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L’attention critique développée sur les actions

Les deux citations précédentes « c’est en cascade » et « ce n’est pas la faute de l’autre » attirent l’attention sur des effets possibles de contagion entre les institutions : des « effets de système » sont possibles. Les professionnels que nous avons rencontrés en sont bien conscients ; ils mettent en œuvre une réflexivité sur leurs propres pratiques par laquelle ils cherchent à se prémunir de dérives dont nous avons constaté la présence possible en écoutant les parents : produire à son corps défendant de la désaffiliation ; se faire le vecteur involontaire de violences symboliques.

Nous pouvons ainsi clôturer ce chapitre par les exemples qui ont été mis en avant en tant que « points critiques » nécessitant une grande vigilance.

« Ne pas reproduire ce qu’on cherche à éviter »

Le risque existe toujours de « casser les enfants une 2ème fois » en reproduisant le rapport aux devoirs qu’ils ont subi à l’école.

Cela peut être le cas, parfois, avec des bénévoles ayant connu une éducation différente.

Oui, et c’est des gens qui viennent dans le monde des écoles de devoirs, qui n’ont pas pensé de la même façon que les animateurs. Pour eux, ils ont une vision de l’éducation : on doit casser le gosse…

  On doit être bien sage.

  On doit être bien sage, on ne bouge pas ; tu te tais, tu fais ton devoir. C’est ça les volontaires, s’ils ne sont pas... s’ils ne rentrent pas dans la philosophie des école de devoirs, c’est dur à gérer.

  C’est tout un travail. Cela prend du temps.

  Mais c’est vrai que cela peut amener des dérives dans certaines écoles de devoirs, parce que ça peut basculer. Une dérive autoritaire où cela devient une seconde école où le gosse se fait tuer deux fois sur la journée. (....) je tire chaque fois le système d’alarme, mais c’est parce que ça fait peur. On se dit attention les gosses sont là…

Ici, on mettait « l’implication » un peu à tort du bénévole, mais l’implication, elle peut être énorme aussi. C’est la condescendance derrière qui a été mise en place qui l’a mis mal.

Exclure de l’EDD les enfants les moins favorisés (les « baraquis »)

Les professionnels sont conscients que comme tout support institutionnel ou toute aide publique, leur activité peut finalement être « confisquée » par ceux qui en ont le moins besoin.

Et la dérive, c’est que parfois, certains école de devoirs qui n’ont pas la philosophie école de devoirs, vont prendre, vont faciliter l’accès à l’école de devoirs à des enfants qui n’en n’ont pas... qui en ont besoin, mais qui... il y a des gosses qui en ont encore plus besoin, mais on va les écarter parce qu’ils sentent mauvais, parce que c’est des baraquis, parce que…

Parce qu’ils sont difficiles...

Parce qu’ils sont difficiles, donc on va dire ; ne viens pas. On fait savoir aux gosses qu’ils ne viennent pas. J’en connais des dérives comme celle-là dans certaines école de devoirs. C’est triste.

Lâcher sur son identité

Pour certains, le risque existe aussi d’une perte de l’engagement de départ, ce qui peut être un effet pervers de la

« professionnalisation » (qui est par ailleurs une façon de reconnaître la pertinence et l’importance de l’engagement de départ).

Il y a plein de gens qui n’ont pas leur place aussi. [...]. Ce n’est pas facile quoi. Au début des écoles des devoirs quand il n’y avait que des volontaires, c’était impeccable, parce que tous les gens

qui étaient volontaires là, c’est parce qu’ils avaient fait un choix pour aider les enfants, ça c’est clair et net. […] Mais maintenant qu’il y a des salaires, il y a des gens qui ne trouvent pas de boulot, ils vont en école des devoirs, ils ne savent même pas ce que c’est. [...] Ça se voit directement ; ils arrivent, mais je le vois tous les jours, ils viennent pour le salaire. Maintenant voilà, il faut un boulot, je ne dis pas, mais on sent directement, ça se sent dans la relation directement avec l’enfant et ça se sent dans le travail. On voit l’heure, enfin je pense que ça nous est tous arrivé, mais je vais dire on a fini à dix-huit heures, mais bon voilà, on est lancé dans un exercice, une explication, il est six heures quart, on ne fait pas attention, on termine ce qu’on a à faire et puis on y va.

