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L’ascendance de quelques familles

B. Monopole ferroviaire : le Martigny-Châtelard

2.1.2. Revenus basiques présentiels

2.1.2.3. L’ascendance de quelques familles

Les frères Lonfat

Les frères Alphonse et Eugène Lonfat sont propriétaires quant à eux de trois établissements : Le Grand Hôtel de Finhaut (1896), la Pension Beau-Site (1903) et le Grand Hôtel Bristol (1908). Daniel, fils d’Alphonse, reprendra le Grand Hôtel et le Beau-Site jusqu’à ce que ce dernier ne soit rattaché au Bristol, en 1914, celui-ci ayant été repris par la veuve d’Eugène (Perriard-Vollorio, 1991). Premièrement, notons à propos des frères Lonfat l’importance de leurs activités hôtelières sur l’ensemble de la commune (Figure 22) : une activité qui commence en 189633 avec 13%, puis ensuite un quart des montants taxés du total des hôtels et pensions. Nous relevons deuxièmement à leur propos l’implication dans la politique au niveau communal et dans les organisations professionnelles du tourisme. Alphonse Lonfat a d’une part assumé la charge de président de commune (entre 1928 et 1940, voir Sauthier (2013)). D’autre part, il a participé à la création de l’Union Valaisanne du Tourisme, (Erné, 1987) et de la Société de développement de Finhaut (Barmaz, 1963), et est également membre du Conseil d’administration du Martigny-Châtelard (TdL, 1941). Il peut sans aucun doute être qualifié d’acteur important du système territorial de Finhaut, sur le long terme, on l’a dit depuis la fin du XIXème siècle avec l’ouverture du premier hôtel, jusqu’à son décès en 1963. L’effet de lock-in s’observe ici au niveau individuel : les dynamiques monétaire et de connaissances relatives à cet acteur contribuent à la poursuite d’une activité présentielle traditionnelle pour Finhaut – c’est-à-dire dépendant de la rente de situation – mais également d’efforts personnels relatifs à la complexité et à la fongibilité pour développer cette activité, démarche isolée au regard de l’ensemble du système territorial et surtout dans ce sens face à la concurrence. Concrètement Alphonse Lonfat fait par exemple rénover le Grand-Hôtel en 1934, en y installant l’eau courante chaude et froide (7 salles de bain et 36 lavabos), le chauffage central (58 radiateurs) (Nouvelliste, 1934). D’après Charles Lugon-Moulin34, il se sépare de « sa plus belle vigne » à Fully, pour payer ses amortissements en période difficile. En 1952, il sera réélu à

32 Entretien Charles Lugon-Moulin

33 On ignore malheureusement les activités professionnelles antérieures des frères Lonfat.

34 Entretien Charles Lugon-Moulin

Figure 21. « Chez Ernest », café-restaurant Emosson. Source : Charles Paris, Médiatèque Valais, Martigny

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la présidence de la commune, événement qui révèle l’absence du renouvellement du personnel politique local, une manifestation supplémentaire de la dynamique de lock-in.

Figure 22. Répartition des montants taxés pour les hôtels et pensions en 1896, 1913, 1930 et 1948. Source : Taxe industrielle, Commune de Finhaut (1896, 1913, 1930, 1948)

L’hôtel Suisse

Par rapport aux établissements des frères Lonfat et d’autres hôtels du village, l’hôtel Suisse a la particularité d’avoir une histoire plus ancienne et une trajectoire plus linéaire. L’hôtel Suisse, situé au Châtelard, fait partie des hôtels générant une fréquentation importante – proportionnellement comme on peut le voir avec la Figure 22. Il participe dès le début à la trajectoire de Finhaut, et est l’un des quatre derniers établissements accueillant des hôtes pour la nuit à Finhaut35. D’abord débit de vin (vers 1850), puis restaurant, et enfin auberge (en 1875)36, l’établissement est d’abord propriété d’Eugène Vouilloz. Né en 1837, Eugène Vouilloz fit d’abord construire son auberge, sur un terrain communal non pas acquis par l’hôtelier, mais accordé seulement, sous réserve que la commune en redevienne propriétaire dès lors que le bâtiment n’existerait plus (Commune de Finhaut, 1880). On pourrait penser que cette politique vraisemblablement informelle de droit de superficie soit à mettre à la cause du caractère pionnier et exceptionnel d’une telle entreprise à cette heure. Or on peut dire que ce n’est pas le cas, puisque lorsqu’en 1898 Eugène Vouilloz souhaite acheter un terrain à proximité de son établissement pour l’agrandir, cette demande est refusée par le Conseil (Commune de Finhaut, 1898a,

