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L’Ecole se transforme

Monsieur Cordas nous informe que dès les années 80, la réflexion sur la sélection est déjà bien présente et que certains professeurs en sciences de l’éducation à l’Université de Neuchâtel y consacrent énormément de temps. À l’époque, l’objectif est de proposer un tronc commun d’orientation sur deux ans (5e

et 6e primaire) pour permettre une sélection de meilleure qualité, mais la réticence d’une partie du corps enseignant, montée au créneau pour proclamer son refus quant aux projets émis, n’a pas permis de progresser dans ce sens. Une seule année d’orientation sera retenue avec la nouvelle loi.

En 1995, le règlement sur la reconnaissance des certificats de maturité gymnasiale (RRM) va imposer des changements dans l’organisation du secondaire 1 comme l’indique son article 6.

Durant les quatre dernières années au moins, l’enseignement doit être spécialement conçu et organisé en fonction de la préparation à la maturité. Un cursus de trois ans est possible lorsque le degré secondaire I comporte un enseignement de caractère prégymnasial. 119

Pour cette raison, la dernière année secondaire de la section prégymnasiale est adaptée en 1998 avec l’introduction de disciplines à visées académiques. De cette manière, la maturité neuchâteloise est toujours reconnue par la Confédération. Dans la continuité de ces modifications, un élément sous-jacent ressurgit: la volonté de réformer les sections qui sont, aux dires de certains enseignants, beaucoup trop rigides.

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Dès 1998, le Service de l’enseignement obligatoire (SEO) est chargé de travailler sur l’élaboration d’un projet qui sera mis en consultation cinq ans plus tard, en 2003. Cette réforme, emmené par le Conseiller d’État Thierry Béguin est censée entrer en vigueur en 2005. Elle doit modifier trois éléments: la structure (fusion MO et PP), l’évaluation et le plan d’études. Une fois encore, le corps enseignant se montre très réticent face à ces changements. Hormis le « PENSE », Plan d’Etudes Neuchâtelois du Secondaire, la réforme ne voit finalement pas le jour dans le canton de Neuchâtel… mais dans le canton de Vaud. Selon Tiago Cordas, nos voisins s’inspireront fortement du travail réalisé par Neuchâtel pour mettre en place la réforme vaudoise en 2010. Sur le site Internet du quotidien « 24 heures », nous trouvons un article y relatif:

« C’est un pas significatif. Nous dépassons le système des trois filières qui paraissait sculpté dans le marbre », a relevé la cheffe du Département de la formation [Anne-Catherine Lyon]. Mais face aux critiques soulevées en consultation, la ministre a renoncé à son projet de filière unique, avec des niveaux différents pour certaines branches.120

Trois ans plus tard, c’est au tour de Neuchâtel de finaliser sa réforme. Ce qui a été balayé dans le canton de Vaud est mis en place dans notre canton: la filière unique et les classes à niveaux. Dans la brochure destinée à informer les enseignants, Mme Monika Maire-Hefti, Conseillère d’Etat et cheffe du Département de l’éducation et de la famille (DEF), s’exprime en ces mots:

Le monde économique et social s’est profondément modifié, particulièrement ces dernières années. Le niveau d’exigence s’est élevé, aussi bien dans la formation professionnelle que dans le monde académique.

L’école obligatoire a pour mission d’amener la très grande majorité des élèves qui lui sont confiés à maîtriser les savoirs et les compétences nécessaires à leur entrée dans les formations du postobligatoire.

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Actuellement, le système en vigueur d’un cycle 3 à filières ne répond plus de manière satisfaisante aux besoins d’aujourd’hui.121

Dans les années 50, l’Ecole a comme objectif, en restreignant l’accès à l’Ecole secondaire par des tests d’entrée, de permettre aux meilleurs de suivre leur cursus dans les conditions les plus optimales tout en éliminant les indésirables.

La réforme de 1962 souhaite offrir à chacun les mêmes chances en catégorisant les élèves selon leurs aptitudes et leurs connaissances mais n’empêche pas la reproduction des inégalités sociales. De manière simplifiée, les plus doués poursuivent généralement des études académiques alors que les autres se dirigent vers les voies professionnelles.

