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L’attente comme disponibilité expectante (ADE) est une anticipation et en cela elle n’est ni vraie, ni du réel

Dans le document Attendre : de la disponibilité dans l'être (Page 130-183)

II. L’ATTENTE COMME DISPONIBILITE EXPECTANTE

1. L’attente comme disponibilité expectante (ADE) est une anticipation et en cela elle n’est ni vraie, ni du réel

Dans le livre Anecdotes, Jonas Mekas, réalisateur, fondateur de l’Anthology Film

Archives et ami de longue date d’Andy Warhol, narre les péripéties qui agitèrent les

premières projections en salle du film Empire (1964) : « [Le film] commence d’une manière très paisible. Oui, il ne s’y passe pratiquement rien — dans le sens usuel, conventionnel, où il se passe des choses dans un film que l’on regarde », dit Mekas.

1 DINO BUZZATI, Le désert des tartares, traduit par Michel Arnaud, in Œuvres, édition établie par

Francis Lacassin, Robert Laffont, 1995, p. 207.

2 GUY DE MAUPASSANT, « L’attente », in Contes cruels & fantastiques (textes choisis, présentés et

« Des lumières, quelques rayures de la pellicule. Il continue à se dérouler, le temps passe, [...] : que va-t-il arriver ensuite ? Rien peut-être ? J’avais complètement oublié ce qui se passe dans le film. J’étais assis, dans une totale expectative devant l’inconnu. Supposons que rien ne se passe. [...] Une heure plus tard, soudainement : un moment extatique ! Tout l’Empire s’illumine ! Quel instant ! Quel émerveillement visuel ! L’assistance applaudit à tout rompre.3 » L’émerveillement semble d’autant plus digne de récit que les mètres de films qui devancent l’illumination soudaine de l’immeuble semblent n’avoir aucun intérêt, constate Mekas. Il n’y a « rien », et c’est pour cette même raison qu’il a émerveillement quand enfin il se passe quelque chose venant d’un éclat bousculer la torpeur. Avant le coup d’éclat, rien ! Rien qu’un rien monotone, ennuyeux et qui, parce qu’il n’est rien est potentiellement créateur de quelque chose : « on dit souvent des films de Warhol qu’on s’y ennuie. L’ennui est le moteur secret de l’activité et de son dépérissement. Quand le spectateur dit "je m’ennuie" il exprime involontairement et clairement le fait que c’est moins ce qui ne se passe pas à l’écran que lui-même ("je") qu’il juge ne pas être digne de retenir son attention. Warhol en prend acte avec flegme : "Mes films aident le public à mieux se connaître. Quand il ne se passe rien, on a l’occasion de penser à des tas de choses". Ainsi, poursuit Haas, « la vacuité de ce qui est montré a pour effet de renvoyer le spectateur à lui-même, puisqu’il n’a pas la possibilité de se retrouver de l’autre côté du miroir. Pris au piège du "il n’y a rien à voir", il pourra se faire son cinéma lui-même, ou sortir ou encore s’endormir.4 »

Le rapprochement entre les propos de Warhol, cités par Haas, et ceux d’Heidegger sur l’ennui comme prémisse d’un retour vers soi, est notoire ; c’est en

