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L’atténuation du modèle fordiste comme facteur d’évolution des modèles productifs et

Chapitre 2 : La gestion des espaces : un enjeu majeur des circuits de distribution

2.1. L’atténuation du modèle fordiste comme facteur d’évolution des modèles productifs et

Comment comprendre les mutations des systèmes de production et distribution qui se sont produites suite à la période dite des « trente glorieuses » et qui ont conduit à la situation actuelle ? Nul ne peut douter que les causes profondes de ces changements sont multiples, ayant convergé pour transformer la société et l’activité économique dans son ensemble. Nous ne prétendrons donc pas ici éclairer ces causes. Nous reviendrons plutôt sur ce qu’elles ont produit en termes de structuration de l’activité économique et sur ce que ces modification ont eu comme impacts sur les firmes – notamment de production et distribution – et l’organisation des circuits de distribution. Nous développerons pour ce faire la thèse d’un glissement vers un contexte « post-fordiste ». Nous tenons toutefois à préciser que nous ne souscrivons pas à l’hypothèse d’une disparition du « régime fordiste » dont le caractère monolithique est par ailleurs discutable (Lung, 2008). Cette qualification du système en vigueur n’est dès lors que partiellement satisfaisante (Clévenet, 2008). Si nous utilisons ici ce terme c’est donc avant tout pour mettre en avant l’idée qu’une modification des modes d’échange, de consommation et de production est tout de même intervenue, remettant en cause une partie de ceux qui ont prévalu après la seconde guerre mondiale et jusqu’aux années soixante-dix.

2.1.1. Une mutation des attentes et de l’environnement concurrentiel

Le système de distribution que nous connaissons aujourd’hui est essentiellement basé sur les grands principes de distribution de masse des produits alimentaires et manufacturés élaborés au cours des XIXème et XXème siècles. Il s’est d’abord construit suivant les principes qui ont fait le succès à la fin du XIXème siècle des grands magasins et magasins populaires et des premiers réseaux succursalistes de l’alimentaire. Il a ensuite été marqué par le développement des grandes surfaces en libre service, les supermarchés (à partir des années 30 aux Etats-Unis) puis les hypermarchés à partir des années 60, ces derniers étant une particularité du système de distribution français de par leur forte part de marché et leurs caractéristiques : taille, nombre de familles de produite proposées et nombre de références dans chaque famille (Chambolle et Allain, 2003)15.

L’explication la plus courante de la succession de ces formes de vente est celle du modèle de la « roue de la distribution ».

Développé par McNair (1957) et Hollander (1960) cette approche considère qu’un format de vente ne peut s’établir avec succès que s’il pratique des prix inférieurs à ceux des formats déjà en place. Même s’il se positionne avec un assortiment et des services spécifiques, il doit au maximum être dans la moyenne des prix. Il doit pour ce faire supporter des coûts de distribution plus faibles que ceux des acteurs déjà en place.

Peu à peu les concurrents vont vers ce nouveau format. Ils doivent alors se différencier les uns des autres. Cela ne peut se faire selon McNair que par l‘élargissement de l’assortiment ou plus de services envers le consommateur final et/ou un meilleur confort d’achat. Mais cela augmente les coûts fixes, ce qui engendre une nécessaire augmentation du taux de marge du distributeur. Le prix devient dès lors moins important dans la politique des enseignes et leur positionnement vis-à-vis du client final16. Cela crée des opportunités de développement pour de nouveaux formats moins coûteux et proposant des prix plus bas (Chambolle et Allain, 2003 ; Filser et Paché, 2006).

Cette approche offre une bonne grille de lecture des évolutions de la distribution depuis le XIXème siècle et de l’avènement des offres discount.

15 C’est-à-dire largeur et profondeur de gamme.

On peut cependant s’interroger sur la pertinence actuelle de ce modèle. En effet, suivant cette approche, le hard discount devrait connaitre une progression continue et relativement rapide de ses parts de marché, ce qui n’est plus le cas depuis 2009 (Bertrand, 2012).

Par ailleurs, ceci semble peu adapté à la question des circuits courts alimentaires et de proximité, dans lesquels le prix est souvent loin d’être le premier argument de vente et qui s’adressent plus que d’autres à des population ayant un assez haut niveau de revenus (Prigent- Simonin et al., 2012b)

S’il faut être prudent sur la spontanéité de la structuration de la demande – les stratégies marketing des acteurs de l’offre influençant dans une certaine mesure la demande – il est indéniable que les entreprises se trouvent dans un climat de forte incertitude (Moati et al., 2003).

Moati (1998) identifie des facteurs endogènes et exogènes expliquant les mutations actuelles du système de distribution. Le principal facteur endogène est la saturation du marché qui induit de faibles marges de manœuvre pour l’acquisition de parts de marché supplémentaires pour les canaux dominants. Si la situation est différente en fonction des secteurs d’activité, on peut en effet constater que les principaux groupes – en particulier dans l’alimentaire – ont renforcé leur stratégie multi-canal afin d’accroitre leurs parts de marché. D’autres, toujours dans une logique de maintien de croissance « extensive » ont choisi de s’implanter dans de nouvelles zones géographiques17.

