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L’askiya, le plov et le shashmaqom : les patrimoines immatériels protégés par l’UNESCO

3.1 Encourager les formes de tourisme liées aux patrimoines naturels et culturels immatériels

3.1.1 L’askiya, le plov et le shashmaqom : les patrimoines immatériels protégés par l’UNESCO

Inscrit depuis 2008 dans la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, le shashmaqom est un mélange de musiques vocales et instrumentales, de rythmes et poésies traditionnels d'Asie Centrale (plus particulièrement Ouzbékistan et Tadjikistan). En solo ou en groupe, les chanteurs sont accompagnés d’un orchestre composé de luths, vièles, tambours sur cadre et flûtes. Le shashmaqom date de l’époque préislamique et a été influencé par l’évolution de la musicologie, de la poésie, des mathématiques et du soufisme. Cet art musical a connu un véritable succès, ce qui a abouti à l’ouverture de nombreuses écoles de musique dans la ville de Boukhara, centre historique et spirituel du shashmaqom. La transmission orale de maître à élève reste le moyen principal pour préserver la musique et ses valeurs spirituelles.

Depuis l’indépendance de l’Ouzbékistan (1991), plusieurs mesures ont été prises afin de sauvegarder le shashmaqom. L’UNESCO a joué un rôle non négligeable dans l’implication de scientifiques, musicologues et spécialistes du multimédia pour la production de documents audiovisuels et plus amplement pour le développement de ce domaine de recherche.

En 2014 la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité s’enrichit d’un ultérieur élément culturel ouzbek : l’askiya est un « genre de l’art oratoire populaire ouzbèke qui prend la forme d’un dialogue entre deux participants ou plus qui débattent et échangent des mots d’esprit sur un thème particulier »55. Concernant principalement des hommes, censés maîtriser les subtilités de la langue ouzbèke, cet art consiste à improviser et raisonner habilement et rapidement, en utilisant l’humour et la plaisanterie. Bien que sous forme de plaisanterie, les praticiens se sensibilisent mutuellement en traitant des sujets d’actualité. L’askiya est souvent pratiqué lors des fêtes populaires, des festivités, des rituels familiaux et des rassemblements organisés dans les villes et villages d’Ouzbékistan. Déjà plus de trente formes d’askiya sont recensées. Transmises oralement aux individus et aux communautés, l’askiya « est un exercice d’élocution très fin qui demande la maîtrise de la langue ouzbèke ainsi qu’une certaine ouverture d’esprit. Il faut aussi beaucoup d’humour, car c’est une espèce de compétition, pas

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physique, mais intellectuelle, tout en respectant l’adversaire », nous explique Doniyor Rozmetov. Une forte dimension pédagogique est aussi à relever : par l’humour, on apprend à mieux gérer les difficultés et les problèmes du quotidien dans des conditions de partage et de développement culturel et social.

L’année dernière, la tradition et la culture gastronomique d’Ouzbékistan ont également été retenues par l’UNESCO grâce au plov, un plat traditionnel commun à toutes les communautés rurales et urbaines d’Ouzbékistan.

Composé de riz garni avec de la viande de mouton bouillie, des oignons, des carottes, des raisins secs et de l'épine-vinette, des pois chiches et parfois des fruits, c’est un repas complet et délicieux. Ce fleuron de la gastronomie locale représente aussi un geste d’hospitalité et est servi lors d’occasions spéciales comme les mariages ou le Nouvel An, pour aider les plus démunis ou rendre hommage à des proches défunts.

Les connaissances et les savoir-faire associés à la préparation de ce plat traditionnel sont régulièrement transmis aux jeunes générations selon le modèle maître-élève. Symboliquement, la préparation et le partage du plov ne sont qu’une occasion de consolider les liens sociaux, de promouvoir des valeurs telles la solidarité et l’unité, et de sauvegarder dans le temps des traditions locales intimement liées à l’identité ouzbèke.

La Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel l’UNESCO s’avère donc être un dispositif fondamental, qui sert de contrepoids à l’uniformisation et standardisation culturelle que les échanges touristiques et commerciaux de la mondialisation peuvent facilement entraîner.

D’où l’importance d’une prise de conscience générale et d’une majeure responsabilité dans les comportements touristiques afin d’éviter un appauvrissement, voire l’extinction de pratiques fortement identitaires des cultures minoritaires.

3.1.2 Le renouvellement des aspirations et des comportements : le tourisme

collaboratif et participatif

La crise économique mondiale ainsi que le progrès technologique figurent parmi les quelques facteurs exogènes ayant accompagné une organisation plus horizontale des biens

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et des ressources des citoyens. Ces derniers, organisés en réseau ou communautés, privilégient de plus en plus une « mutualisation des outils, des biens, des espaces » (Pagès, 2016) dans un élan renouvelé de créativité et productivité collective.

Les plateformes internet ont notamment favorisé ce processus d’organisation collective et d’économie collaborative, qui ont donné vie à de nouvelles pratiques touristiques (et non seulement) où le partage et la relation sociale l’emportent sur le profit. Ainsi, de telles pratiques comme le couchsurfing, le woofing, le covoiturage, le help exchange, le greeting, le gamping ne sont-ils que quelques-unes des expériences de tourisme collaboratif prônant des valeurs authentiques de proximité, simplicité, respect de l’environnement, convivialité et enrichissement personnel sans intermédiaire et à moindre coût56 . Cette évolution des aspirations, et par conséquent des comportements touristiques, s’inscrit dans la logique d’un nouveau paradigme économique qui ne met plus en avant la propriété, mais l’usage partagé des biens et des services entre des particuliers. Cet esprit renouvelé a bien évidemment investi l’ensemble des services autour du tourisme : le transport, l’hébergement, la restauration. Toutes ces dimensions comptent aujourd’hui différentes plateformes spécialisées sur le web mettant en relation des publics sensibilisés à réduire l’impact néfaste d’un tourisme consumériste.

Cette prise de conscience diffusée est le moteur catalyseur d’un changement des comportements du voyageur contemporain au profil renouvelé. Ce dernier recherche une expérience inédite et singulière, alliant à la fois exotisme, découverte et échange. Il ne se contente plus du pur dépaysement ou du relax total. Il veut aller plus loin et participer activement aux us et coutumes des populations accueillantes dans un esprit d’empathie, partage et écocitoyenneté. L’innovation n’est plus donc forcément imposée du haut, des entreprises de tourisme ou des acteurs institutionnels, mais des citoyens, des habitants.

Différentes dénominations sont employées pour encadrer les nouvelles tendances de tourisme alternatif : tourisme responsable, solidaire, participatif, écotourisme, slow tourisme, ont un commun le même esprit de respect de l’environnement, de la rencontre avec l’habitant et de la distribution équitable des retombées économiques

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parmi les populations locales. Ainsi, des activités éthiques sont-elles encouragées, où la sauvegarde de l’environnement naturel et culturel, la relation avec les populations accueillantes et le développement socio-économique local sont au cœur du projet touristique. S’adressant à des publics particulièrement sensibles aux échanges interculturels, ces nouvelles pratiques réinventent le concept d’hospitalité et peuvent se pratiquer en milieu urbain comme rural ou littoral.

Le tourisme solidaire propose de réelles opportunités de rencontres et de partage avec les habitants des destinations hors des sentiers battus. De plus, cette expérience de voyage s’avère être d’autant plus enrichissante qu’elle se poursuit même après le retour chez soi. Grâce à l’implication des voyagistes sur le terrain et à leur proximité avec les partenaires, les voyageurs peuvent continuer à suivre l’activité des projets à distance, en plus de garder le contact avec les gens locaux qui les ont accueillis. Ce n’est dont plus une pure consommation d’un produit que le voyageur recherche ; l’homme, ses sentiments et son implication façonnent le voyage, qui ne se réduit pas uniquement à un déplacement physique, mais à un parcours intellectuel et de l’âme.