3 JONAS MEKAS, Anecdotes, traduit de l'anglais par Jean-Luc Mengus, Scali, 2007, p. 207.

4 PATRICK DE HAAS, « Vider la vue », in cat. exp., Andy Warhol, Cinema, Éd. Centre Georges

l’occurrence à partir de l’expérience de l’ennui, comme perte du temps, que l’expérience même du temps, et concomitamment la conscience aiguë de l’égarement, s’engagent ; c’est ce sentiment de ne rien pouvoir faire pour répondre à l’urgence de l’œuvre qui est le moi, prisonnière du temps qui passe, mobilisant l’étant par le biais de l’ennui pour pouvoir en sortir précisément. En cela, l’ennui est une révélation — la quête de soi qui se profile à partir de cet instant — et une étape, un palier, vers le soi révélé. Avec Warhol, le spectateur a le choix de s’ennuyer ou pas, il peut regarder le film ou le voir de façon désintéressée, voire même s’endormir ou partir, fuir la salle et par la même occasion l’ennui. Cette liberté due au spectateur des films de Warhol, et en particulier d’Empire, prend appui sur l’intransigeante immobilité du sujet principal du film, qui est rappelons-le l’Empire State Building, et un protocole de montage basé sur une « passivité délibérée5 » dans le choix des images qui fait qu’Empire n’est pas un film traditionnel dans le sens où il n’implique pas une sélection et un assemblage des différentes images et séquences filmées. Empire est remarquable dans la mesure où les images ne forment pas de séquences sous- tendant une histoire à raconter, ni ne semblent avoir été « choisies » par Warhol qui, comme tout spectateur de ses films, les « subit » telles qu’elles s’imposent à lui en tant qu’images de cinéma, ayant pris le parti de ne pas changer un iota de ce qu’elles étaient dans le réel. En cela, il est son premier spectateur, laissant volontiers la caméra et le hasard faire son cinéma à sa place et, par conséquent, les images se succéder d’elles-mêmes, formant un amoncellement imagé « plat » et « pauvre » qui deviendra l’apanage de sa cinématographie. Le cinéma warholien est dénué de tout ce qui fait que le cinéma dit conventionnel n’est pas le réel. Bâti sur des images « qui

5 « Cette passivité délibérée implique en retour que le montage involontaire soit accepté ; ainsi, s’il faut

en croire la cinéaste Shirley Clarke, "… si le film casse, Andy taille et tronque, et au fur et à mesure des passages, il devient de plus en plus court. » PATRICK DE HAAS, op. cit., p. 23.

ne sont ce qu’elles sont et rien d’autre6 » comme l’est le réel qui les met en branle,

Empire relève du cinéma idiot. Ces images sans relief, produites sans talent ou savoir-

faire particuliers, appartiennent à un genre cinématographique dont on dira qu’il n’est pas fait pour être vu, mais pour avoir été fait.

À l’instar de Sleep, Empire s’apparente au flux ininterrompu d’images quelconques alimenté par les caméras de vidéosurveillance peuplant, de façon généralisée depuis les années 1990, un grand nombre de rues et de surfaces commerciales en Europe et dans le monde. Rigoristes, nous dirions qu’il les devance en y ayant préalablement délimité les enjeux capitaux. Enjeu éthique tout d’abord, par la dissolution des sphères publique et privée par caméra interposée, braquée pendant un temps trop long sur un corps dévêtu et endormi (Sleep) ou un immeuble tantôt habité tantôt vide (Empire). Plus le film (Sleep) avance, plus le corps au repos devient fantomatique, la silhouette de la mort rôdant s’en emparant peut-être. Fantasmatisation du corps nu, au repos, offert au regard vif et indiscret du filmeur- voyeur, tel est le propos inavoué de Sleep ?7 Corps qui dort et immeuble qui s’éveille à l’intérieur duquel des lumières s’allument puis s’éteignent, puis s’allument à nouveau, dénonçant le houlement « vu/pas vu » du réalisateur lorgnant par caméra interposée l’intimité des gens, comme l’œil ébahi de l’enfant lorgne par le trou de la serrure la vie intime de ses parents.8

6 « Un réel qui n’est que réel, et rien d’autre, est insignifiant, absurde, "idiot", comme le dit Macbeth.

Macbeth a d’ailleurs raison sur ce point du moins : la réalité est effectivement idiote. Car, avant de signifier imbécile, idiot signifie simple, particulier, unique de son espèce. Telle est bien la réalité, et l’ensemble des événements qui la composent : simple, particulière, unique – idiotès -, "idiote". » CLÉMENT ROSSET, Le réel et son double. Essai sur l’illusion (1976), Gallimard, 1984, p. 52.

7 À bien des égards, le corps-fantôme renfermant l’irrévélable scruté en vain par la caméra dans Sleep

de Warhol fait écho, entre autres, aux œuvres de Sophie Calle telles que Les dormeurs (1979) - pendant une semaine des dormeurs volontaires se relayent dans le lit de l’artiste. Ils sont observés et photographiés pendant leur sommeil. Ou encore Rachel, Monique (2007) où il s’agissait pour l’artiste de capter les derniers instants de vie de sa mère. Scrutation, désir obstiné de voir l’interdit, l’irregardable, pulsion morbide voire scopique.