Le principal facteur exogène est la crise du système fordiste dont la grande distribution fut une des composantes majeures. Si les conséquences de cette crise sont fortes pour le système productif, elles le sont également pour la distribution et se traduisent par trois grandes tendances :

- Evolution de la demande : Le profil des consommateurs est de plus en plus difficile à établir dans la mesure où leurs comportements d’achat ont tendance à s’éloigner des idéaux-types jusque-là dominants (Ducrocq, 2006). Cela suscite de l’incertitude à la fois pour les fabricants / producteurs et les distributeurs qui doivent tous deux s’adapter à une demande de plus en plus individualisée qu’ils ont du mal à cerner. Quels consommateurs cibler ? Quels vont être leurs critères de choix lors de l’achat ? Les réponses à ces questions sont d’autant plus difficiles à trouver que le consommateur est de plus en plus versatile. La fidélité à une

17 A noter que le développement des marques de distributeurs renvoie pour sa part à des stratégies de croissance « intensive » de la part des enseignes. Voir notamment à ce sujet Moati et al., 2007.

enseigne ou à une marque n’est plus la règle, ce qui nécessite un effort permanent de fidélisation. La « connaissance » est ainsi plus que jamais au cœur des problématiques car la construction de stratégies de différenciation et fidélisation performantes de la part des distributeurs et producteurs passe par la capacité à acquérir et utiliser au mieux les informations concernant la demande et l’environnement en général.

- Evolution des temporalités : ce nouveau contexte est également marqué par une accélération du cycle de vie des produits. Souvent considérée comme une réponse aux attentes de consommateurs de plus en plus exigeants en matière de renouvellement de l’offre, elle est aussi – et peut-être surtout – le résultat des stratégies de différenciation des distributeurs et producteurs qui font de cette capacité de renouvellement un avantage concurrentiel (Porter, Lavergne, 1999). L’introduction d’innovations technologiques dans les process de production mais aussi des NTIC apparaît comme un levier majeur d’accélération de ces temporalités. - Reconfiguration de l’environnement concurrentiel : les espaces de la concurrence se trouvent également modifiés. La régulation nationale n’étant plus dominante (Benko, 1990 ; Chavagneux, 2010), on a en effet, sur un même territoire, une concurrence entre entreprises locales, nationales et internationales, que ce soit au niveau de la production ou de la distribution. Nous pouvons à ce titre considérer que la transformation du système financier n’est pas étrangère à cette perte de puissance des régulations nationales (Aglietta, 1999). L’avènement de nouvelles technologies – notamment de communication - mais aussi la baisse des coûts de transport ont également facilité la circulation des flux de produits et d’information sur de plus grandes distances géographiques.

Mais on peut également parler d’un élargissement de l’espace organisationnel de la concurrence lié au fait que les enjeux sont désormais autant horizontaux que verticaux. En d’autres termes, la stratégie des acteurs ne se dessine pas simplement au regard de la stratégie des entreprises du même type mais elle est aussi fonction des stratégies des autres acteurs de la chaîne. Ainsi, un distributeur ne définit pas sa stratégie uniquement en fonction du positionnement des autres distributeurs mais il y a aussi, dans une certaine mesure, une stratégie de concurrence avec les acteurs de la production, comme en témoigne par exemple le développement des marques de distributeurs. De fait, cela vaut également pour les producteurs qui peuvent s’engager plus fortement dans les activités de distribution au client final.

2.1.2. Des circuits courts alimentaires subissant et participant à cette dynamique

Les circuits courts alimentaires et ceux de proximité ne sont pas imperméables à ces phénomènes. D’une part, la pluralité des formes de vente illustrée par les figures 3 et 4 (pp. 32-33) traduit cette plus grande pluralité de la demande, ou, tout du moins, la diversité des stratégies qui sont mises en œuvre par les producteurs et éventuels intermédiaires pour écouler leurs produits. L’émergence de formes de ventes qui n’existaient pas jusque-là - comme par exemple la vente en panier quelle que soit sa forme ou les marchés paysans - en témoignent. De même pour le niveau requis d’implication du client, qui diffère fortement d’un circuit à l’autre, comme nous le verrons ultérieurement. Nous pouvons à cet égard nous demander dans quelle mesure la « connaissance » va aussi être pour ces circuits un élément important pour la construction d’une stratégie de différenciation mais aussi pour fidéliser la clientèle.

Nous pouvons également nous interroger sur les temporalités au sein de ces circuits et notamment sur le rôle plus ou moins important de la rapidité de renouvellement de l’offre. Se pose de plus la question du rôle des NTIC – et de l’impact de leur développement - dans ces circuits parfois très artisanaux, portant sur de faibles distances et quantités de produits.

Enfin, il est certain que ces circuits sont liés à la reconfiguration de l’environnement concurrentiel. D’une part car ils y sont confrontés. Nous verrons en effet dans les sections suivantes de ce chapitre que nous sommes dans un contexte d’élargissement des espaces dans lesquels s’inscrivent les firmes de production et de distribution. Les territoires locaux sont ainsi en lien avec les espaces transnationaux et les systèmes de production qui s’y inscrivent (Maillat, 2010). Les producteurs et distributeurs des circuits courts et de proximité vont donc se trouver en concurrence et/ou en complémentarité avec ceux des circuits inscrits dans de plus larges espaces.

Dans le même temps, ils participent à ces tendances. Les circuits courts alimentaires et particulièrement ceux de proximité ne vont pas traduire un élargissement des espaces mais bien leur modification. En effet, comme dans les autres types de circuits, on retrouve désormais cette notion de concurrence à la fois horizontale et verticale à ceci prés que ce ne sont pas ici les distributeurs qui étendent leurs activités au champ de la production mais que ce sont les producteurs qui entrent en plus ou moins forte concurrence avec les distributeurs en assurant les fonctions de commercialisation et distribution.

Nous allons dans la section suivante illustrer notre propos en revenant sur la modification des espaces géographiques de production et distribution. Nous montrerons qu’ils ont eu tendance à s’élargir, même si le transport sur courtes distances reste important. L’explicitation de ce contexte général permettra de mieux saisir par la suite les éventuelles particularités de certaines formes de circuits courts et de proximité du point de vue de leur inscription spatiale et donc des problématiques logistiques qui seront les leurs.

2.2. L’élargissement des espaces géographiques comme corolaire à