• Aucun résultat trouvé

L’arène du débat : un lieu de rencontre conviviale

Chapitre 3. Le dispositif scénique des débats culturels : la mise en scène des

1. L’arène du débat : un lieu de rencontre conviviale

Faisant l’objet d’une diffusion radiophonique, les débats du Masque et la Plume empruntent un canal auditif. À l’exception des spectateurs présents sur le lieu des événements, les auditeurs ne sont pas en mesure de voir les participants et leur disposition sur la scène des échanges. De plus, le jeudi soir est consacré à l’enregistrement de deux émissions, accessibles en différé le dimanche soir des deux

78 Dominique Maingueneau, « Genres de discours et modes de généricité », op. cit.

semaines suivantes. En ce sens, l’écoute des débats répond à deux temporalités distinctes : celle qui se déroule le jour même dans l’espace scénographique du studio, et celle de la retransmission des enregistrements sur France Inter. À partir de ce constat, les auditeurs ne disposent pas des mêmes clés d’interprétation que les spectateurs, du point de vue du rapport à l’ethos des participants notamment. De leur côté, les intervenants savent qu’ils s’adressent à un auditoire plus étendu que celui auquel ils font face, mais sont dans l’incapacité d’identifier cet autre destinataire qu’ils cherchent pourtant à atteindre.

Xavier Leherpeur, Éric Neuhoff, Jérôme Garcin, Michel Ciment et Sophie Avon, le 7 mars 2019 au Théâtre de l’Alliance française. © Victoire Le Sager

Les enregistrements du Masque et la Plume sont réalisés dans une enceinte fermée, celle du Théâtre de l’Alliance française à Paris. Sur cette scène de représentation, cinq participants actifs se tiennent côte à côte autour d’une table disposée en arc de cercle, qui n’est pas sans rappeler l’imaginaire de la démocratie. Ce dispositif scénique interactif et solidaire permet à l’ensemble des intervenants de se voir, tout en faisant face au public auquel ils s’adressent. Soit dit en passant, l’étymologie du terme « scénographie » provient du grec skênêgraphia qui signifie l’art de peindre la scène de théâtre (d’un point de vue visuel et sur un plan spatial). À l’image du théâtre de la Grèce antique, la scénographie du Masque et la Plume se dessine en plusieurs espaces destinés respectivement aux orateurs, à l’équipe technique et au

public, selon des normes bien précises. Ainsi, le dispositif se rattache à celui de la représentation théâtrale, dès lors que les acteurs du débat ont accès aux réactions d’une partie de l’auditoire : « Il me suffit aussi de les voir applaudir le public qui les applaudit à la fin de la représentation, pour avoir la preuve émouvante, lorsqu’il m’arrive d’en douter, que je suis bien à la tête d’une troupe de théâtre, d’une petite Comédie-Française »80. Seulement, à la différence des comédiens, les participants

parlent en leur nom propre, même si nous verrons qu’ils incarnent un rôle qui leur est attribué avec le temps et qu’il s’agit d’honorer tout au long du débat.

« Le théâtre est certainement le lieu où le spectateur est le plus à même d’éprouver la scène du déni. C’est un lieu de créations où les acteurs (leurs dictions, leurs accents, leurs jeux), les décors, les costumes, l’éclairage, le maquillage, la mise en scène et le texte demandent au spectateur une présence participante et distanciée en même temps. À l’inverse, dans la théâtralité des cérémonies officielles (défilés, commémorations, rituels), le pouvoir compose avec son public et expose ses spectateurs à une participation inconditionnelle qui devrait ne souffrir d’aucune distance. »81

Observons désormais comment Jérôme Garcin introduit les auditeurs du Masque et la Plume au sein des débats, et comment il décrit le lieu environnant aux absents des enregistrements. Précisons simplement que l’installation préalable de l’antenne se résume à des essais de micro, les salutations des participants et le rappel des prochaines dates d’enregistrement, sans imposer quelconque cadre contraignant.

« Bonsoir à toutes et à tous, bienvenue en public au Théâtre de l’Alliance française pour un Masque et la Plume consacré ce soir à l’actualité du cinéma, avec les éternels de la critique : Sophie Avon de Sud-Ouest, Michel Ciment de Positif, Éric Neuhoff du Figaro et Xavier Leherpeur de Septième Obsession. On parle ce soir des Éternels, mais aussi de Celle que vous croyez, du Mystère Henri Pick, d’Exfiltrés, de Stan et Ollie, de Marie Stuart et des Étendues imaginaires. »82

80 Jérôme Garcin, Nos dimanches soirs, Paris, Grasset, coll. « Littérature Française », 2015, p. 269.

81 Frédéric Lambert, Je sais bien mais quand même. Essai pour une sémiotique des images et de la croyance, Le Havre, Non

Standard, 2013, p. 98.

La description du contexte des débats se limite aux indications données par l’animateur. Cela va de soi, la présentation d’une émission suppose l’identification des invités sur le lieu des échanges, la définition de leur statut au sein du paysage médiatique en précisant le support qu’ils représentent, ainsi que l’exposé des sujets au programme. En termes d’énonciation des conditions de la situation radiophonique, il convient de relever l’amalgame entre les spectateurs de l’Alliance française et les auditeurs de France Inter, alors que le moment de leur écoute répond à une temporalité distincte. En effet, Jérôme Garcin mêle intentionnellement les deux groupes en insistant sur « à toutes et à tous » et « en public au Théâtre de l’Alliance française », afin de créer un sentiment d’appartenance à une même communauté. L’emploi du connecteur temporel « ce soir » permet de faire oublier qu’il s’agit d’une retransmission, et donne l’impression que les débats coïncident avec les activités connexes des auditeurs. Ainsi, l’illusion de direct renforce l’investissement du public au sein de l’univers sonore des débats, puisque les auditeurs ont tendance à omettre qu’ils ne sont pas présents dans l’espace cloisonné des échanges.

« Cet effet de simultanéité supposée entre le temps de l’actualité et le temps de nos lectures de la presse ou de nos visions télévisées est l’une des conditions de nos croyances contemporaines. Le maintenant, ce temps confondu de la réception et des évènements, efface tous les codes culturels, esthétiques, et de mise en forme, tous les choix politiques de l’information. »83