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Chapitre I / Le tissu osseux : le collagène, l’apatite, la minéralisation

I- 5 / L’eau

L’eau est le troisième constituant du tissu osseux en terme de proportion massique (~9 %), derrière les deux composés majoritaires que sont l’apatite (~64 %) et le collagène (~22 %). De plus, en terme de volume, l’eau atteint un taux encore plus important qui va de 15 à 20 % ; contre un taux de 33 à 43 % pour l’apatite, et de 32 à 44 % pour le collagène [157]. Il est connu que l’arrangement tridimensionnel des fibrilles de collagène, l’association de ces dernières avec le minéral, l’innervation et la vascularisation, conduisent à la création de nombreux pores de tailles variables au sein du tissu osseux [2]. Ainsi, 4 catégories de pores peuvent y être distinguées d’après la classification proposée par Stepen Cowin [158] (dont les 3 premiers apparaissent au sein de la Figure 26) :

(i) La « porosité vasculaire » (ou PV), qui correspond à l’espace créé lors de l’excavation des tunnels de Havers et de Volkmann afin de permettre la vascularisation du tissu. Cette porosité correspond au diamètre de ces tunnels (de l’ordre de 40 µm), et est la plus importante en taille au sein de l’os cortical.

(ii) La « porosité lacuno-canaliculaire » (ou PLC), correspond aux espaces lacunaires à l’intérieur de la matrice osseuse minéralisée, où prennent place : (a) les cellules ostéocytes (lesquelles sont des ostéoblastes différenciés) ; ainsi que (b) les fins canalicules creusés par les ostéocytes afin de former des jonctions communicantes. Cette porosité correspond donc au diamètre des canalicules (environ 0.2 µm).

(iii) La « porosité collagène-apatite » (ou PCA), est l’espace très étroit qui existe entre les fibrilles de collagène et les cristaux d’apatite ; porosité la plus petite en taille, soit quelques nanomètres au maximum [158]–[160].

(iv) La « porosité de l’espace intertrabéculaire », correspond aux espaces vacants qui existent au sein de l’os spongieux, provenant de l’arrangement très aléatoire des fibrilles de collagène. Cette porosité peut atteindre une taille élevée, de l’ordre de 1 mm de diamètre.

Les 3 premières catégories de porosités (i), (ii) et (iii) se retrouvent aussi bien au sein de l’os cortical que l’os spongieux, alors que la dernière (iv) est propre à l’os spongieux. Les molécules d’eau provenant du fluide extracellulaire s’infiltrent à l’intérieur de ces pores. Ainsi, l’eau baigne le tissu osseux dans sa globalité puisque les canaux et les canalicules forment un réseau interconnecté. A noter que le fluide à l’intérieur des nerfs et des vaisseaux n’est pas considéré ici, bien qu’il soit échangeable avec le fluide extracellulaire [158].

Figure 26. Les 3 catégories de porosités retrouvées au sein de l’os cortical (ici le schéma

partiel d’une coupe longitudinale d’un ostéon) à l’intérieur desquelles s’infiltre le fluide extracellulaire, d’après la classification de Stephen Cowin : la porosité vasculaire (PV, ici appelée « osteonal canal ») ; la porosité lacuno-canaliculaire (PLC, ici appelée « lacunae » et « canaliculi ») ; et la porosité collagène-apatite (PCA). Image reproduite d’après Stephen Cowin [158].

Du fait de la grande taille des tunnels de Havers et de Volkmann (qui composent la « porosité vasculaire ») et des canalicules (qui composent la « porosité lacuno-canaliculaire »), l’eau qui s’y infiltre peut ainsi circuler librement aux alentours de la matrice osseuse minéralisée. Cette eau, dite « eau libre », permet ainsi la diffusion des nutriments et des ions, ainsi que l’évacuation des déchets cellulaires (et est ainsi parfois appelé sérum [161]). De plus, cette « eau libre » compose la majorité de l’eau présente au sein du tissu osseux. Cette idée est consolidée par de très anciennes études faites dans les années 1950 par Edelman et al., qui ont montré que la quasi-totalité de l’eau au sein d’os de chien était peu liée au tissu car échangeable par des molécules de D2O au bout de quelques heures seulement [162]. Cependant, à la même période, W. F. Neuman & M. W. Neuman et al. ont proposé qu’une proportion de l’eau au sein du tissu osseux était peu mobile car fortement physisorbée à la surface des cristaux d’apatite (nommée la « coquille d’hydratation ») [155], [161]. Ceci est corroboré par des études plus récentes comme celles de Fernández-Seara et al., effectuées par échange H2O/D2O et par des expériences RMN de diffusion de spin, lesquelles ont montré

qu’une proportion non négligeable (~30 %) de l’eau au sein d’os de lapin s’échangeait de façon beaucoup plus lente que l’eau libre [163]. Il est ainsi suspecté que cette eau moins accessible prenne place au sein des interstices de petites tailles provenant de la « porosité collagène-apatite ».

