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CHAPITRE 3. L’APPROPRIATION DE BATIMENTS PERFORMANTS EN ENERGIE PAR LES

3.   LA VIE AU TRAVAIL DANS UN BATIMENT PERFORMANT EN ENERGIE 97

3.5  L’ EMPLOYEUR PRIS ENTRE LA LOGIQUE DU CONFORT ET CELLE DE L ’ EFFICACITE ENERGETIQUE 115 

La question de la légitimité de l’employeur dans les prescriptions d’efficacité énergétique montre que les salariés attendent de l’employeur qu’il ait à la fois des droits et des devoirs, entre limite des consommations d’énergie et limite de baisse de confort. Les conditions de travail, au sens large, sont le principe que doit suivre l’employeur dans ses décisions, du point de vue des salariés.

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Chez Consulting, la première réaction des occupants présents a été de soumettre cette question au maintien du « confort ». L’argument, plutôt partagé, se déroule en trois temps.

Tout d’abord, l’employeur est légitime à proposer, voire imposer, dans une certaine limite, des niveaux de consommation énergétique, pour des raisons financières et d’autres raisons. De plus, l’employeur est le décideur, il est donc normal qu’il donne des règles de conduite sur ces sujets : « c’est lui qui décide, point barre ». Cependant, « ça n’empêche pas le dialogue ». Les salariés doivent se soumettre à la règle : « par exemple, on dit que la température de confort

est à 19°C, après t’es content, t’es pas content. C’est lui qui décide. Je pense qu’à un moment, il faut… parce que sinon, on ne s’en sort jamais. » (Consulting)

Cependant, cette perception d’un pouvoir décisionnaire discrétionnaire de l’employeur est contrebalancée par une règle « supérieure », qui « cadre » son action dans des proportions raisonnables : « il faut quand même qu’il y ait un cadre, qu’il ne puisse pas mettre à 16°C. Je

pense que de toute façon, par rapport au Code du Travail, il doit y avoir des choses. »

(Consulting) Mais ce cadre devrait agir en limite inférieure autant qu’en limite supérieure : « Un

employeur qui peut se permettre de dépenser, au moins qu’il se fixe une limite aussi énergétique. Qu’on n’autorise pas toutes les consommations. Qu’on se fixe un cadre inférieur et une limite supérieure. » (Consulting)

Enfin, ces règles sont soumises à un principe encore supérieur, le confort : « le confort est

quand même nécessaire au bien-être dans l’entreprise. Si on supprime tous les éléments de confort pour des raisons énergétiques, des raisons économiques, ou peu importe, je pense qu’on n’aura pas du tout la même efficacité au travail, ni l’intention de rester, ni l’intention d’être motivé pour faire notre boulot. » (Consulting)

Ce confort se situe à la fois dans les locaux, dans les activités, dans les dispositifs, et concerne à la fois le travail et les « à-côtés » : « Tout ce qu’on a à côté, ça fait partie de notre boite, et

ça fait partie du fait qu’on se sent bien ici. A mon avis, c’est 50% de gagnés sur une efficacité de journée. » (Consulting)

Au Labo, l’employeur est considéré également légitime à émettre des prescriptions/préconisations énergétiques, environnementales, « si c’est justifié » et « si c’est

efficace ». En effet, les occupants étant assez critiques face aux systèmes, qu’ils ne trouvent

pas aussi performants qu’ils le pensaient, sont sceptiques sur les décisions prises pour le bâtiment dans lequel ils travaillent.

« Si c’est justifié, ça peut être contraignant. Si vraiment c’est efficace, moi, ça ne me gêne pas. Maintenant, des fois, on doute de l’efficacité, c’est ça le souci. » (Labo)

Les salariés auraient apprécié que les automatismes soient réellement transparents. Ce n’est pas l’automatisme qui leur pose problème, mais le fait qu’il se montre, par ses dysfonctionnements.

« Cette contrainte [de ne pas pouvoir ouvrir les fenêtres, par exemple], elle aurait été acceptée, pour moi, si, entre le projet avec la pompe à chaleur et les automatismes, et la réalisation réelle du bâtiment, tout marchait bien. Mais il y a un écart entre ce qui a été vendu et comment c’est construit. » (Labo)

« Hier, tous les lampadaires extérieurs du site sont restés allumés en plein jour. Avant d’afficher une contrainte, ou d’essayer d’éduquer les salariés sur un comportement par rapport à l’énergie, il y a tout un travail à faire sur nos sites. Si je suis employeur, je ne peux pas demander à mon salarié d’avoir un comportement peu consommateur en énergie si moi-même, j’affiche le contraire. Ce n’est pas possible. » (Labo)

Dans les deux entreprises, des salariés mentionnent un comportement trop extrême de la part de l’employeur, donnant l’image de « l’ayatollah du respect de l’environnement ou de la

consommation d’énergie comme on peut en avoir déjà, sur la sécurité » (Labo) ; « je pense qu’on a autre chose à faire de notre vie, même si c’est important pour la planète. Je pense qu’on a autre chose à faire. Et effectivement, je pense qu’il faut se dégager du côté ayatollah, il faut du libre arbitre » (Consulting)

Dans le même ordre d’idée, un salarié repousse « l’infantilisation ». ***

On voit apparaître dans les discours des salariés un ensemble de critères auxquels le nouveau lieu de travail doit répondre :

- des conditions de travail préservées, voire améliorées

- une égalité dans l’attribution des bureaux (nombre de m², orientation) - des formes ou des moments d’intimité

- une exemplarité de l’entreprise et une cohérence de ses pratiques - de la convivialité

- de la praticité et du confort.

Comme chez les ménages, l’énergie et sa gestion sont considérées comme des moyens et non comme des fins en soi. Les deux entreprises ont développé un projet de bâtiment performant, reposant sur une certaine conception de l’utilisateur, univoque et statique. De plus, leurs conceptions de l’environnement, de l’efficacité énergétique et du confort sont également embarquées dans le bâtiment performant.

Les entreprises divergent sur les moyens mis en œuvre pour faire aboutir le bâtiment performant et sur leur conception de l’action des usagers. Mais dans les deux cas, les occupants traduisent également le binôme environnement/confort, en fonction des cadres structurant leurs actions et de leurs propres cadres. Cela produit de la diversité, là où l’entreprise pensait moyenne, de la dynamique (apprentissages, influences, etc.), là où l’entreprise concevait du statique, et de la conflictualité, là où l’entreprise pensait que l’énergie soit resterait un impensé, soit deviendrait un engagement diffus.

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