoins d’ordre social. L’entreprise devient alors un lieu de prédilection pour le développement des réseaux (Carminatti-Marchand et Paquerot, 2003). Les réseaux sociaux usent des capacités financières des entreprises pour investir dans des actifs qui leurs permettront d’accroître leur influence (Morin, 1997). Ils participent à la paralysie du système de contrôle via les nominations croisées ainsi qu’à l’enracinement des dirigeants à travers la protection des dirigeants en place. Selon les résultats de Paquerot (2000), la performance des entreprises est significativement inférieure lorsque la direction est confiée à un polytechnicien ou un énarque, ce qui alimente l’idée que l’entreprise risque de voir sa performance diminuer si le recrutement du nouveau dirigeant a été influencé par le copinage au détriment de l’intérêt général.

D’un autre côté, la communication facilitée par les caractéristiques communes entre le dirigeant entrant et le dirigeant sortant peut améliorer la transition et

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mieux préparer le nouveau dirigeant dans la gestion des différentes tâches. De plus, les recrutements réalisés sous l’influence de réseaux sociaux font intervenir des dirigeants qui ont de nombreuses connexions politiques, plus spécialement les « corpsards » et les hauts fonctionnaires, qui ont ainsi plus de facilités dans leurs négociations avec les différentes parties prenantes. En prenant en considération ces différents éléments, nous pouvons nous attendre à une influence positive de l’endogamie des dirigeants sur la performance de l’entreprise. Ce qui nous conduit à formuler les hypothèses suivantes :

Hypothèse 9 : L’endogamie dans la sélection des dirigeants influence la

performance de l’entreprise.

Hypothèse 9’ : L’endogamie dans la sélection des dirigeants détériore la

performance de l’entreprise.

Hypothèse 9’’ : L’endogamie dans la sélection des dirigeants améliore la performance de l’entreprise.

7.

Modèles

Les déterminants de l’endogamie

7.1.

Afin de tester l’ensemble de nos hypothèses, nous avons établi quatre modèles probit par type d’endogamie21. Pour des raisons de corrélation importante entre le type de succession et la raison du départ, nous avons traité l’impact de ses variables distinctement. Ainsi, nous testons si le mode de succession et le motif du départ ont une influence comparable sur l’endogamie. Nous mesurons l’influence

21 L’ensemble des modèles testés est synthétisé dans l’Annexe 4, la définition des variables est développée dans l’Annexe 5.

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du diplôme du dirigeant sortant lorsque celui est diplômé de l’Ecole Polytechnique, l’ENA ou HEC sur la probabilité d’observer une endogamie stricte22.

 Endo_stricte = f (X, ENA, HEC, Type succession)

Endo_stricte = f (X, ENA, HEC, Motif départ)

 Endo_large = f (Type succession)

Endo_large = f (Motif départ)

 Endo_élite = f (Type succession)

Endo_élite = f (Motif départ)

L’effet de l’endogamie sur la performance

7.2.

La performance comptable reflète la performance opérationnelle de l’entreprise tandis que la performance boursière traduit davantage la perception des investisseurs quant aux futurs profits potentiels (Daily et al., 2000). Shen et Cannella (2002) avancent plusieurs raisons pour lesquelles il est plus pertinent d’utiliser un indicateur comptable pour étudier les conséquences d’un changement de dirigeant sur la performance de la firme. Premièrement, la performance opérationnelle est davantage sous le contrôle de la direction (Hambrick & Finkelstein, 1995). Deuxièmement, les objectifs de performance à atteindre sont généralement d’ordre comptable (Joskow, Rose et Shepard, 1993). Enfin, la performance financière est plutôt utilisée pour les études d’évènement qui visent à étudier l’effet de l’annonce et pas les effets imputables à l’arrivée du nouveau dirigeant et qui ne sont observables que deux ou trois ans après son arrivée (Finkelstein et Hambrick, 1996). Nous choisissons le ROA (Return On Assets) qui est une mesure largement utilisée dans les études portant sur les conséquences du changement de dirigeant sur la performance de l’entreprise (Zajac, 1990). Afin d’obtenir une mesure qui ne soit pas altérée par des

22 Par définition ces variables ne se prêtent pas aux modèles relatifs à l’endogamie large et à l’endogamie des élites.

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fluctuations spécifiques à une année donnée, nous calculons le ROA moyen sur les trois années qui suivent le changement de dirigeant (Daily et al., 2000; Kesner et Dalton, 1994) auquel nous retranchons la moyenne des ROA enregistrés les trois années avant la succession, ce qui nous donne la variation de performance post- succession23.