Il y en a six heures c’est six heures

Voilà. Mais il y en a à six heures moins dix c’est « Il va falloir commencer à ranger parce que ça va être l’heure ». Je dis « Mais enfin ne dis pas ça devant eux ». En plus je trouve que c’est destructeur, ça détruit complètement, de un, le travail, et de deux, surtout, l’enfant qui est en face qui est en train de se dire « Mais je suis quoi moi ici ? Je suis alors de la marchandise ».

Mésinterpréter les actions ou les non actions des parents

Il peut arriver aux animateurs des EDD aussi d’avoir des attentes vis-à-vis des parents qui sont pensées et interprétées unilatéralement ; « ils ne viennent même pas » peuvent être tentés de dire les animateurs – sans qu’on se soit interrogé sur les possibilités de mobilisation des parents ou sur l’adéquation de la participation qu’on a projetée à leur place :

Parce que moi, j’ai l’impression que la relation école avec les parents « Mais qu’est-ce que les parents vont venir nous dire de ce qu’on sait ? ». Quand on entend souvent les enseignants c’est : « le parent n’a qu’à suivre ». À certains moments, je les questionne et « les parents sont démissionnaires, ils n’ont qu’à faire les devoirs avec leurs enfants ». Je dis ok, mais il y a 2 générations d’ici, les parents ne savaient pas lire. Chez nous, on rencontre toujours cette difficulté-là, dans les populations émigrées et tout, mais avant les gens ne savaient pas lire. Et c’est pas parce que le parent s’asseyait à côté de l’enfant pour faire ses devoirs, l’enfant déposait son cartable, il allait faire les lessives, les machins, il faisait autre chose. Et pourtant, ça a permis une ascension, il y a quand même eu des apprentissages. Je veux dire, comment ça se fait qu’on n’y arrive pas ? Et que maintenant, le parent doit automatiquement être le garant de ces apprentissages ?

Et cela, je le dis aussi souvent aux bénévoles : « mais enfin, ‘ils {les parents} ne s’impliquent pas, il ne sont jamais là, ils ne viennent pas’, mais oui, mais bon, je dis, en même temps : ‘ils sont attentifs à inscrire leur enfant dans une école de devoirs, à être régulier, à être ponctuel, rien que là, c’est déjà une manière de participer à la vie de l’école de devoirs ». Et puis je dis, il faut se rendre compte, c’est des gens qui parfois ne parlent pas bien le français, ce n’est pas évident. Cela dépend du bénévole, c’est oser passer le seuil de la porte, c’est oser parler quelques mots, donc voilà. C’est vraiment, vraiment pas évident, c’est un lien très très fragile, le lien avec les parents, on s’en rend bien compte.

Adopter une logique d’« activation »

Il importe aussi de ne pas manier de façon imprudente une logique de « responsabilisation » des parents ou d’« autonomisation » des enfants, qui ont pour seul effet tangible un délitement ou un abandon de l’aide ; les logiques d’activation, qui font tant de dégât dans le monde social, ne sont pas absentes des EDD :

Il y en a qui suivent de près la scolarité et les devoirs, par contre, il y en a qui ne le font pas du tout. Or, ce serait des enfants qui en auraient vraiment besoin. »

Je tiens quand même à dire aux parents qu’ils doivent continuer à suivre la scolarité de leurs enfants, même si nous, on apporte une aide au niveau des devoirs, c’est important que eux ne se déchargent pas trop vite en disant « c’est fait à l’EDD ». Même s’ils ont parfois des difficultés au niveau de la langue, de la lecture, qu’au moins ils essaient de regarder ce qui se passe à l’école. Qu’ils

{A propos d’un voyage organisé par des anciens de l’EDD et qui a pris deux ans de préparation}, c’est David contre Goliath parce qu’on sous-estime en fait la capacité des ces jeunes-là, c’est une mine d’or, ils sont motivés tout ce que vous voulez, « mais ils ont grandi, ils ont 18 ans, et l’autonomie... », mais l’autonomie ça s’acquiert pas comme ça du jour au lendemain, c’est tout un processus, un travail à faire avant et moi j’ai des gens qui disent : « Ah ben ils peuvent partir seuls ». »