8 Andy Warhol semble avoir voulu aller plus loin que simplement lorgner. Dans un entretien avec Letitia

Enjeu esthétique ensuite, par l’amoncellement en continu de rien, déversé en abondance9 et par le biais duquel arrive l’accident, l’incongru, syncope de l’habitude et de la monotonie. Cet instant dramatique surgit au spectateur comme la pépite jaillit sur le tamis chargé de grains de sable vraisemblablement identiques et sans valeur au chercheur d’or. À l’instar de la pépite quêtée à chaque balancement, à chaque retombée du tas de sable sur la grille, le spectateur scrute dans l’enchaînement des images la sortie du rien. Dans cette recherche obstinée, il y a l’attente, comme une disponibilité expectante (ADE) envers la chose quêtée, définie comme un temps plus ou moins long, durant lequel la pépite – ou la sortie de l’attente qui pour être quêtée – est vue avant d’apparaître réellement. La chose réelle n’existe pas encore mais elle est déjà là à l’état de chose hallucinée. Dans le cadre de l’ADE, le fait qu’elle ne soit pas réelle n’est pas un problème en soi, puisque c’est l’expectative face à ses réels contours qui alimente la marche vers la chose éclose ; c’est l’hallucination qui permet d’aller vers elle et non la certitude anticipée de son existence. La chose hallucinée est ce qu’on ne voit pas mais qu’on finit pas voir à force d’en tenir l’existence pour certaine. En d’autres termes, c’est l’anticipation de son existence réelle qui en autorise le dévoilement fantasmé et qui permet de ne pas lâcher prise dans l’effort d’attente de son éclosion réelle. Il ne saurait, par conséquent, y avoir d’attente sans anticipation, se traduisant en une disponibilité expectante de l’individu voyant la chose avant qu’elle ne se donne à voir sous ses réels contours.

Empire, il s'agissait de produire une image animée de l'Empire State Building. Ça dure huit heures. La

lumière change, mais l'objet reste à la même place. L'image a un format carré et est projetée sur un mur… comme une peinture. Empire est un — euh — film pornographique. Quand la lumière se réfléchit sur l'Empire State Building, c'est supposé représenter… (Il sourit). » ANDY WARHOL, « Andy Warhol, cinéaste : difficile d'être son propre scénario » entretien avec Letitia Kent, Vogue, 1er mars 1970 in ANDY WARHOL, Entretiens 1962-1987, traduits de l'américain et préfacés par Alain Cueff, édition établie et introduite par Kenneth Goldsmith, Grasset & Fasquelle, 2005, p. 193-199 et p. 195.

9 À ce sujet de la vacuité torrentielle, citons également la pièce visuelle et sonore Tape fall (1989) de

Christian Marclay, sorte de fontaine sonore alimentée par une interminable bande magnétique déversée dans le vide par un magnétophone placé au sommet d’un long escabeau. Cf. JENNIFER GONZÁLEZ, KIM GORDON, MATTHEW HIGG, Christian Marclay, Phaidon, 2005.