Dans les années 70, le rôle de l’Ecole est remis en question ; faut-il pratiquer l’élitisme ou se contenter d’une honorable moyenne ? Des expériences pédagogiques sont mises sur pied mais ne reçoivent pas le soutien du DIP qui les restreint.

Dans les années 80, les commissions scolaires et les autorités politiques font face à certaines divergences concernant les buts de l’Ecole. La sélection est discutée et critiquée mais reste en place avec la réforme de 1984. Les meilleurs élèves perdent toutefois une année d’enseignement prégymnasiale avec la mise en place de la classe d’orientation. Dans les années 1990 et 2000, les rapports entre les politiques et les établissements scolaires s’adoucissent et se confondent même puisque par exemple, l’ancien directeur de l’Ecole secondaire du Val-de-Ruz, M. Jean-Claude Guyot est à la fois politicien et acteur dans le système scolaire (directeur du CSVR). Il a été, selon Tiago Cordas, un élément moteur dans la mise en place des fondements de la réforme actuelle.

Aujourd’hui, une différence significative apparaît dans la manière de procéder à cette sélection puisqu’elle s’effectue plus tard dans le cursus de l’adolescent. Nous verrons plus loin que cette stratégie permettra au canton de « placer » à la fin de l’école obligatoire, plus de monde en apprentissage, un secteur qu’il souhaite redorer.

121 Mme Maire-Hefti, Conseillère d’Etat, Cheffe du département de l’éducation et de la famille en préface dans le cahier d’information « rénovation du cycle 3 » (projet) – Département de l’Education et de la Famille (DEF) octobre 2014, p.2

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La question que nous nous posons à présent fait suite aux nombreuses remarques entendues çà et là depuis la mise en place de cette nouvelle réforme. Comment permettre un enseignement efficace dans des classes hétérogènes ?

Tiago Cordas nous explique qu’un enseignant lui a affirmé que des élèves — devant être orientés vers une classe préprofessionnelle à la rentrée 2015 si la réforme n’avait pas eu lieu —, réussissaient mieux qu’il ne l’avait imaginé. À ce propos, Monsieur Jean-Claude Marguet, chef du SEO, nous apprend lors d’un séminaire le 10 février à Bienne122 que les meilleurs élèves de la section préprofessionnelle ont obtenu de meilleurs résultats aux tests PISA que les moins bons de maturité.

Pour Tiago Cordas, l’hétérogénéité doit être acceptée. Il affirme que les classes homogènes sont un leurre pédagogique et rappelle que ce principe a déjà été mis en place lors de la fusion des sections de classique et scientifique en une section de maturité en 2001. Les élèves se destinant à des études littéraires et pouvant éprouver des difficultés en mathématiques par exemple, se retrouvaient dans la même classe que les élèves se dirigeant vers une carrière scientifique.

Nous parlons ensuite avec Monsieur Cordas de la terminologie utilisée dans l’enseignement. Comme mentionné plus haut, la brochure du DIP de 1985 parlait de « maîtrise de la connaissance » ; on parle aujourd’hui de compétences. Ce glissement sémantique se remarque également dans l’appellation du Département consacré à l’Ecole. Le « Département de l’instruction publique » s’est transformé en un « Département de l’éducation, de la famille et des sports ». Ces différences de terminologie ne sont pas le fruit du hasard. Elles traduisent une évolution dans la manière de considérer l’Ecole d’aujourd’hui ; de l’instruction certes, mais également et surtout de l’éducation. Si ce principe éducatif était déjà pressenti par nos aînés, ces changements d’appellation l’ont formalisé. Tout le chemin parcouru depuis des décennies a permis de constater l’importance de l’Ecole depuis le plus jeune âge. Pour Tiago Cordas, le multiculturalisme a également donné un rôle encore plus prépondérant dans l’assimilation des valeurs communes dans un groupe à références culturelles variées.

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Séminaire destinés aux étudiants en dernière année à la HEP-BEJUNE - Entrée dans la profession d'enseignant, le 10 février 2016 à Bienne

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