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L’autorisation de l’acheteur de la cession implicitement maintenu

Chapitre 3 – Un régime d’exécution dirigiste

B. Le recours obscur à la modification de l’identité du titulaire du contrat

2) L’autorisation de l’acheteur de la cession implicitement maintenu

L’autorisation de l’acheteur est une exigence posée par la jurisprudence administrative depuis l’arrêt Corduriès consacrant le principe de cessibilité des actes administratifs. Prima facie, le décret n°2016-361 reste étonnamment muet sur la nécessité d’obtenir une autorisation du cédé.

L’absence d’autorisation de l’acheteur ne pose pas de problème lorsque le changement de titulaire entraîne des modifications substantielles ; dans un tel cas la publicité et la mise en concurrence présidant à la conclusion d’un nouveau contrat équivaut à une autorisation. Néanmoins, dans l’autre cas, l’obligation d’une autorisation de l’acheteur est implicitement retenue par le décret. Ce dernier prévoit en effet que « l’autre opérateur économique (cf le nouveau titulaire) remplit les conditions de participation à la procédure de passation du marché public ». En d’autres termes, la cession du marché est conditionnée par les capacités économiques, financières et techniques du nouveau titulaire. Seul l’acheteur peut eméttre un avis sur l’aptitude ou non d’un opérateur économique à candidater. L’autorisation de l’acheteur apparaît ici en filigrane, en étant suggérée par les textes. L’exigence d’autorisation subsiste donc et corrobore bien la nouvelle place de l’Etat-acheteur, celle d’un Etat-directeur dans l’exécution des MPDS et plus globalement dans le secteur de la défense.

En résumé, la phase d’exécution des MPDS peut, elle aussi, avoir des conséquences non négligeables sur la concurrence entre les opérateurs économiques. En substance, les

216 Ministère de la Défense, Programme Scorpion-Lancement de la rénovation du char LECLERC, Communiqué

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conséquences sont inégales. Alors qu’une dose de transparence est injectée dans la sous- traitance et les chaînes de contrat, la modification du contrat sans mise en concurrence est particulièrement facilitée. Ces règles d’exécution renouvelées prennent racine dans un dirigisme industriel étatique très présent dans le secteur de la défense. La mise en œuvre des programmes d’armement demeure, pour des raisons stratégiques, sous un étroit contrôle de l’Etat-acheteur.

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ONCLUSION GENERALE

Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale publié en 2013 rappelle que « L’industrie de défense est une composante majeure de l’autonomie stratégique de la France » ; il réaffirme alors « l’impératif de maintien en France d’une industrie de défense parmi les premières mondiales »217. Cette volonté politique de maintien d’une BITD nationale (et de ses 4000 entreprises) comme composante cardinale de l’autonomie stratégique de la France contraste avec l’objectif par ailleurs poursuivi de création d’un marché de l’armement européen décloisonné. Un marché européen qui se construit notamment à travers un droit de la commande publique de défense unifié et gage de liberté d’accès, d’égalité de traitement des opérateurs économiques européens ainsi que de transparence des procédures. Néanmoins, ce dessein ne résiste pas à l’étude du nouveau cadre juridique français des marchés publics de défense et de sécurité transposé du droit européen. Il n’est qu’un vœu pieux au moins à trois égards.

Premièrement, la notion de marché public unifiée pour le droit commun souffre encore d’un flou tenace concernant ceux relatifs à l’acquisition d’équipements de sécurité ou de défense. L’incertitude de son critère central, le critère matériel, engendre une grande malléabilité de la notion de MDPS. Un périmètre à géométrie variable qui tend à inclure des marchés publics dont l’objet est exclusivement civil afin de bénéficier d’un régime juridique plus souple.

Deuxièmement, passée l’étape hasardeuse de la qualification, le régime de passation continuellement renforcé en droit commun n’est qu’intermittent pour les MPDS. Le régime de passation est d’emblée exclu dans de très nombreuses situations. Et dans le cas inverse, l’intensité de la concurrence entre les opérateurs économiques demeure faible : entre une absence totale de concurrence ou une atténuation marquée à l’aune du droit commun.

Finalement, une fois le marché attribué à une industrie titulaire, les règles d’exécution du contrat se déroulent sous la coupe d’un Etat dirigiste. Grâce à des moyens juridiques exorbitants du droit commun, tant sur le plan de l’organisation des chaines de contrat que sur celui de la modification du contrat principal. La Direction générale de l’armement, loin d’être

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un simple acheteur, est acteur dans le déroulement du programme d’armement. Un interventionnisme qui, indirectement, nuit aussi à l’impératif de concurrence.

En somme, le corpus de règle de passation des MPDS n’est pas le seul frein au décloisonnement des marchés nationaux d’armement. Participe aussi, plus furtivement, la manière dont le contrat de MPDS est défini et exécuté. Le législateur délégué a donc prévu un corpus juridique très dérogatoire au droit commun pour cette catégorie particulière de contrat. Un éloignement du droit commun qui tend finalement à affaiblir inexorablement l’exigence d’une concurrence libre, égale et transparente entre les opérateurs économiques du secteur de la défense à l’échelle européenne.

Néanmoins, la situation politique en Europe est actuellement bousculée. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, l’accession d’un président américain rompu à la logique isolationniste et enfin l’élection d’un chef d’Etat français pro-européen sont d’autant d’évènements qui replacent l’Union européenne et plus particulièrement sa politique de défense dans l’agenda diplomatique. En ce sens, pour la nouvelle ministre des armées, Sylvie Goulard218, le dossier de l’Europe de la défense est une priorité. Elle estime même « qu’il y a un agenda européen crucial »219. Ce volontarisme affiché pose la question d’une éventuelle refondation d’une « Europe de la défense » avec comme corollaire une politique de défense intégrée, qui entre en résonnance avec l’échec historique de 1954. Ce nouvel acte serait non sans conséquence sur une nouvelle acception de l’autonomie stratégique émancipée du cadre national pour être réellement promue à un niveau européen. La pérennité du cadre juridique actuel des MPDS, défini par l’ordonnance du 25 juillet 2016, encore trop guidé par des logiques nationales serait, dans un tel cas, menacé.

218 Remplacée aujourd’hui par Mme Florence Parly.

219 Nathalie Guibert, « Pour la ministre des armées, « il y a un agenda européen crucial » sur la défense », Le

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IBLIOGRAPHIE