Ce second type de molécules d’eau, appelée « eau interstitielle », a été retrouvée aussi bien dans l’os cortical [164] que dans l’os spongieux [165]. Erin Wilson et al. proposent que, au contraire de l’eau libre, la perte de l’eau interstitielle suite à une déshydratation a température ambiante soit irréversible [164] (cf. Figure 27).

Figure 27. Modèle proposé afin de décrire les comportements des deux catégories d’eau (i.e.

l’eau « libre » et l’eau « interstitielle ») lors de la déshydratation d’un échantillon de tissu osseux. (A) Echantillon d’os hydraté avec la coexistence de l’eau libre (appelé ici « bulk water ») et de l’eau interstitielle. Sous un séchage modéré, l’évaporation rapide et réversible de l’eau libre conduit à (B), où seule reste l’eau interstitielle. Un séchage prolongé engendre la perte irréversible de l’eau interstitielle entre la matrice organique et la matrice inorganique (C). Image reproduite d’après Wilson et al. [164].

Par ailleurs, ils ont décrit cette eau interstitielle comme étant sous la forme « d’une couche d’eau ordonnée à la surface des cristaux du minéral osseux » [164]. Ils en ont donc conclu que cette dernière pouvait agir telle un agent interfacial entre les matrices organiques et inorganiques du tissu osseux, dont la perte pourrait ainsi modifier drastiquement les interactions organo-minérales. Ceci est corroboré par l’étude réalisée par Jitin Samuel et al., qui ont trempé des échantillons d’os dans différents solvants (avec des constantes diélectriques, des tailles de molécules, et des capacités à créer des liaisons H distinctes), avant d’en étudier les propriétés mécaniques [160]. Ils en ont conclu que les molécules d’eau de la porosité collagène-apatite pourraient participer aux propriétés mécaniques de l’os, en

favorisant l’adhésion entre la matrice organique et la matrice inorganique par le biais : (i) d’un réseau de liaisons H ; et (ii) des interactions de van Der Waals [160]. De plus, la capacité du

minéral osseux à fortement adsorber des molécules d’eau à sa surface sera étudiée de manière approfondie lors du chapitre II de ce manuscrit. Les conséquences que cela implique sur l’interface minéral-minéral seront elles étudiées lors du chapitre IV.

Il est à noter qu’une troisième catégorie d’eau existe également : l’eau incorporée à l’intérieur du réseau cristallin de l’apatite. Cette dernière a été observée pour une grande variété d’apatites : (i) les apatites osseuses et celles de la dent [166]–[168] ; (ii) les apatites géologiques [166] ; (iii) les apatites carbonatées de synthèse [169] ; et même (iv) les apatites lunaires et les apatites provenant d’astéroïdes [170], [171]. Concernant les apatites biologiques et les apatites géologiques terrestres, la présence d’une telle eau de structure n’est pas surprenante, puisqu’il est connu que la plupart des minéraux du manteau supérieur de la planète Terre sont hydratés [172]. Par ailleurs, cette incorporation d’eau au sein du réseau cristallin des minéraux peut parfois modifier drastiquement leurs propriétés physico-chimiques [172]. C’est pourquoi, cette problématique se retrouve donc logiquement être une préoccupation importante dans le domaine de l’étude du minéral osseux [173]. Il est proposé que ces molécules d’eau de structure soient positionnées principalement au sein des sites lacunaires des ions hydroxyles, ainsi que ceux des ions calcium à l’intérieur des tunnels de type II (cf. Figure 11) [168], [174]. Ainsi, il est suspecté qu’elles permettent la stabilité chimique et mécanique de la structure apatitique, en comblant des sites lacunaires et en créant ainsi de potentielles liaisons H avec les ions voisins [168].

I-6 / Problématiques & Plan du manuscrit