35 Avec le gîte La Casita à Giétroz, la Pension des Alpes, et l’hôtel Beau-Séjour (garni).

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1898b). Si ce refus pourrait ne pas être sans lien avec une volonté de deux des membres du Conseil, également hôteliers (Justin Lugon du Chalet Suisse et Daniel Lonfat du Grand-Hôtel et président de la commune), de limiter la concurrence, il peut également s’expliquer par le maintien d’une pratique courante consistant systématiquement à ne pas vendre de terrain communal à certaines fins de développement.

Au plus tard en 1882 (date des premières mentions des taxes industrielles au niveau communal), du moins « au moment où nos tabacs avaient une entrée facile en France », il établit une petite usine de fabrication de tabacs et cigares. « A cette époque, il n’était pas rare de voir partir de Châtelard des escouades de 30 à 40 contrebandiers italiens chargés de tabac et chaque fumeur peut se rappeler l’excellent cigare valaisan dit de Châtelard » (GdV, 1907). Comme on le verra au point 2.1.3, cette industrie remarquable est une exception au regard du système territorial à cette époque. Bien que la fabrique soit toujours vraisemblablement en fonction au tournant du siècle37, c’est bien l’hôtellerie qui devient l’activité principale des Vouilloz au Châtelard. En 1882, première année de perception de la taxe industrielle, l’hôtel Suisse paie sa taxe sur la base d’un montant de CHF 800.-, soit le 31% des montants totaux des hôtels et pensions de Finhaut. Comme on l’a vu avec la Figure 22, bien que cette proportion baisse au fil des ans, l’hôtel Suisse reste un établissement de premier plan pour la commune.

Le cas de l’hôtel Suisse nous permet d’apprécier de manière synthétique la problématique des activités basiques à Finhaut durant la dynamique de relais. En premier lieu, il s’agit d’une entreprise familiale, dont l’expansion repose sur le dynamisme d’un homme charismatique, en l’occurrence Eugène Vouilloz. Ensuite, l’importance quantitative de l’hôtel Suisse sur l’ensemble de l’hôtellerie de Finhaut nous permet de relativiser l’importance a priori prédominante du village en tant que tel, c’est-à-dire en particulier du lieu-dit La Cotze, et de la zone progressivement construite de là au Léamon. Cette centralité topographique dans l’accumulation nous apparait particulièrement importante, d’une part en raison de l’importance de l’hôtellerie de transit, mais également au regard de l’importance des établissements d’altitude, compléments d’une activité hôtelière au village, puis régulièrement indépendante. Au contraire durant la fin du XIXème c’est l’hôtellerie en tant que telle qui dégage d’importants bénéfices, progressivement d’autres activités s’affirment comme étant d’importance dans le développement de la station, tant et si

bien qu’un point d’analyse leur sera consacré lorsqu’il sera question de la trajectoire de Finhaut entre-deux et après-guerre (voir point 2.2). Enfin, l’exemple de l’hôtel Suisse permet de relativiser la zone d’influence économique positive de l’économie présentielle sur la population de Finhaut, dans la mesure où seules quelques familles sont concernées par ces entreprises, qui génèrent certes des

37 D’après Coquoz (cité par Attinger (1999-2000, fiche n°418), la fabrique de tabac serait toujours en activité en

1899. Cependant, la fabrique ne figure plus dans les registres de la taxe industrielle à partir de 1895. Cependant, les bénéfices taxés de l’hôtel Suisse passant de CHF 1'500.- en 1892 à CHF 3'000.- en 1895, et la fabrique étant taxée sur la base d’un bénéfice de CHF 900.- en 1892, on peut penser que c’est l’ensemble commercial et industriel Vouilloz du Châtelard qui est dès lors taxé.

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emplois, sans pour autant que le secteur ne soit à considérer comme prédominant sur l’ensemble de la période (voir supra).

Figure 24. Montants taxés pour les hôtels et pensions entre 1895 et 1944. Source : Taxe industrielle, Commune de Finhaut (1920- 1925)