Dans la pensée heideggérienne, on l’a vu, anticiper n’est pas attendre ; l’anticipation est le mouvement qui permet au Dasein d’aller vers soi en allant de l’avant10, au lieu d’attendre que le moi se fasse hasardement, se soumettant à un futur incertain qui lui imposera un moi inauthentique car non quêté. Si l’avenir joue un rôle prépondérant dans cette vision de la potentialité d’être, le présent est, lui, synonyme de mise à exécution du projet d’être à partir d’un moment-de-vision, instant extatique et révélateur pour le Dasein d’un cheminement vers soi qui ne fait alors que commencer, mais qui doit d’ores et déjà être pris en main. Attendre, au lieu d’anticiper, serait pour le Dasein non pas renoncer au cheminement, mais le faire sans en avoir fait le dessein, acceptant, au bout du compte, de devenir ce qu’il n’a pas anticipé d’être. L’anticipation heideggérienne est, par conséquent, une anticipation de soi ; anticiper c’est s’anticiper, c’est-à-dire, à l’instar du chercheur d’or hallucinant la pépite, se voir Être avant d’Être réellement. Tous les signes avant-coureurs sur le chemin de ce devenir qui n’a pas encore eu lieu, éclairant des portions de chemins plus ou moins fiables, sont les signes de l’anticipation d’un soi que le Dasein n’est pas encore, mais souhaite être en l’hallucinant. Ces signes d’un désidérata qui n’est pas encore advenu annoncent utilement le chemin, même si à diverses reprises ils n’auront mené nulle part. Cette relation entre l’ADE et l’anticipation nous mène à l’idée que les propos tenus par Mekas au sujet de l’instant où tout d’un coup l’immeuble s’illumine dans

Empire doivent être entendus différemment. En effet, ce moment n’est pas une

véritable surprise, une déviation ou un arrêt face à l’amoncellement filmique apparemment inutile qui le précède, encore moins un instant incongru dans le

10 « L'homme qui croit revenir en arrière dans le temps ressemble au voyageur perdu en forêt dont nous

parle Descartes à propos de la seconde maxime de la morale provisoire : le meilleur moyen d'en sortir n'est pas de s'affoler, d'aller et venir et de tournoyer parmi les arbres, mais de marcher tout droit dans le même sens. Car l'issue est toujours et de toute façon en avant. Heureux, écrit Liszt, celui dont le pied ne se pose pas deux fois dans la même empreinte ! » VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, L’irréversible et la

déroulement sans sursauts du film. Remplissant pleinement sa fonction de moment extatique survenant après un long rien, il ne surgit pas par hasard et était même plutôt

attendu. En effet, après qu’il ne se soit rien passé pendant longtemps, il finit par se

passer quelque chose. Et ce quelque chose n’est, certes, pas grand chose, mais suffisamment chose pour ne pas être confondu avec le rien qui le précède ; de la chose quasi-rien et du rien qui la devance on dira qu’ils ne découlent pas de la même monotonie. Toujours est-il que, dans le film, cette chose suffisamment chose s’élevant d’un amoncellement cinématographique évidé d’intérêt cesse d’être anticipée au moment où elle éclot, devenant chose concrète correspondant à son image anticipée ou pas. Par conséquent, elle ne peut plus être attendue une nouvelle fois ; une fois éclose elle n’est plus à attendre ni à anticiper, définissant ainsi le caractère dramatique de l’écoulement de tous les instants. En ayant bâti la trame du film, et permis l’anticipation de son dénouement extatique et dramatique, le rien d’Empire n’aura pas servi à rien.

Tous les instants d’Empire — monotones et dramatiques — ont leur utilité ; aucun rien ne saurait être un rien rond et clôt et aucune attente ne saurait être vaine ; soit quelque chose éclot à partir de rien, révélant l’attente de quelque chose, soit le rien qui n’éclot rien révèle quand bien même quelque chose, en outre le dessein pur et simple d’une sortie de ce rien. En conséquence, dans le film de Warhol, le rien persistant des images qui devance l’éclat lumineux n’est pas peu de chose ; en précédant l’éclat il l’anticipe ; en l’échafaudant silencieusement à chaque photogramme il en consolide le frêle flamboiement subséquent ; c’est parce qu’il n’y a rien auparavant qu’il y a quelque chose attendant, à l’état de chose hallucinée, son instant d’éclosion réelle. Et si l’éclosion n’a pas lieu, le rien n’aura pas été inutile