Diff_perf = Moyenne (ROAt+1, t+3) - Moyenne (ROAt-1, t-3)

Nous testons chacune des variables d’endogamie en incluant les variables de contrôles susceptibles d’expliquer la variation de performance observée à l’issue du changement de dirigeant. Nous contrôlons les effets dus à la raison du turnover ainsi que les effets fixes du secteur d’activités.

Diff_perf = f (Endo_stricte ; Motif départ ; Secteur d’activité) (1) Diff_perf = f (Endo_large ; Motif départ ; Secteur d’activité) (2) Diff_perf = f (Endo_élite ; Motif départ ; Secteur d’activité) (3)

8.

Résultats

Les déterminants de l’endogamie

8.1.

Le Tableau 8 reprend l’ensemble des hypothèses posées ainsi que les résultats obtenus pour chacune des variables d’endogamie. En considérant l’endogamie stricte, nous validons les hypothèses H1, H2, H3, H4, H5’, H6 et H7. Il en ressort donc que le recrutement en interne ainsi que le fait que le départ du dirigeant s’inscrive dans un processus naturel ou d’une succession familiale augmentent la probabilité de recruter un dirigeant qui a le même diplôme que le dirigeant remplacé. A l’inverse, les recrutements à l’externe ainsi que les départs forcés ou

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liés à un changement de système de gouvernance diminuent significativement les chances que le nouveau dirigeant soit diplômé du même type d’institution que le dirigeant sortant. Nous constatons également le fort pouvoir dynastique des polytechniciens. Ils sont issus de la seule grande école qui perpétue significativement (au seuil de 1 %) l’endogamie dans la sélection des nouveaux dirigeants. D’après les résultats concernant l’endogamie large et l’endogamie des élites, nous ne constatons pas de lien entre le type de succession ou le motif de départ. L’endogamie large semble être une affaire sectorielle, ceci s’explique par les compétences requises en fonction de la spécificité des secteurs d’activité.

Tableau 8 : Synthèse des hypothèses et des résultats

Endogamie large Endogamie stricte Endogamie des élites

Effet attendu Effet observé Effet attendu Effet observé Effet attendu Effet observé H7 Polytechnique Type de succession H1 Recrutement interne + NS + + + NS H5 Succession familiale + / - NS + / - + + / - NS H3 Recrutement à l'externe - NS - - - NS Raisons du changement H2 Départ naturel + NS + + + NS H6 Modification du système de gouvernance - NS - - - NS H4 Départ provoqué - NS - - - NS

H8 Influence sectorielle Significatif Significatif Significatif NS Significatif NS

Endogamie et performance

8.2.

Nous observons qu’en moyenne, la différence de ROA entre l’ancien dirigeant et le nouveau dirigeant est positive (0,194). Les turnovers ont en moyenne été bénéfiques pour la performance de l’entreprise. Lorsque nous comparons les différences de moyenne par type d’endogamie (Tableau 35), nous constatons que

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la différence de performance est plus importante lorsque le nouveau dirigeant a le même profil que son prédécesseur (la différence est significative au seuil de 10 %) ou lorsque l’entreprise conserve un dirigeant issu d’une grande école. Concernant l’endogamie large, nous constatons même une performance dégradée lorsque le dirigeant sélectionné a un profil différent du dirigeant remplacé. Cela tient au fait que, compte tenu des spécificités sectorielles, il est plus délicat de changer de profil dans la mesure où des connaissances spécifiques ne sont peut-être pas acquises. Nous notons enfin que dans le cas d’une endogamie stricte, la différence est positive mais reste moindre par rapport aux cas où l’endogamie stricte n’est pas observée. La différence n’est pas significative mais témoigne des limites du recrutement orienté vers une catégorie de dirigeants et qui ne prend pas en compte l’ensemble des candidats possibles. Le Tableau 36 montre les résultats qui concernent la régression linéaire entre la performance de l’entreprise et les types d’endogamie. Nous ne validons que l’hypothèse 9’ pour l’endogamie large qui concerne les recrutements de dirigeants de même profil. L’absence de significativité24 concernant les autres types d’endogamie traduit la situation assez mitigée des effets des réseaux sur la performance de la firme.

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