puisque qu’il aura permis a minima le dessein d’un après-rien11. Raison pour laquelle on peut dire de Warhol qu’il n’est pas un cinéaste du rien ni du peu, mais de l’essentiel. Essentialiste, sorte de raconteur d’histoires dont les trames asséchées — « squelettisées » — ne laissent apparentes que les charpentes basiques, Warhol, n’allant jamais au-delà du « gros œuvre », fait dépendre l’efficacité de ses histoires « pauvres » ou appauvries, d’une gestion minutieuse du temps, à partir de laquelle l’instant extatique et dramatique, sorte de tournant du film ou cumshot12, est en fait déjà là, à l’état de chose attendue pendant de longues heures sous l’auspice d’une monotonie annonciatrice de l’après-coup. Malgré la rudesse de l’épreuve, l’ADE sert à tenir bon dans l’effort d’attente de cet instant jouissif. Aussi, l’absence de choses qui s’y passent ne serait démentir la présence simultanée d’un projet anticipant quelque chose au-delà de rien pendant presque tout le film. Ce projet anticipatoire valide l’idée bachelardienne de rythme fondamentalement binaire du temps au détriment de la durée comme un Tout temporel s’imposant aux instants. Attendre est, par conséquent, a minima, anticiper la raison ou les raisons pour lesquelles l’attente existe. Les expressions « n’attendre rien » ou « ne s’attendre à rien » renvoient quant à elles à une promotion d’existence anticipée dans ces riens.

Si le rien n’est jamais que rien, l’image, elle, n’est jamais totalement muette ; quelque chose au-delà d’un mutisme fondateur de l’image est déjà « écoutable » malgré elle, la rendant parlante d’un sens qui est aussi, a minima, celui de son propre mutisme ; l’image n’a rien à dire et c’est ce qu’on lui fait dire ou qu’elle ne peut pas ne pas faire dire. Ainsi, à l’instar du mutisme foncier de l’image, le rien est lié à un

11 La relation entre les instants monotones et dramatiques rejoint l’idée d’alternance formulée par

Bachelard au sujet d’un rythme cadençant le rapport entre un temps de la création et de la pause créative qui ne fait qu’anticiper la reprise du travail créatif.

12 Jargon propre au cinéma pornographique désignant le plan où l’éjaculation masculine a lieu. Moment

apothéotique clôturant la trame. Aussi appelé moneyshot. Cf. YANN LARDEAU, « Le sexe froid (du porno et au-delà) » in Cahiers du cinéma, nº 289, Juin 1978, p. 49-64. Cf. ROMÁN GUBERN, La

dessein d’une sortie de ce rien ; le mutisme de l’image éclaire, donc, sur ce qu’elle fait voir et dire au spectateur, au détriment des choses qui, n’étant pas celles vues et dites, restent à voir et à dire. L’idée est qu’on ne peut pas tout dire d’une image qui demeure fondamentalement inépuisable. Et qu’en y ayant vu des choses, d’autres resteront à voir malgré l’effort de vision et son renouvellement propice à de nouvelles visions13. Malgré l’effort, les choses non dites, non vues demeurent à l’état de possibles soumis à une ADE, elle aussi, changeante, mouvante, propice au jaillissement de ces possibles ou pas. À l’instar des souvenirs qui attendent de revenir dans le rêve comme l’entend Bergson, ces choses non vues, non dites, stationnaires, peuvent effectivement émerger le moment venu, demeurant entretemps à l’état de veille, attendant le moment opportun. Mais comment ne pas envisager également que ces choses non vues et non dites puissent ne jamais voir le jour, potentiellement condamnées à être des possibles éternellement à éclore ? Cette hypothèse renvoie à l’idée que les images sont effectivement et foncièrement muettes, et qu’ainsi elles peuvent tout dire même si elles ne disent jamais tout ; si elles ne font rien dire c’est ce qu’elles font dire. On dira alors que le rien de l’image est « double », éclairant, d’une

13 En prenant pour objets d’étude la fameuse toile de Magritte La Trahison des images (1929) et la

figure stylistique du calligramme, Michel Foucault insiste sur l’idée que voir des choses, c’est ne pas en voir d’autres : « Pour que le texte se dessine et que tous ses signes juxtaposés forment une colombe, une fleur ou une averse, il faut que le regard se tienne au-dessus de tout déchiffrement possible ; il faut que les lettres restent points, les phrases lignes, les paragraphes surfaces ou masses, — ailes, tiges ou pétales ; il faut que le texte ne dise rien à ce sujet regardant qui est voyeur, non lecteur. Dès qu'il se

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